La fin du début, ou le début de la fin ?

VOTRE TRIBUNE DE LA SEMAINE. La hausse des taux n'est pas finie, mais l'optimisme sans borne des marchés financiers tient encore, sur le fil du rasoir. En France, la vraie crainte n'est pas tant le mouvement social ou le blocage du pays, qui pour l'heure n'est pas une réalité, que la revanche qui pourrait se prendre en 2027 dans les urnes. 2023, c'est vraiment le début, et on est bien loin de la fin.
Philippe Mabille
(Crédits : Brendan McDermid)

Et oui, pour les boomers, ce petit air de la comédie musicale Emilie Jolie rappelle bien des souvenirs, cette « chanson du début de la fin » qui commence comme cela : « Est-ce la fin du début, Ou le début de la fin. Y en a-t-il encore ou plus. Est-ce aujourd'hui ou demain. Est-ce la fin du début ? Ou le début de la fin ? Si vous ne comprenez plus. Nous non plus, on comprend rien ! ». Pourquoi donc ne pas commencer ce week-end avec la chanson de la sorcière qui « a les larmes aux yeux » qui « s'ennuie et désespère » et attend bien sûr son prince Charmant.

Alors est-ce la fin du début ? Ou le début de la fin. Les paroles illustrent bien le temps mort de ce printemps 2023. Entre la fin du début et le début de la fin de la troisième guerre mondiale. Rien de nouveau sur le front russo-ukrainien, on attend l'offensive, des deux côtés. Mais c'est le début, à nouveau sur la question de Taïwan, avec un gros coup de pression de la Chine de Xi Jinpin. Pour célébrer le début de son troisième quinquennat, il a adressé un sérieux coup de semonce en direction de la stratégie des Etats-Unis de « containment » de l'empire du Milieu en mer de Chine. Xi assure vouloir régler la question de Taïwan au cours de son mandat. « How to avoid war over Taïwan ? » s'interroge The Economist. La tension s'intensifie à l'approche d'une visite de la présidente de Taiwan aux Etats-Unis, sans que l'on sache très bien si la menace chinoise n'est que sémantique ou annonce l'approche d'une attaque.

Pour l'instant, tout cela laisse les marchés de marbre, ou presque. Pour les actifs risqués, après deux mois d'euphorie, c'est peut être aussi un tournant, le début de la fin du bull market qui a pris tous les analystes par surprise. C'est que les investisseurs finissent par se rendre compte que ce n'est pas encore l'heure de la fin du début de la remontée des taux d'intérêt. Face à la crainte d'une nouvelle poussée de l'inflation et alors que la reprise économique, chinoise notamment, pourrait alimenter une deuxième vague de flambée des prix du pétrole et du gaz au cours de la seconde partie de l'année, les banques centrales montent la garde. Entre Powell à la Fed et Lagarde à la BCE, le ton reste offensif.

La hausse des marchés a certes des raisons objectives, à commencer par les résultats record des grandes entreprises qui continuent d'annoncer des lendemains qui chantent. Mais comme l'écrit notre journaliste Eric Benhamou, le niveau de stress grimpe sur les marchés financiers, notamment obligataires. Rendez-vous le 22 mars, avec une probable hausse de 50 points de base des taux directeurs américains, deux fois plus qu'attendu. La BCE devrait logiquement en faire autant lors de sa prochaine réunion.

Vers l'explosion de la bulle des startups

Dans ce contexte, un autre sujet commence à inquiéter, l'état de santé des banques américaines. Les difficultés d'une petite banque californienne, la Silicon Valley Bank, ajoutent de l'anxiété en réveillant les souvenirs de l'affaire Lehman Brothers de l'automne 2008. Le Trésor américain surveille cela comme le lait sur le feu. Après le krach des GAFA qui licencient à tour de bras, et celui des cryptos, symbolisé par le scandale FTX, et si c'était au tour de la bulle du capital risque et du financement facile des startups d'exploser en vol ?

La crise de la bulle technologique sera au menu de notre super forum « Tech For Future : penser la Tech autrement » qu'organise La Tribune au Grand Rex le 6 avril prochain, et au cours duquel nous avons invité un panel d'experts pour comprendre les défis du « Big Reset » de la tech... Et assister à la remise des prix aux lauréats de notre concours « 10.000 startups pour changer le monde ». Pour y assister, inscrivez-vous ici.

Et celle de la réforme des retraites ?

La fin du début ou le début de la fin, ce peut être aussi la bonne façon d'aborder la contestation de la réforme des retraites au terme d'une semaine de mobilisation. L'économie est encore loin d'être bloquée, mais les positions restent figées. Le gouvernement dit que sa porte est ouverte aux syndicats mais ne les reçoit pas. Et active l'article 44.3, la procédure de vote bloqué, pour mettre fin aux débats au Sénat.

« Tout cela pourrait mal se terminer, à défaut de la rue, dans les urnes », s'inquiète une grande patronne française. Le patronat, qui s'apprête à changer de tête, est de fait bien silencieux dans cette phase finale de la réforme. La grande crainte, c'est que tout cela fasse le lit de l'élection de Marine Le Pen en 2027... La crise sociale tourne à la crise politique. Emmanuel Macron affirme que le gouvernement reste « à l'écoute » et assure ne pas « sous-estimer le mécontentement » des Français.

A part les 64 ans, on ne voit guère ce que le gouvernement pourrait lâcher de plus. L'équation budgétaire d'une réforme qui était censée rapporter 17 milliards d'euros par an en 2030 devient de plus en plus délicate à manipuler et de se dire : tout ça pour ça

Rendez-vous ce samedi 11 mars pour la suite de la mobilisation avec une grande manifestation de République à Nation. Le patron des patrons des PME, François Asselin, dit à Fanny Guinochet dans La Tribune préférer les manifs du samedi aux blocages de la semaine, qui commencent à affecter l'économie, notamment les approvisionnements en gaz... Heureusement, c'est bientôt le printemps.

Pour tenter de désamorcer la fronde, Emmanuel Macron prépare déjà l'après réforme des retraites avec deux dérivatifs : la réforme des institutions, pour dépoussiérer le fonctionnement de la démocratie et faire oublier le possible 49.3 qu'Elisabeth Borne sera peut-être contrainte de brandir si elle ne parvient pas à obtenir une majorité sur son texte. Vu l'état des esprits à droite, ce n'est pas un scénario à exclure, alors que le patron des LR, le Niçois Eric Ciotti, a donné un carton rouge à Augustin Pradié, son ex numéro 2 devenu un héros malgré lui de la réforme-de-gauche des retraites. Un comble...

Le gouvernement prépare aussi des contre-feux avec notamment une loi sur le Plein emploi dans laquelle il reprendrait plusieurs demandes de Laurent Berger, histoire de calmer le jeu avec le leader de la CFDT devenu si puissant que certains le verraient bien président de la République. Pas lui, a-t-il assuré sur France Inter... Loi plein emploi, loi sur l'industrie verte, le calendrier législatif du printemps se charge de projets, mais de là à faire avaler la pilule des 64 ans à ceux qui rêvent de mai 68, il ne faut pas rêver. A moins que Macron ne rêve, lui, à son « 30 mai » (la grande manif contre-révolutionnaire pro gouvernement de 68), tel un De Gaulle 2.0 dénonçant la chienlit. Histoire que son second quinquennat ne tourne pas en fin du début un peu trop tôt ! Là encore, il ne doit pas trop espérer : selon un sondage Odoxa, moins de 10% des Français soutiennent sans réserve sa réforme, sans doute les déjà retraités. Un beau gâchis. Ce qui alimente la colère de la rue et annonce un final compliqué lors du vote au Parlement, écrit Marc Endeweld dans sa chronique hebdomadaire : Emmanuel Macron invente le crash-test politique...

Le début de la fin, cela a été le cas aussi pour EDF cette semaine avec la mauvaise surprise de la découverte de nouvelles fissures sur plusieurs réacteurs dont Penly. Une incertitude de plus sur les scénarios énergétiques de 2023, à l'heure où se prépare la relance du nucléaire. Et un souci de plus pour le nouveau patron d'EDF, Luc Rémond.

A ce sujet, restez à l'écoute, chers lecteurs et abonnés de La Tribune, car la rédaction vous a concocté un dossier spécial sur la relance de la filière nucléaire, que nous publierons en entier lundi. Douze ans après l'accident de Fukushima au Japon, la décarbonation de nos économies passe par un retour en grâce de cette source d'énergie dont le coup d'envoi a été donné par Emmanuel Macron lors de son discours de Belfort, raconte Marine Godelier dans le papier introductif. Pour le nucléaire civil, c'est sans aucun doute le début de la fin du renoncement qui a détruit une filière d'excellence française, qui sera cependant longue à rebâtir.

La voiture écolo en question ?

Autre événement marquant de la semaine, le veto allemand sur la fin de la production de voitures thermiques en 2035. Un camouflet pour l'Europe qui voit d'un côté les Etats-Unis accélérer dans la transition électrique avec l'IRA (Inflation Reduction Act) et de l'autre l'Allemagne freiner la mobilisation de l'industrie automobile européenne afin de laisser les constructeurs et les consommateurs choisir les motorisations du futur. Entre les batteries et le biofuel à base d'hydrogène (vert ?), Berlin refuse de se laisser enfermer et d'ouvrir la porte de son marché à la voiture automobile chinoise. Le début de la fin pour le consensus écologique ? A l'heure du passage à l'acte, on mesure les obstacles sur le chemin. En France, la révolte gronde contre les ZFE, les zones à faibles émissions devenues pour les extrêmes des zones à forte exclusion et d'assignation à résidence de ceux qui n'ont pas les moyens de changer leurs voitures. Plusieurs métropoles commencent à reculer. Les mêmes doutes commencent à atteindre un autre Z, le ZAN pour zéro artificialisation nette, devenu un obstacle pour construire des logements neufs et implanter les usines de la réindustrialisation verte, comme on commence à le voir dans la vallée de la Seine, écrit notre correspondante en Normandie.

Pris dans les injonctions contradictoires, il ne nous reste plus qu'à espérer que le logo « trimestre anti-inflation » obtenu par Bruno le Maire et Olivia Grégoire de la grande distribution nous sauve du mars rouge. A défaut de grives et de « panier anti-inflation », mangeons des merles. Bref, n'en déplaise au gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, qui espère un retour de l'inflation vers l'objectif des 2% entre 2024 et 2025, on est encore loin du début de la fin du combat contre la hausse des prix.

Philippe Mabille

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Commentaires 3
à écrit le 13/03/2023 à 6:48
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En 2027, sera tres probablement elue haut la main la fille du borgne. Ainsi la boucle sera bouclee. Pour les naifs, rien ne changera puisque cette derniere a bien saisi les arcanes de cette constitution a bout de souffle dont elle profitera comme tou...

à écrit le 11/03/2023 à 11:10
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CHURCHILL (le vrai🤪 pas celui qui fait des commentaires ecolo socialo gaucho primaires 🤣!) se posait la question en Anglais, du "commencement de la fin". Avant la fin il y a toujours un commencement. Chaque seconde est un commencement et une fin. Alo...

à écrit le 11/03/2023 à 9:26
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Dans une mondialisation financière, le moindre déséquilibre qui ne donne pas d'opportunité devient une crise !

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