Mobiliser les politiques européennes au service de la reconquête industrielle

En matière de relance économique, nécessité fait loi. 1900 milliards de dollars injectés dans l’économie américaine, 750 milliards d’euros prévus pour l’Union Européenne, un plan massif de transferts budgétaires et une politique fiscale fortement incitative en Chine ... La relance se pense désormais à l’échelle des continents. (*) par Pierre Goguet, président de CCI France.
Pierre Goguet est le président des chambres des commerces et d'industrie en France.
Pierre Goguet est le président des chambres des commerces et d'industrie en France. (Crédits : DR)

C'est tout le défi européen pour les années à venir. Face aux enjeux, les initiatives nationales doivent être relayées, coordonnées et amplifiées au niveau européen, pour gagner en efficacité. Sans taille critique, l'Europe risque de se marginaliser : les Etats Unis et la Chine ne concentrent-ils pas à eux seuls 90% des plateformes numériques au niveau mondial, contre à peine 3,6 % pour l'Europe ?

On le sait, l'Union a de nombreux atouts à valoriser pour mieux peser dans le concert mondial : un vaste marché intérieur, de fortes chaînes de valeur, des infrastructures de qualité, une main d'œuvre qualifiée, des pôles d'excellence en matière de recherche et d'innovation. Il lui reste à trouver plus d'efficacité pour mettre en musique de manière coordonnée les dispositifs annoncés.

Concrétiser les décisions

Il est vrai que le fait d'avoir à faire valider l'emprunt européen et les ressources propres par les parlements nationaux - sans compter la désormais difficilement évitable Cour constitutionnelle allemande - ne simplifie pas les choses. Il faut pourtant concrétiser les décisions prises au niveau de l'UE au plus vite. Le besoin de solvabilité des entreprises est toujours aussi fort et l'objectif de l'UE doit être de remettre l'économie sur les rails, comme le font nos concurrents sans états d'âme.

Les axes prioritaires sont connus, et globalement partagés : la double transition, numérique et énergétique, autour d'écosystèmes associant la recherche et le monde de l'entreprise. Le travail est centré sur une économie résiliente et décarbonée qui rattrape son retard à l'horizon 2050.

Dont acte, mais on attend cependant des clés de lecture dans les propositions à venir de la Commission. Les 14 écosystèmes identifiés devront trouver très vite leurs modes de fonctionnement. Comment concrètement intégrer les grandes entreprises comme les PME dans le cadre de ces nouvelles filières ? Comment assurer les débouchés territoriaux de l'hydrogène ou de l'Europe des batteries et construire les écosystèmes numériques de chacune des filières ? Comment également bien déterminer les contours de cette fameuse taxonomie, qui conditionnera à l'avenir les aides aux investissements au respect des objectifs stratégiques en termes de développement durable ?

Retour nécessaire de la confiance

Sur le terrain, la lisibilité restera l'élément clé pour créer la confiance. Et beaucoup reste à faire en termes de coordination entre les différents dispositifs d'intervention : plan de relance, Invest EU, Banque Européenne d'Investissement, fonds structurels, fonds de transition juste, intermédiaires financiers ... Les interactions doivent être clarifiées entre l'Europe, l'Etat, et les collectivités. Les règles applicables aux partenariats public/privé en termes d'ingénierie financière et de cadre légal sont à réinventer. L'ampleur des investissements nécessaires pour financer les transitions verte et numérique
ne permettra pas au secteur privé d'y aller seul.

Les nouveaux « Projets Importants d'Intérêt Européen Commun » (PIIEC), véritables alliances européennes, devront être rendus compatibles avec les règles anticartels. Certaines concentrations dérogatoires à l'orthodoxie de la concurrence seront nécessaires pour aider à l'émergence de champions européens, et les coopérations entre grands groupes et PME devront être encouragées. La crise l'a montré : si l'on veut parler d'autonomie industrielle et stratégique, les entreprises européennes de croissance devront rapidement pouvoir trouver leurs ressources sur les marchés financiers européens, et non pas à l'extérieur. Une idée pourrait être de drainer l'épargne européenne vers l'investissement dans les entreprises, par la mise en place de mécanismes incitatifs communs.

La cohérence interne appellera également une cohérence externe, en prônant une Europe moins « naïve », ayant plus de poids à l'OMC, mais aussi en renforçant le contrôle des investissements étrangers. Les discussions sur ces sujets sont désormais lancées et il faut s'en féliciter. L'autre question majeure à l'international est bien sûr celle de la mise en place du mécanisme commun d'ajustement carbone aux frontières, de façon à rétablir les équilibres dans les échanges. Le produit de cette nouvelle « ressource propre » de l'Union, qui sera perçue sur les industriels, aura d'ailleurs avantage à être réinvestie dans le financement de la décarbonation de l'industrie européenne elle-même.

Réciprocité dans les marchés publics

La réciprocité entre l'UE et ses partenaires commerciaux doit être également recherchée dans l'accès aux marchés publics. On le sait, entre le « Buy American Act », la quasi-impossibilité d'accéder aux marchés publics des pays émergents ou le « Buy Chinese », nos grands concurrents réservent la commande publique à leurs entreprises nationales. Dans ce cadre, le souci constant d'ouverture des marchés publics européens au reste du monde doit être repensé. En Europe, la commande publique est un levier important de croissance avec 2.000 milliards d'euros par an, soit près de 14% du PIB de l'UE. Pourquoi ne pas rétablir les équilibres dans ce domaine également et adopter un « Buy European Act » avec une forme de préférence communautaire dans certains secteurs ?

On le voit, la crise que nous affrontons est une véritable opportunité pour l'Europe de faire autrement. C'est une bonne chose, mais sans toutefois oublier les secteurs durement touchés par la pandémie au quotidien : commerçants indépendants, services, autoentrepreneurs, entreprises plus traditionnelles, petites structures ... Ces entreprises représentent des centaines de milliers d'emplois de proximité et sont une composante essentielle de l'attractivité de nos villes et villages. Une stratégie PME autonome
multisectorielle reste indispensable si l'on veut réussir la relance. Les besoins d'accompagnement sont énormes. De même, un important travail doit être entrepris sur la mise au niveau des compétences, la reconnaissance mutuelle des acquis de l'expérience et la définition de référentiels communs aux Etats européens en matière de formation professionnelle et d'accompagnement au changement.

Les Chambres de Commerce et d'Industrie sont prêtes à prendre toute leur part dans ce nouvel ensemble, en lien étroit avec les besoins des territoires. La semaine européenne des CCI, que nous organisons du 3 au 9 mai dans le cadre de la préparation de la Présidence française, aura pour fil rouge « une Europe concrète et visible par les entreprises ». C'est bien tout l'enjeu d'une relance et d'une politique industrielle réussies : de l'Europe au terrain, avec un réel impact sur le développement économique local, porteur des emplois de demain.

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Commentaires 2
à écrit le 09/04/2021 à 10:13
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Une politique de conquête industrielle pourquoi faire? Je ne vois que deux motifs: remuer des actifs financiers et distribuer des dividendes!

à écrit le 09/04/2021 à 8:50
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"750 milliards d’euros prévus pour l’Union Européenne" Pour l'instant la cour suprême allemande a bloqué cette promesse d'il y a un an je vous ferais dire ! Comment pouvez vous colporter si tranquillement ce qui est pour l'instant un mensonge ? A...

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