Madame rêve !

La Tribune s’associe avec The Boson Project, l’entreprise lancée par Emmanuelle Duez, pour partir à la découverte de la génération Y (et Z), ses enjeux, ses espoirs, ses craintes et ses rêves. La promesse de ce blog est d’apporter un regard frais et disruptif sur la jeunesse et l’entreprise, avec un ton résolument impertinent, un fond que nous espérons pertinent et un angle qui nous est cher : quel regard porte-t-on sur le monde quand on a moins de 30 ans. Premier article de la série, « Madame rêve ».
L'école 42 de Xavier Niel est ouverte 7j/7, 24h/24, 365j/an - ils vont tout donner entre 3 et 5 ans, pour sortir sur le marché du travail sans diplôme reconnu par l'Etat mais avec tout l'or du monde : une compétence approuvée et reconnue, une capacité de travail éprouvée, un goût de l'effort retrouvé.

Bienvenue dans mes yeux, dans ma tête, dans mon cœur. Bienvenue chez moi. Le moi, c'est un homo numéricus qui n'a pas 30 ans, un serial entrepreneur boulimique, un être humain de type féminin, un animal à sang chaud, à l'instinct de survie omniprésent, qui sait que personne ne l'attend, qui sait que tout ne dure qu'un temps. Une jeune femme comme beaucoup d'autres, qui veut regarder le monde avec envie, dévorer la vie par tous les bouts, croire que tout est possible. Un tas de chair et d'os qui rêve, puisque c'est là le plus bel attribut que nous confère notre humanité.

Rêver ?! M'enfin, ce n'est pas possible ça, regarde donc le monde comme il est : moche, sale, injuste, inégalitaire, autodestructeur. Regarde donc tout ce qui ne va pas, tout ce qu'il faudrait changer. Wake up ma vieille, un peu de lucidité. Rêver de quoi ? Il n'y a plus rien. Rêver pourquoi ? Pour se faire du mal ? Ne rêve pas du monde, ne gâche pas tes rêves pour le monde, mais rêve pour toi. Cultive ton jardin (ou plutôt ta jardinière). Le reste de la forêt a cramé.

Bon. C'est là peu ou prou les messages que j'entends sans les écouter, qui émanent des médias quels qu'ils soient et sortent de la bouche de ceux que nous aurions qualifiés autrefois de « grands leaders ». Je pense (oui, en bonne génération Y, j'ose le je) que non seulement nous avons tord, collectivement, de nous laisser ainsi bercer - ou berner ? - par le confort du ça va mal, parce que non, ça ne va pas mal ; mais qu'en plus il y a un effet pervers à laisser ce genre de discours pénétrer nos âmes, car on devient passifs, on dépose les armes, amplifiant ainsi ce qui, effectivement et objectivement, ne va pas. Donc, moi (j'insiste), j'ai décidé, résolument, de regarder le monde avec envie, sans angélisme mais avec pragmatisme. J'ai décidé... de rêver. Petite démonstration.

Je regarde le monde...

On me parle de faillite des systèmes financiers, sociétaux, politiques, environnementaux ; d'un continent de plastique flottant dans le pacifique ; d'un globe à feu et à sang ; d'écarts de richesse qui s'accentuent ; de flux migratoires gigantesques symptomatiques de la fracture des grands équilibres mondiaux. Etc. Etc. Etc.

On me parle de tout ce qui va mal mais j'ai envie de voir aussi ce qui bouge. Dans quelques semaines se tiendra la 6ème édition du Forum One Young World, Un Jeune Monde en français dans le texte, colloque international qui réunit des milliers d'ambassadeurs du monde entier. Plus de 180 pays représentés, des centaines de projets sont portés par des jeunes de moins de 35 ans à la manœuvre pour changer - ou sauver - leur humanité. Sur scène et pendant 3 jours : un passage de relai entre les grands leaders d'une certaine planète : Kofi Annan, Richard Branson, Mohammed Yunus, John Kerry... et les architectes d'une planète en passe de se réinventer. Le message dominant, peut être crispant pour des oreilles françaises mais très répandu outre-Atlantique, est le suivant : « notre génération a failli, charge à vous d'être les inventeurs de nouveaux modèles de société ». Et ces bâtisseurs d'un autre monde n'ont pas attendu la faillite des grands modèles ni l'autorisation écrite des grands leaders pour prendre leurs responsabilités : blue economy, économie collaborative, partis politiques pirates, explosion de l'entrepreneuriat social et solidaire...  Partout sur le globe émergent des initiatives qui tentent de faire bouger les lignes, d'élargir le champ des possibles, de penser autrement. Des bulles de rêve et d'infini portés par des petits génies engagés. C'est aussi ça, le monde.

Je regarde la France

Et je vois un pays vieillissant, peut-être moins de sa démographie que son état d'esprit. Je vois des leaders qui ont perdu leurs habits d'hommes d'Etat depuis longtemps, je vois des luttes intestines partisanes parfaitement ridicules et presque honteuses dans un contexte comme le nôtre, je vois le FN qui se pavane sur des plateaux télévisuels complaisants, j'observe avec stupéfaction que les prochaines présidentielles vont se rejouer avec les mêmes vieux de la vieille, ceux-là mêmes qui nous lèguent cette épée de Damoclès que sont les 30.000 euros de dette pendante sur la tête de chacun de vos enfants, j'entends les mêmes rengaines droite/gauche qui aujourd'hui me semble davantage relever du concept, de la posture voire de l'imposture que d'une réalité. Je me demande encore, naïvement, comment peut-on être ministre sans avoir jamais travaillé un seul jour de sa vie dans une entreprise normale comme la majorité des Français normaux.

Je vois ça, je l'entends, je l'observe, et pourtant. Je vois aussi un esprit entrepreneurial qui n'a jamais été aussi présent, monter sa boîte est devenu le nouveau cool, les entrepreneurs successfull font figure de héros dans une France qui en a cruellement besoin, la jeunesse ne rêve plus d'être fonctionnaire mais d'être son propre patron (cf enquête La Grande InvaZion), les cadres du haut de leurs tours rêvent de boulangerie, de boucherie, de vignes, de retour à la terre et au sens, les job-outs se succèdent et madame Michu s'imagine en entrepreneur de sa vie.  De cette vague startupienne diablement positive au rêve collectif retrouvé, j'ose croire qu'il n'y a qu'un pas et que nous le franchirons ensemble. La solution est probablement aujourd'hui davantage entre les mains d'une société civile qui recommence à rêver que d'une caste politique qui se castagne toute la sainte journée. Mais n'est-ce pas le sens de l'histoire que ce renversement du pouvoir ? L'homo politicus n'est plus dépositaire du rêve, charge à nous de le retrouver.

Je regarde l'école

Ou plutôt je l'entends, j'entends les contestations et doléances de parents désemparés devant l'inadéquation de l'éducation nationale aux besoins de leurs progénitures. J'entends les appels à la méritocratie, à l'évaluation, à la mise en lumière et en valeur de l'excellence, à la reconnaissance de la différence ; j'entends et je lis que ce modèle unique broie tous ceux qui ne s'y plient pas. J'observe perplexe ce gros mammouth inerte et rigide qu'est l'école face aux mutations sociétales majeures qui la percutent de plein fouet : l'externalisation de notre cerveau et de tout le savoir de l'humanité dans un petit Smartphone, niché dans une poche de jean ; la capacité qu'a n'importe quel élève à  vérifier la véracité des dires du prof, en temps réel, ce qui change considérablement le rapport à l'autorité et au statutaire ; la 'présomption de compétences' dont parle Michel Serres, qui désormais ne teste plus l'acquisition de savoirs mais la capacité à les croiser, à les remettre en cause ou à les mettre en application ; ou encore le fait que cette jeunesse se forme aujourd'hui massivement par elle-même, l'économie de la connaissance rentrant dans son âge d'or, façonnant une nouvelle génération qui se projette en entrepreneur de sa formation (cf enquête La Grande InvaZion).

J'entends tout ça et je vais m'immerger à l'école 42... Ecole d'informatique pour les aptes et les inadaptés du système scolaire classique, elle mélange allègrement les origines sociales, les niveaux scolaires, les couleurs, les histoires, le tout dans un environnement nerd à souhait. Elle recueille beaucoup de ces grands naufragés de l'éducation nationale, pas pour les cocooner mais pour leur donner le gout de la réussite. Recrutés sur la base du potentiel uniquement, après des semaines de tests individuels et collectifs, ces jeunes et moins jeunes vont bosser comme des fous, soirs et WE compris - l'école est ouverte 7j/7, 24h/24, 365j/an - ils vont tout donner entre 3 et 5 ans, pour sortir sur le marché du travail sans diplôme reconnu par l'Etat mais avec tout l'or du monde : une compétence approuvée et reconnue, une capacité de travail éprouvée, un goût de l'effort retrouvé. Tout ça juste parce qu'on leur a fait confiance : pas d'horaire, pas de contrainte, pas de note, un programme adapté au rythme de chacun, des évaluations entre pairs et un leitmotiv : devenir entrepreneur de son destin.

Bref. Vous avez compris. Dans la vie il y a ceux qui broient du noir et ceux qui ont envie d'y croire. J'ai envie de rêver, le monde est en train de changer. A vous de jouer.

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