Davos 2016 : entre chaos, renaissance, réfugiés, robots... et 35 heures

Miscellanées des temps forts du 46e Forum économique mondial à Davos. Ou pourquoi il faut être (très ?) inquiet pour 2016 et optimiste pour le futur. Et inversement... Et comment Emmanuel Macron a supprimé "de facto" les 35 heures pendant le World Economic Forum...
Philippe Mabille
Emmanuel Macron, nouvelle star de Davos, mais obligé de ronger son frein en France alors que sa loi NOE (nouvelles opportunités économiques) prend l'eau de toutes parts, a pris une belle revanche.

Le Forum économique mondial (WEF) de Davos a achevé samedi sa 46e édition sous un soleil de bon augure, pendant que les nombreux délégués américains se demandaient s'il parviendraient à rentrer sur la côte Est des Etats-Unis, bloquée par la tempête "Snowzilla". Que retenir de cette semaine passée à « brainstormer » dans la station suisse des Grisons transformée en camp retranché, avec 5000 militaires pour protéger 2.500 personnes venues comme chaque année entendre les principaux dirigeants politiques, économiques ou les meilleurs universitaires du monde débattre des tendances de l'année qui vient de démarrer. De démarrer sous de bien mauvais augures, avec un krach rampant des marchés (« janvier 2016 a été le pire mois boursier de l'histoire », a souligné Tidjane Thiam, le patron de Crédit Suisse). Mais aussi et surtout débattre du plus long terme, sous le signe de la « Quatrième révolution industrielle », thème central mis en avant cette année.

La multiplication de risques simultanés

"En quarante-six ans, depuis que le Forum économique mondial existe, je ne me souviens pas que le monde ait eu à faire face à autant de problèmes en même temps", a déclaré le patron et fondateur du WEF, Klaus Schwab. Un véritable chaos, même, entre crise syrienne, crise des réfugiés en Europe, montée du terrorisme, effondrement des prix du pétrole, instabilité boursière, crainte de krach chinois, déstabilisation politique et montée du populisme partout, difficile de voir une ancre de stabilité. Les seuls pays à aller bien : les Etats-Unis et le Royaume-Uni, l'Inde. Partout ailleurs, l'environnement est, comme on dit dans l'anglais de Davos, entre "gloomy" et "catastrophic". Pourtant, le World Economic Forum s'était achevé en 2015 par un message d'optimisme sur la reprise de la croissance. Cette prévision, qui s'est révélée exacte dans les pays occidentaux, y compris en Europe, se voit contrariée par le retournement brutal des pays émergents. Ralentissement chinois, plus fort que prévu - surtout que pas grand monde ne croit fiables les statistiques de Pékin qui a annoncé 6,9% pour l'an dernier - mais aussi écroulement du prix des matières premières à commencer par la première d'entre elles, le pétrole, tombé sous la barre des 30 dollars le baril. Le monde est-il au bord d'une nouvelle récession, se sont inquiétés les participants au forum ? Le FMI n'a pas rassuré en révisant en baisse de 0,2 point la croissance mondiale, à 3,4% pour 2016. A défaut de récession, c'est, à tout le moins, un régime de croissance faible qui s'installe, avec des moteurs tournant à bas régime.

Pour contrer le pessimisme ambiant, lors du traditionnel débat de clôture sur l'état de l'économie mondiale, les décideurs économiques et politiques ont cherché samedi matin à se rassurer. De l'avis de la plupart des économistes présents, il n'y aura pas de « hard landing », d'atterrissage en catastrophe de la première économie mondiale (en parité de pouvoir d'achat). Certes, la Chine a enregistré en 2015 sa croissance annuelle la plus faible en vingt-cinq ans, mais il s'agit d'un « ajustement », pas d'un krach, a tempéré Christine Lagarde, la directrice générale du FMI, venue à Davos mesurer sa toujours aussi grande popularité auprès des grands de ce monde. Assurée, sauf difficultés judiciaires à cause de l'affaire Tapie, d'être reconduite, elle a officialisé vendredi sa candidature à prolonger de cinq ans son mandat à la tête du FMI, avec le soutien de la France. "Nous voyons une évolution de la Chine, une grande transition qui va peut-être secouer, provoquer des turbulences, nous devons nous y habituer", a dit Christine Lagarde. Mais selon la directrice générale du FMI, alors que les marchés ont les nerfs à vif, Pékin a "un problème de communication" sur ses politiques économiques et sa stratégie de change. Il va falloir qu'elle décide si oui ou non elle est désormais une « économie de marché » et, si oui, en accepter les règles. Pas de panique donc sur la Chine, qui, même à un rythme ralenti, "aura ajouté à l'économie mondiale l'équivalent de l'Allemagne à la fin de cette décennie", a relativisé le ministre des finances britannique George Osborne. Le milliardaire américano-hongrois George Soros, figure de la finance mondiale, a lui déclaré que l'atterrissage brutal avait bien eu lieu, mais que "la Chine avait les ressources pour le gérer et plus de marges de manoeuvre que beaucoup d'autres pays".

Côté européen, les inquiétudes de l'an passé se sont estompées. Mis à part certains pays qui ont encore à mettre en œuvre les réformes structurelles (voir ci-dessous le passage sur « France is back in Davos »), "nous assistons à une reprise qui se poursuit à un rythme modeste mais régulier", a assuré Mario Draghi, le président de la BCE. "C'est une reprise tirée par la consommation (0,2% d'inflation en décembre, grâce à la chute des prix du pétrole) et dont le moteur est avant tout notre politique monétaire", a dit sans fausse modestie l'italien qui a déjà sauvé une fois l'euro et a, en plein forum de Davos, calmé la panique des marchés financiers en promettant d'élargir à nouveau le programme d'assouplissement quantitatif de la Banque centrale européenne lors de sa réunion du 10 mars prochain. Super Mario Draghi, la seule boussole d'une Europe en plein doute.

La gestion des migrants, la « honte » et le drame de l'Europe

C'est que temps presse. Le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, a prévenu que l'Europe n'avait que "6 à 8 semaines pour agir", avant que le retour du beau temps au printemps n'amène une nouvelle vague migratoire, inévitable. Le danger est réel de voir, comme cela commence à la frontière de la Macédoine et de la Grèce, des réponses nationales prendre le dessus sur une action coordonnée. Les accords de Schengen pourraient ne pas y survivre et ce serait la fin de la libre circulation en Europe, donc une défaite et un mauvais coup économique portée à l'Union fondée sur la liberté des échanges, d'hommes et de marchandises. Alexis Tsipras, dont le pays est en première ligne des flots de réfugiés en provenance de Turquie, a jugé que ce qui se passe actuellement est une "honte" pour l'Europe, alors que la ministre autrichienne de l'Intérieur, Johanna Mikl-Leitner, a menacé samedi la Grèce d'une "exclusion provisoire" de l'espace de libre circulation Schengen si Athènes ne renforce pas davantage ses contrôles aux frontières face à l'afflux de migrants. La solution, si solution il y a, passe évidemment par la Turquie, en position de force pour négocier avec l'Union européenne une entrée dans le marché unique et un plan d'aide pour mettre fin au flot de réfugiés à l'est de la Méditerranée. Mais de nouvelles routes pourraient s'ouvrir, en provenance de Libye, en plein chaos, alors que le groupe Etat islamique, en difficulté en Syrie et en Irak, tente d'y ouvrir un nouveau front. La « guerre contre le terrorisme » ne fait que commencer.

Tout le monde ne voit cependant pas l'avenir en sombre. Sur la questions des migrants, l'italien Mario Draghi, président de la BCE, y voit certes "un défi à court terme", budgétaire notamment, mais aussi, à moyen long terme "une formidable opportunité" pour la croissance, en rompant avec la rupture démographique d'une Europe vieillissante. Pour l'Allemagne, malgré les difficultés actuelles, c'est une chance unique de relancer sa dynamique de croissance alors que sa population active diminue. Et c'est sans doute la vraie raison de la décision controversée d'Angela Merkel, nous a expliqué un participant, anonyme, au Forum de Davos. Le « Willkomen » aux migrants, un instrument de relance européenne ? Pour l'historien Ian Goldin, de l'université d'Oxford, "les migrations ont toujours été un des principaux moteurs du progrès humain et du dynamisme des pays". Et, ajoutait Emmanuel Macron, le ministre français de l'économie, qui participait à un débat de la BBC sur le sujet, "n'oublions jamais que Steve Jobs (le fondateur d'Apple) était le fils d'un immigrant syrien aux Etats-Unis"... Pour David Milliband, président de l'International Rescue commitee, "accueillir les migrants est un devoir humanitaire et légal. Si 500 millions d'Européens sont incapables de se mettre d'accord pour absorber la venue d'un ou deux millions de personnes persécutées, ce sera une honte pour notre civilisation".

La chute du pétrole, pas bon pour le climat, mais bon pour l'économie

L'effondrement des cours du pétrole aussi a agité les débats. D'un côté, c'est le symptôme de la mauvaise santé de l'économie mondiale, et un facteur aggravant pour les pays producteurs dont certains, comme la Russie, le Venezuela, sont au bord de l'effondrement économique. L'attitude de l'Arabie Saoudite, premier producteur mondial, a été dénoncée par certains experts qui estiment qu'elle joue la politique du pire pour tuer la concurrence du pétrole de schiste américain et le retour de l'Iran, son ennemi mortel. Les pétroliers, à l'exemple de Patrick Pouyanné, PDG de Total ont averti que ces prix très bas sont mauvais pour l'investissement dans la recherche énergétique dans un monde qui ne va pas voir disparaître les énergies carbonées de sitôt. Ce qu'il faudrait, a estimé le patron de Total, c'est assurer "une transition des centrales au charbon vers celles au gaz, et financer ainsi le développement des énergies renouvelables pour parvenir d'ici 2040 à un mix énergétique compatible avec les engagements pris à la COP21 de Paris". Le risque, avec des prix trop bas, est que les principaux pays pollueurs, l'Inde et la Chine, renoncent ou reportent leurs investissements dans des sources d'énergies émettant moins de CO2, comme le gaz, ou dans les renouvelables. "Nous avons un énorme besoin d'innovation dans les renouvelables. Il y a beaucoup à faire pour les rendre compétitives. Avec un baril à 30 dollars, ce n'est pas une bonne nouvelle, je vous le dis".

Une autre grande question non résolue par la COP21 est celle du prix de la pollution, de l'émission de CO2. "Ce sera très clairement le débat des deux ans qui viennent (...), il est important qu'il puisse surgir une solution pour mettre en place ce système de prix du carbone", a déclaré le PDG du groupe de traitement d'eau et de déchets Veolia Antoine Frérot. "Si nous ne faisons rien pour fixer le prix du carbone, nous verrons augmenter l'utilisation du charbon", estime Patrick Pouyanné. "C'est la réalité économique, l'Inde développera le charbon, l'Afrique du Sud aussi".

A contrario, un pétrole au plus bas peut néanmoins avoir des effets positifs au moins à court terme sur la conjoncture. Avec un baril dont le prix a été divisé par quatre, c'est l'équivalent d'une baisse géante et générale des impôts pour les ménages comme pour le secteur productif. "Nous pensons que les prix du pétrole sont bons pour l'économie mondiale, bons pour le consommateur américain, pour l'Europe, bons pour cinq milliards de gens qui sont des consommateurs de pétrole", a soulignéTidjane Thiam.

Une chose est sûre pour les industriels, l'ère des hydrocarbures n'est pas finie. "La demande mondiale en énergie va progresser" dans les années à venir, a rappelé le financier Kenneth Hersh, patron de NGP Energy capital management. "Il n'y aura pas de big bang, la transition pour une économie bas-carbone va prendre du temps", a prédit Patrick Pouyanné, pour qui le gaz sera l'énergie de la transition. Il anticipe que Total produise plus de gaz que de pétrole en 2040. Le prix de l'inaction sur le climat est lui incalculable, a prévenu un grand dirigeant d'un groupe d'assurance, évaluant le coût des catastrophes naturelles à 180 milliards de dollars par an, dont un quart seulement est assuré. "Si nous ne faisons rien, on ne parlera plus du marché de l'assurance dans 50 ans. La planète sera tout simplement impossible à assurer".

Laurent Fabius, auréolé du succès de la COP21, a prévenu que tout reste encore à faire, à commencer par la ratification de l'accord de Paris qui est prévue le 22 avril à New York pour la Journée de la Terre. Le ministre français, encore président de la COP jusqu'en novembre, avant de passer le relais au Maroc pour la COP22, a souligné qu'il reste à régler la question des émissions de CO2 du secteur des transports, aérien et maritime, non inclus dans la négociation de décembre, et que cela ne sera pas un sujet facile.

David Cameron : « Retenez moi... ou je fais un malheur »

Autre inquiétude forte de cette session du WEF, le Brexit, ou sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne. Invité d'honneur en ouverture du forum, David Cameron, le Premier ministre britannique a été clair : "nous ne ferons jamais partie d'une union européenne politiquement intégrée" car "le peuple britannique ne le veut pas". Cameron joue cette année une partie difficile car il lui faut à la fois négocier avec les pays d'Europe continentale les conditions du maintien de son pays dans l'UE (avec un rendez-vous crucial en février) et démontrer à ses électeurs qu'il a obtenu de vraies concessions avant de leur donner le pouvoir de décider dans un référendum. En clair, Cameron veut jouer gagnant et pas placé. Il a appelé les entreprises présentes à aider la Grande-Bretagne à réorienter l'UE sur un projet rétablissant sa vocation : favoriser la croissance, l'innovation, l'emploi et la prospérité de ses habitants. Une Europe plus libérale donc, s'inspirant selon lui des succès du modèle britannique désormais proche du plein emploi. La chance de Cameron, c'est que personne, en vérité, pas plus que lui, ne veut du Brexit. "Voir partir la Grèce de l'Union européenne en 2015 aurait été mortel pour l'euro ; voir sortir la Grande Bretagne serait un drame pour l'Union", a nuancé Manuel Valls, selon qui "il y a des marges possibles" pour négocier mais pas au détriment des pays qui souhaitent une plus grande intégration. Une chose est sûre, la négociation avec la Grande Bretagne risque de prendre plus de temps que prévu. David Cameron met la pression en annonçant prévoir le référendum pour le mois de juin prochain...

« Tout est remis en question » avec la Quatrième révolution industrielle

L'autre temps fort de cette 46e édition du World Economic Forum a été la vitesse de la transition vers une nouvelle révolution industrielle, la quatrième selon le fondateur du forum, qui y a consacré un petit livre pour en dessiner les enjeux, les opportunités et les risques. On ne voit pas très bien à vrai dire ce qui la distingue de la troisième révolution industrielle façon Jeremy Rifkin, mais Schwab, suisse germanique, prend visiblement pour modèle le slogan marketing allemand de l'industrie 4.0. Personne ne sait pourquoi pas 2.0 ou 3.0 mais est-ce le sujet...? Tout le monde s'accorde pour penser que nous sommes en train de vivre une révolution économique, marquée par la « convergence » des nouvelles technologies de l'information (internet, telcos) avec la robotique, l'intelligence artificielle, les imprimantes 3D. Ajoutée à la révolution énergétique, et à celle des biotechs et de la génétique, d'immenses progrès sont en train d'être réalisés, si rapidement que l'on hésite entre l'espoir que cela suscite et l'angoisse devant la rapidité des changements à l'oeuvre. Et si l'homme perdait le contrôle ?

Des changements brutaux affectent toutes les industries, leurs process de production, leur relations avec les clients et fournisseurs, leur organisation du travail, les métiers et plus que tout, les compétences. Le tout sous l'influence de nouveaux compétiteurs prêt à tout « disrupter », avec des moyens colossaux. Les Gafa étaient présents en force à Davos  avec Eric Schmidt (Google Alphabet), Sheryl Sandberg (Facebook a installé une boutique sur Promenade, la grande rue du centre de Davos), Satya Nadella (Microsoft), mais aussi le fondateur d'Uber, Travis Kalanick, le numéro 2 d'Airbnb, et côté chinois Baidu et Alibaba. Le chinois Jack Ma (Alibaba) a fait une démonstration de puissance en organisant un dîner privé avec quelques stars (Bono, Kevin Spacey, Leonardo diCaprio), mais où se sont aussi pressés David Cameron, Justin Trudeau, les Premier ministre du Royaume-Uni et du Canada et les patrons de Cisco, de Coca Cola. "Ne vous inquiétez pas trop pour la Chine", a dit le leader mondial du e-commerce, devenu aussi puissant qu'Amazon ou Wal-Mart.

"Tout est remis en question" a souligné Marc Benioff, le patron de Salesforce, dans un débat sur l'industrie digitale : "Speed is the new currency of business" (voir notre article : « La quatrième révolution industrielle, vraiment »). La digitalisation et la connectivité d'un monde globalisé, cela change toutes les règles du jeu. A Davos, on cherche donc à comprendre quelles seront les « game changing technologies ». Dans une session animée par la rédactrice en chef de The Economist, Zanny Minton Beddoes, des chercheurs de la Carnegie Mellon University et de Berkeley s'interrogent sur l'avenir de l'humanité à l'âge des machines. Les technologies qui auront le plus d'impact sur l'homme d'ici à 2030 ? Le big data prédictif, le stockage de l'énergie, le quantified-self (la mesure de soi-même avec des objets connectés), l'internet des objets (IoT, internet of Things et son corrolaire industriel, l'IIoT), mais aussi la santé avec la manipulation du genome (le « genome editing »), la microbiotique des bactéries.

Vers un assistant personnel "cognitif" implanté dans le cerveau ?

L'intelligence artificielle existe déjà, dans nos smartphones et nos smartcars... Une des applications nouvelles qui devrait arriver dans les 10 à 15 ans, ce sera l'assistant personnel cognitif, une sorte de "super Siri", le logiciel utilisé par Apple pour son iphone, dont les questions et les réponses, aujourd'hui enregistrées, seront demain interprétées par des logiciels intelligents et sera connecté à vos données, ainsi qu'à celle du reste du monde, pour vous offrir des services personnalisés, voire anticiper vos moindres besoins, ou désirs.... Ainsi, la machine va se rapprocher de plus en plus de l'homme : avec les smartwatch (montres connectées) ou bien des appareils positionnés sur ou même implantés dans l'oreille, notre cerveau sera « enhanced », amélioré, par ces technologies cognitives... Intéressés ?

D'ici 2030, on ira peut-être aussi chercher des ressources nouvelles, énergétiques ou minières, sur des astéroïdes, prédit Eric Anderson, du Planetory holdings. Pour Jennifer Doudna, biologiste de Berkeley, on utilisera massivement les technologies de découpage du génome comme le Crisp cas9 pour améliorer l'homme, vaincre les maladies rares voire, comme cela se voit déjà en Chine, faire de la sélection génétique.

L'humain, l'humanité et Hubo le robot de Davos

Bref, si les trois précédentes révolutions industrielles, celles du charbon, de l'électricité et de l'informatique ont eu des conséquences sur le travail humain, cette fois, c'est l'humain lui-même -voire son "humanité"- qui sera modifié par cette quatrième révolution industrielle. Pour le meilleur ? Oui, sans aucun doute. Dans une session intitulée « une brève histoire des révolutions industrielles », l'historien Ian Goldin, d'Oxford, la compare à la Renaissance, une période où tout a été inventé, pas tant seulement dans le domaine des arts ou des techniques, avec Galilée, Copernic, Léonard de Vinci, ou bien l'imprimerie qui a diffusé les connaissances, mais surtout dans le domaine des idées. La Renaissance, époque des grandes découvertes, a été une ère de réinterprétation du rapport de l'homme au monde. Or, c'est un peu ce que nous vivons, à une puissance exponentielle, aujourd'hui.

Pour le meilleur, peut-être, mais aussi pour le pire ? L'homme va devoir s'adapter à ces changements, dans tous les domaines. Dans l'emploi, évidemment, alors que selon une étude du WEF (« The future of jobs »), 5 millions d'emplois en net sont menacés d'ici 2020. Et bien plus à l'horizon des 25 prochaines années. Avec Hubo, le robot sud-coréen à qui les organisateurs de Davos ont accordé le statut de membre, équipé du fameux badge blanc, le Forum économique mondial a ouvert un débat inévitable. Même si, pour l'heure, Hubo ne fait pas grand-chose : télécommandé, il franchit des obstacles, est censé savoir conduire un véhicule, et se rendre dans des lieux dangereux pour l'homme. Mais en matière de robotique, aussi, l'accélération est sensible. Et la crainte est réelle de voir disparaître plus d'emplois anciens que n'en seront créés de nouveaux. Si cela se trouve, en 2020, le 50ème World Economic Forum donnera la parole à des robots, s'amuse le dessinateur du Financial Times, Ingram Pinn. Pour l'instant, nul ne se risque à répondre à la question de l'impact sur le nombre d'emplois.

Empiriquement, on voit que l'impact n'est pas négatif dans les pays les plus robotisés, comme les Etats-Unis, le Japon ou l'Allemagne, qui s'équipent pour conserver ou relocaliser des usines de production et que de nouveaux métiers remplacent les anciens. Mais, appliqués demain à l'ensemble de l'économie, y compris au secteur des services, l'arrivée des robots inquiète d'autant plus que ce ne sont pas seulement les métiers pénibles et dangereux qui sont concernés, mais aussi les emplois administratifs, les professions juridiques, comptables, bref toute fonction répétitive que peut reproduire un algorithme, qui sont concernés. Empêcher que les robots ne paupérisent encore plus les classes moyennes déjà lourdement impactées par la mondialisation, tel est l'enjeu et la solution ne peut venir que d'un effort de qualification de plus en plus exigeant, a-t-on reconnu dans les nombreuses sessions consacrées au sujet.

Le dilemme de la voiture autonome : tuer ou être tué ?

Si est un domaine où la technologie accélère encore plus vite qu'on ne le pensait il y a seulement un an, c'est bien le secteur automobile, au cœur de la Quatrième révolution industrielle. Selon Mary Barra, la PDG de General Motors, "l'âge des moteurs thermiques dans l'automobile sera bientôt un héritage du passé". Tous les constructeurs l'assurent, on va aller plus vite qu'on ne le pense vers le zéro-émission (batteries électriques et piles à combustible) et vers un certain degré d'autonomie voire une autonomie totale à terme, des véhicules circulant sur les routes.. Cela bouleversera le visage de nos villes et la façon dont nous nous déplacerons.

La Quatrième révolution industrielle va donc changer la façon dont nous vivons, travaillons et sommes en relation les uns avec les autres. Ce qui ne va pas sans poser d'innombrables questions éthiques et morales. Jusqu'où ira la manipulation du génome et la sélection génétique ? Comment les sociétés vont-elles réguler ces progrès, en terme de gouvernance démocratique ? Qui décidera ? Dans le domaine des voitures autonomes, un cas pratique d'utilisation de l'intelligence artificielle a été débattu pendant le forum de Davos. Comment régler l'algorithme de décision ? Quel choix fera-t-il, entre me tuer ou écraser la personne qui traverse sans regarder devant ma voiture ? Dilemme insupportable, qu'aucun des chercheurs en intelligence artificielle ne veut assumer. Personne ne sait qui va décider de la programmation de la machine : l'homme ? Mais alors qui et comment ? Il s'agit d'un choix éthique et politique : si la voiture autonome permet de diviser par dix le nombre de morts sur les routes, ce qui serait un bien collectif, faut-il accepter le risque de tuer quelques-uns pour sauver un plus grand nombre ? On voit bien le risque de dérives éthiques que peut engendrer la quatrième révolution industrielle.

Pour Justine Cassell, doyenne associée de Carnegie Mellon University, "les robots ne sont pas nos compétiteurs, ce sont nos collaborateurs". Il se passera bien du temps avant qu'ils ne deviennent meilleurs que nous. A nous de mettre l'accent sur nos qualités humaines pour en maîtriser l'irruption dans nos vies. Les valeurs d'empathie, d'humour et de bienveillance sont humaines par nature : "le jour où un robot sera capable de tels comportements, alors je le considérerais comme un humain", ironise Henry Greely, doyen de l'université de Standford.

« Creative France », back in Davos

En recevant début janvier les ministres et les chefs d'entreprise de la délégation de la France à Davos, François Hollande avait expressément demandé que l'on en finisse avec le « French Bashing », de tradition dans la station suisse où l'on brocarde à l'unisson la mauvaise volonté supposée de notre pays en matière de réformes. En raison des attentats, la grande soirée que la France devait organiser a été annulée, mais le président, qui était venu l'an dernier à Davos pour lancer la COP21, a réclamé qu'une initiative soit prise pour valoriser l'image du pays. Muriel Pénicaud, la patronne de l'agence Business France, qui fait la promotion du pays auprès des investisseurs internationaux, a donc organisé au mieux un rendez-vous, jeudi 21 janvier, avec la communauté des patrons français et invité neuf des start-up que l'agence avait accompagné, au début du mois, au salon CES de Las Vegas.

Malgré un sentiment d'improvisation, l'opération a été un véritable succès. Tous les PDG ont répondu au slogan prometteur de la soirée, « Be part of the Creative France showcase in Davos », malgré des agendas surchargés, et ont passé plus d'une heure dans les lieux. Informé de la réunion, que devaient présider Laurent Fabius et Emmanuel Macron, Manuel Valls, a du coup décalé son départ de Davos de quelques heures pour venir prêcher la bonne parole, ne ratant pas cette occasion de jouer ce bon tour à son jeune rival et ministre de l'économie. Résultat : quatre membres du gouvernement (Valls, Fabius, Macron, Touraine), une brochette de grands patrons - Jean-Louis Chaussade (Suez), Antoine Frérot (Veolia), Sébastien Bazin (Accor), Patrick Pouyanné (Total), Jean-Pascal Tricoire (Schneider Electric), mais aussi Maurice Lévy, patron de Publicis (dont la filiale Publicis Event organise le forum), suivi de près par Stéphane Fouks, le patron d'Havas, venu avec son poulain Manuel Valls, le plateau était inespéré pour les start-up venues présenter leurs innovations : l'enceinte Phantom de Devialet, l'application anti-pollution Plume de Romain Lacombe, le réveil intelligent, le "scratcheur" de musique sur tablette, le "nespresso" du vin... Le tout sous le regard goguenard d'une dizaine de journalistes français. Pour cette soirée cocorico, mais au final réussie, point de French Bashing à l'horizon. La France, meurtrie par les attentats de 2015, était plutôt placée cette année sous un regard bienveillant à Davos, et auréolée du succès de la COP21, plutôt louée pour l'efficacité de sa diplomatie climatique.

Et tout à coup, Macron efface "de facto" les 35 heures

Emmanuel Macron, nouvelle star de Davos, mais obligé de ronger son frein en France alors que sa loi NOE (nouvelles opportunités économiques) prend l'eau de toutes parts, a pris une belle revanche. Manuel Valls parti, le ministre de l'économie a occupé le terrain, passant d'un dîner du groupe américain ATT à la soirée la plus courue de Davos, celle organisée par Google, où il a pu discuter non seulement avec Eric Schmidt de diverses questions sur les investissements du géant californien, mais aussi des contentieux fiscaux qui empoisonnent les relations du groupe américain avec l'Europe en général et la France en particulier. Emmanuel Macron y a aussi discuté avec le fondateur d'Uber, Travis Kalanick, à propos des moyens "raisonnables" de régler le conflit sur le statut des VTC à une semaine d'une nouvelle grève des taxis (voir ici notre article sur cette rencontre improbable). Enfin, dès le lendemain, vendredi tôt, le ministre de l'économie a lâché les freins devant la presse internationale, explosant la loi sur les 35 heures en reprenant à la surprise générale une mesure qui figure parmi les propositions de Nicolas Sarkozy dans son livre "La France pour la vie".

Devant les médias anglo-saxons ravis, Emmanuel Macron a assuré que la loi sur les 35 heures serait « de facto » vidée de son contenu dans la prochaine réforme du marché du travail qui sera présentée au printemps. Un véritable scoop : sous réserve de la signature d'un accord d'entreprise, la majoration légale des heures supplémentaires (25% en principe pour les huit premières heures, 10% en cas d'accord dérogatoire) pourrait carrément tomber à zéro, ce qui, selon le ministre, signifierait la fin « de facto », des 35 heures. Plus tard dans la journée de vendredi, compte tenu de l'émoi provoqué en France par sa sortie imprévue, le ministre fut beaucoup moins catégorique devant la presse française. Cet effacement de la majoration des heures sup', qui n'est pour l'heure pas retenue par sa collègue du Travail, Myriam El Khomri, qui portera le projet de loi, n'est plus qu'une « souplesse ». Pour Emmanuel Macron, « ce sera aux entreprises de la négocier, selon une démarche de dialogue social identique à la méthode retenue pour libérer le travail du dimanche ». Car « la flexisécurité », c'est avant tout permettre de fixer les curseurs ». Rétropédalage habile, d'autant que le ministre s'est bien gardé de souligner qu'en fait de fin des 35 heures de facto, celles-ci resteront la durée légale et que même sans majoration, les heures travaillées seront payées. Travailler 39 heures coûtera bien à l'entreprise 11,4% de plus qu'actuellement. Ce qui est normal : mettre fin aux 35 heures, cela ne signifie quand même pas revenir aux 39 heures payées 35... Les patrons américains qui auraient pu avoir de tels espoirs en seront pour leurs frais.

La politique de la France ne se faisant pas à Davos, il reste à vérifier si les espoirs d'Emmanuel Macron se concrétiseront ou pas dans la future loi. Mais pour le ministre, bien décidé à incarner l'audace réformatrice, « il y a une forte attente des investisseurs internationaux » à l'égard de la France. Comprendre, une forte impatience... Selon Emmanuel Macron, si nous ne mettons pas un coup d'accélérateur sur les réformes, « il sera difficile de convaincre nos partenaires de faire une relance européenne ».

Alors, la France de retour à Davos ? On le saura l'an prochain, pour la 47ème édition qui précédera l'élection présidentielle du printemps 2017. Une chose est sûre : Business France a déjà pris date pour organiser une grande soirée mettant à l'honneur la France Créative, nos talents, nos start-up et nos réformes. Reste à savoir qui y sera la vedette française : Macron ? Valls ? ou Hollande ? Une chose est sûre, pour les dirigeants socialistes, Davos n'est plus le diable, mais une vitrine internationale et un instrument de communication y compris dans la compétition politique interne. Un sacré changement par rapports aux temps, pas si lointain, où se rendre dans la station chic des Grisons suisses était considéré comme un abandon à l'hydre capitaliste mondialisé, électoralement risqué. Une normalisation bienvenue car comme dit le dicton : quand je me regarde, je m'inquiète, mais quand je me compare, je me rassure... Et à Davos, on se regarde, on se compare et parfois même, on se rassure.

Philippe Mabille

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Commentaires 12
à écrit le 27/01/2016 à 12:39
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Cette politique est concevable dans le court terme. Concernant le conflit entre Uber et les taxis,pourquoi ne pas imaginer une collaboration entre Uber et les taxis.Les taxis utiliseraient Uber en payant un loyer à la société au prorata de leur chif...

à écrit le 27/01/2016 à 12:19
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Le robot au service de l'homme.Chacun pourrait disposer du robot qu'il choisirait et qui ferair le travail à sa place.Ils n'ont aucune imagination c'est lamentable.Ils ne voient que le profit à court terme.Ce sont ces attitudes qui nous conduisent à ...

à écrit le 27/01/2016 à 12:07
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S'ils étaient intelligents ils essaieraient de mettre en place une société où l'homme soulagé du travail pourrait se consacrer à l'essentiel:la spiritualité et imaginer d'autres modes de vie plus sain avec comme principale actvité celle de s'éduquer,...

à écrit le 25/01/2016 à 23:08
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La politique de la BCE est-elle parfaite, concorde-t-elle avec l’intérêt général français, et avec mandat de croissance sans inflation, par exemple à la banque mondiale on publie que depuis 2000, nous ferions plus d’inflation que de croissance ? Quel...

à écrit le 25/01/2016 à 19:26
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On sent notre Mabille bien rassuré par une "....normalisation bienvenue...". Grand bien lui fasse de se sentir du bon côté de la ligne de partage (!?) .

à écrit le 25/01/2016 à 12:19
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personnel du milieu médical a jamais fait 35 heures des heures sup jamais payée tout bnef pour les actonnaires et patrons il faut arreter de monter les patrons contre les ouvriers et ouvriers contre les patrons nos dirigeants a eux de réduire leurs...

à écrit le 25/01/2016 à 11:39
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La suppression des 35 h est une fausse solution. Le problème des entreprises est d'avoir un carnet de commande plein, l'embauche suivra. Mais pour cela encore faut-il avoir des produits qui répondent à la demande et qui ne soient pas en concurrenc...

le 26/01/2016 à 12:07
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Excellent résumé de la situation économique actuelle. Je partage tous vos propos et je ne cesse de le dire dans mes différentes interventions sur le site de La Tribune. Les 35h sont effectivement un faux problème. Il est incompréhensible que plus de...

à écrit le 25/01/2016 à 7:29
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Il faut un Davos de l'énergie, mais avec quels participants?

à écrit le 25/01/2016 à 4:21
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innover pour innover n'a aucune intérêt : il faut créer de la richesse afin de payer les salaires !!!!!

le 25/01/2016 à 8:05
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Et pour créer de la richesse, il faut du travail, du capital, et aussi, et surtout, de l'énergie. On oublie l'énergie, même à Davos ou on la considère comme une simple marchandise. Le prochain Davos sera sans doute à Toulouse. Merci.

le 28/01/2016 à 1:47
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non, créer de la richesse, s'organise surtout au niveau de la création d'entreprise : une entreprise de service créé peu ou pas de richesse d'où les salaires faibles, alors que l'industrie qui doit créer de la richesse peut alors avoir des salaires b...

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