Un président devrait-il parler de fin de l'abondance ?

VOTRE TRIBUNE DE LA SEMAINE. Fin de l'abondance, des évidences et de l'insouciance : Emmanuel Macron nous a bien plombé la rentrée. Mais avec la flambée des prix de l'énergie, le champion toute catégorie de la déprime est bien Jerome Powell, le tout puissant président de la Fed, qui prédit encore du sang et des larmes pour calmer l'hydre de l'inflation.
Philippe Mabille
« Ceci confirme cette impression persistante qu’il ne comprend pas le réchauffement climatique », a commenté Sandrine Rousseau. © Crédit photo : Capture d’écran Twitter.
« Ceci confirme cette impression persistante qu’il ne comprend pas le réchauffement climatique », a commenté Sandrine Rousseau. © Crédit photo : Capture d’écran Twitter. (Crédits : DR)

Emmanuel Macron a trouvé sa nouvelle ligne politique : nous pourrir la rentrée. Sans attendre les premiers pavés de la colère sociale que l'inflation galopante des prix de l'énergie laisse présager, comme on le voit déjà venir en Angleterre qui a décidé de jouer la carte de la vérité des prix du gaz et de l'électricité plutôt que de la maquiller dans la dette publique, le président de la République a pris les devants dès le conseil des ministres de rentrée par des propos glaçants venus ponctuer un été caniculaire.

« Je crois que ce que nous sommes en train de vivre est de l'ordre d'une grande bascule ou d'un grand bouleversement (...) Nous vivons la fin de ce qui pouvait apparaître comme une abondance ». Des propos étonnants de la part du champion estival du jet ski dont le ministre des Transports Clément Beaune dénonce l'usage abusif des jets privés par les milliardaires. Quand on appelle chacun à ne pas céder à la démagogie, peut-être faut-il commencer par se l'appliquer à soi-même...

Pour Emmanuel Macron, nous vivons aussi la « fin des évidences » avec « la montée des régimes illibéraux et le renforcement des régimes autoritaires » ainsi que "la fin d'une forme d'insouciance ». N'en jetez plus, et prenez un Xanax... Grande bascule, grand bouleversement, régimes autoritaires... il n'en fallait pas plus pour réveiller la sphère complotiste qui a vu dans le choix de ces termes une référence au « Big Reset », la grande réinitialisation appelée de ses vœux par Klaus Schwab, le fondateur du forum de Davos vilipendé pour avoir prédit, tel Cassandre, les malheurs qui nous sont ou vont nous arriver : de la pandémie (Covid) à la pénurie (crise de l'énergie), il n'y a plus qu'un pas à franchir, celui justement de la fin de l'abondance, qui n'est pas, comme son nom l'indique faussement, ce fromage à la pâte pressée demi-cuite, fabriqué en Savoie avec le lait des vaches du même nom... Mais bien l'arrivée à maturité du fameux « monde d'après » annoncé dès le premier jour du premier confinement. Mise en cause de la consommation ostentatoire - l'usage immodéré des jets, l'arrosage des golfs- au prix d'une poussée de la démagogie amplifiée par les réseaux sociaux, angoisse climatique extrême, polarisation d'une société minée par les inégalités et à plusieurs vitesses : voici ce qui advient lorsque le point de bascule est atteint... c'est un peu cela aussi que dit et semble craindre Emmanuel Macron, dans une version moderne du célèbre Sapeur Camember : lorsque les bornes sont franchies, il n'y a plus de limites.

Les années 2020 ont commencé par une fermeture générale mais heureusement temporaire, de toutes les activités humaines (ou presque)... 2022 s'achève dans un climat tropical sur fond au pire de menaces nucléaires, de troisième guerre mondiale entre les Etats-Unis, la Russie voire la Chine, et de famines, au mieux de coupures de gaz et d'électricité. Macron-Cassandre, tout en appelant à ne pas céder à la démagogie, a la prévenance de nous en prévenir : Winter is coming.

L'objectif, on le mesure bien, n'est pas de casser le moral des troupes : le chef de l'Etat use et abuse comme à son habitude de la dramatisation (souvenons-nous du martial « nous sommes en guerre... » de mars 2020) pour appeler à la mobilisation : la solution est en toi, peuple de France, il va juste falloir travailler plus, pas forcément pour gagner plus, mais pour avoir un toit bien chauffé cet hiver.

La fin de l'abondance annonce donc avec certitude une nouvelle ère de réformes sociales dont Elisabeth Borne précisera ce lundi lors des Rencontres des Entrepreneurs de France (REF), ex Université d'été du Medef, à l'hippodrome de Longchamp, le programme des réjouissances : à commencer par celle de l'assurance-chômage, avec une modulation des règles selon les régions pour encourager à la reprise d'un emploi les fainéants qui persistent à ne pas travailler alors que l'emploi lui est abondant si l'on en croit le nombre d'offres non pourvues ; mais aussi allongement progressif de l'âge de départ à la retraite des seniors vers les 65 ans, ainsi que la fin programmée, progressive elle-aussi des 35 heures, via l'encouragement à coup d'exonérations fiscales au rachat par les entreprises des jours de RTT en 2023 et sans doute au-delà. Un petit coup de pouce au pouvoir d'achat des salariés et un gros coup de pouce à la productivité.

Bref, on l'aura compris, la fin de l'abondance a bon dos, elle prépare surtout un changement de braquet vers plus de rigueur, l'austérité n'étant pas loin de la sobriété comme on le verra fin septembre lors de la présentation du budget lorsqu'il faudra payer la facture de la douce négligence des dernières années.

On aurait pu espérer une communication moins plombante : après le sang et les larmes annoncées par Macron, la Première ministre, devenue plus populaire que le président, aura la lourde tâche de vendre aux Français son grand plan pour une sobriété choisie plutôt que subie, une sobriété juste et équitablement répartie. Et pourquoi pas nous vendre la sobriété comme une chance, une opportunité, celle de changer de modèle. Présenter l'inflation comme une « chance » est toutefois difficile à vendre, car la transition, à l'évidence, ne se fera pas sans douleur ni peine : même le président de la puissante Fed, la banque centrale américaine, l'a dit à Jackson Hole, la grande réunion annuelle des grands argentiers, face aux montagnes éternelles du Wyoming : « la lutte contre l'inflation va faire souffrir les ménages et les entreprises américains » et « va prendre du temps », mais « y renoncer serait encore plus dommageable » pour l'économie. Il n'en fallait pas plus pour plomber la rentrée des marchés financiers, qui ont été aussi glacés par la dureté de Powell que les Français par la franchise de Macron.

Alors que les prix du gaz et de l'électricité atteignent des sommets sur le marché de gros, au-delà des 1000 euros le mégawattheure, c'est bien le fonctionnement du marché de l'énergie en France qui révèle ses failles, analyse Marine Godelier. Dans une enquête fouillée, elle en décrypte les causes et les conséquences : entre arbitrage sur l'ARENH, revente d'électricité à prix fort, couverture peu sérieuse et offres mensongères, certains fournisseurs auraient multiplié les combines, au détriment du consommateur. A travers trois épisodes, la Tribune vous propose une immersion dans un univers plus que jamais sous tension : celui du marché de la fourniture d'électricité.

En attendant, le gouvernement cherche des solutions innovantes, comme par exemple faire payer moins cher ceux qui acceptent de se restreindre pendant les pics de demande : en gros, tu ne te laves pas, ne te chauffes pas et ne fais pas de lessives pendant quinze jours par mois et tu auras droit à une réduction sur ta facture annuelle...

En fait, ce qui surprend un peu, c'est le hiatus entre la sombre tonalité du discours de rentrée de Macron et les propos plus rassurants de son ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, qui passe son temps à corriger le tir. Le Maire, qui parlera mardi pour la deuxième journée des rencontres du Medef aura le beau rôle, celui de dire qu'après la pluie, viendra le beau temps... Avec réalisme, toutefois : le pic d'inflation, maintes fois repoussé, n'interviendra pas avant Noël prochain. De là à promettre qu'il faudra manger des patates en grelottant de froid sous des couvertures avec des chaussettes en laine, il ne faut pas pousser l'abondance dans les orties de peur qu'elle ne se retourne contre son promoteur.

Philippe Mabille, directeur de la rédaction

Twitter @phmabille

Philippe Mabille

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Commentaires 24
à écrit le 29/08/2022 à 9:06
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Complètement hors sujet, mais quand E. Macron a-t-il pris le temps de passer son permis de conduire pour le scooter des mers?

à écrit le 28/08/2022 à 11:03
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Bonjour, tant que certains individus gagneront plus de 10 fois le SMIC, nous ne serons pas à la fin de l'abondance.... En plus souvent les plus riches paient le moins d'impôts... Bien sûr ils ne faut pas le dire....

le 28/08/2022 à 12:33
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combien de paris le touquet en falcon 50 la demagogie de m macron exaspere tous les francais son cote en meme temps fatigue tout le monde meme ses interlocuteur etranger c'est peu dire monsieur est dans son monde imaginaire et jamais dans la re...

à écrit le 28/08/2022 à 10:21
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Quelle "fin de l'abondance" ? La Première ministre vient d'annoncer la "mise à disposition" d'un fonds vert de 1,5 milliard d'euros, face à l'urgence climatique, comme ça, sans nous dire comment elle les finance, par redéploiement de crédits ou par ...

à écrit le 28/08/2022 à 8:52
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Si c'est la fin de l'abondance, de très nombreuses entreprises vont faire faillite car la plupart exercent une activité qui répond à nos désirs, non à nos besoins. Seuls les agriculteurs, les médecins et les vendeurs de bois de chauffage vont gagner...

à écrit le 27/08/2022 à 23:04
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Quand il parle de la fin d'abondance, il parle de la fin de l'abondance relative aux moyens de l'état. Cela veut dire que le quoi qu'il en coûte est terminé et qu'il va falloir se serrer la ceinture, car nous fonçons tout droit et à une vitesse verti...

à écrit le 27/08/2022 à 19:36
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Et pendant ce temps une partie de la France rame .....

le 27/08/2022 à 20:49
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C'est pas fini ,un pass énergétique (appelez carte carbone ou pass citoyen selon les journaux ) est en préparation par le gouvernement.Par contre ,on peut dépasser son quota si ,on peut ...payer.

à écrit le 27/08/2022 à 18:44
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Certes les propos n'ont pas été compris car leur expression pouvait prêter à confusion car ils étaient au second degré. Tout le monde ne peut pas comprendre... le second degré.. et tout le monde ne veut pas le comprendre, cela faut du buzz pour M....

le 28/08/2022 à 5:40
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Eh bien, si c'est, comme tu le prétends, du second degré que tout le monde ne peut pas comprendre, je souhaiterais que tu nous expliques ce qu'il a voulu dire car je fais partie de ceux qui ne comprenne pas. EXPLIQUE NOUS toi qui a compris. J'ai hâte...

à écrit le 27/08/2022 à 17:46
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Qu'il parle de la fin de l'abondance n'est pas un problème, mais que pendant les deux années précédentes, il ait parlé de "quoi qu'il en coûte", avec le gaspillage monstrueux qui en a découlé, est problématique

à écrit le 27/08/2022 à 17:31
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Ce jeune homme chevauchant les vagues sur un jet ski, c'est Macron ? Oh ! sans blague. Non !

à écrit le 27/08/2022 à 13:46
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Peut-être, la prochaine fois’ l’inutile préfet à la relance viendra à vélo au lieu de voiture avec chauffeur?

à écrit le 27/08/2022 à 13:11
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Bien entendu qu'un président a le droit d'évoquer la fin de l'abondance. Le problème est que chez Macron cela sonne faux. Il n'a aucune conscience écologique ni environnementale. Il est simplement démago. De plus son néo-libéralisme repose sur l'ultr...

le 27/08/2022 à 22:46
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Vous n'avez n'oublier... insouciance... insouciance ET abondance qu'il a dit ( que c'était terminer la vautrerie beaufattitude ). La veille il ramait devant les photographes dans un canoë bleu, blanc, rouge.. subliminal.. il est.

le 27/08/2022 à 22:46
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Vous n'avez n'oublier... insouciance... insouciance ET abondance qu'il a dit ( que c'était terminer la vautrerie beaufattitude ). La veille il ramait devant les photographes dans un canoë bleu, blanc, rouge.. subliminal.. il est.

à écrit le 27/08/2022 à 11:58
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La société de consommation est une illusion de même la croissance qui est un déséquilibre. Aplatissons notre courbe démographique pour tuer dans l’œuf tous ceux qui vivent des transitions et des business models juteux adossés à la croissance inutile...

à écrit le 27/08/2022 à 11:17
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en quoi un jet ski a t il à voir avec la communication d'un Président ? Abondances et pénuries sont leurs pendants réciproques... Pour les pénuries, ce n'est pas un scoop, elles n'ont pas attendu les mots du Président Macron... Fin de l'abondance. ...

à écrit le 27/08/2022 à 11:08
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Le jetsky c'est l'image qui tue. Hollande en beauf, propriétaire a Mougins qui minorait à la hache ses déclarations fiscales. Sarko étalant sa vie de nouveau riche. Fabius et son auto exonération, etc.. Affligeante classe politique française. Jamais...

le 27/08/2022 à 12:21
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Tout à fait d’accord avec votre analyse. Je rajouterai que s’il doit y avoir un cycle de sobriété, le gouvernement et tout ce qui tourne autour se doivent en premier lieu de montrer l’exemple. Un exemple en proportionnalité avec les temps durs qui no...

à écrit le 27/08/2022 à 10:57
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"Ce qui pouvait APPARAÎTRE comme une abondance". La fin de l'abondance mérite au premier abord de qualifier l'abondance. Elle n'a pas la même réalité pour un Smicard qui a des fins de mois difficiles et une personne fortunée pour laquelle ne pas p...

à écrit le 27/08/2022 à 10:43
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Macron tient des propos extrêmement choquants pour tous les travailleurs modestes de ce pays qui ont du mal à payer leur loyer, se chauffer et manger correctement et qui sont rongés par les privations et les lendemains incertains. L'abondance, ils ne...

le 27/08/2022 à 11:29
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@Tiersétat: Heureux de rencontrer enfin un membre du Tiers Etat. Rappelons que nous sommes représentés par 577 Hauts Salariés à l'Assemblée Nationale avec leur cohorte d'assistants, dont certains à la mode Fillon; on peut dire qu'ils sont grassement ...

à écrit le 27/08/2022 à 8:36
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McKron n'a voulu que simplement confirmer que: le "quoi qu'il en coûte" a permis, par "ruissèlement" inversé, de transférer l'abondance empruntée vers les nantis et autres intermédiaires!;-)

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