Aluminium  : le lent poison des taxes douanières

ANALYSE. Les sanctions américaines sur l'aluminium gênent les producteurs européens de semi-finis car les Chinois ont réorienté leurs exportations vers le Vieux continent. Et les protections européennes ont des effets pervers. Par Daniel Vigneron, journaliste spécialisé dans les questions internationales, fondateur du site myeurop.info (*).
(Crédits : Reuters)

Il y a un an, le 1er juin 2018, Donald Trump imposait à l'Union européenne, au Canada et au Mexique des tarifs douaniers à l'importation de 25% sur l'acier et de 10% sur l'aluminium après l'avoir fait, deux mois auparavant, à l'encontre de plusieurs pays dont la Chine. Une décision qui, en plus de s'avérer inefficace, allait en fait conduire à dynamiser de façon significative les exportations chinoises mondiales, et notamment en Europe. Le 17 mai dernier, le président américain annonçait, dans le cadre du nouveau traité de libre-échange nord-américain, la levée de ces barrières pour le Mexique et le Canada. En revanche, celles-ci sont maintenues pour les autres et, en particulier, pour l'Union européenne.

Un secteur très sensible

Si l'on s'intéresse au secteur très sensible de l'aluminium dont la production mondiale provient à près de 60% de Chine, les pays européens n'ont pas souffert directement de ces nouveaux droits de douane. Ainsi, en 2018, avec sept mois de tarifs américains rehaussés, les exportations d'aluminium de l'UE vers les Etats-Unis se sont accrues de 24% (à 2,2 milliards de dollars) par rapport à 2017, tandis que les ventes du Canada y ont décru de 3% (à 8,2 milliards). Ce n'est pas le cas de la Chine dont les ventes d'aluminium aux Etats-Unis ont chuté de 15% (à 3 milliards de dollars). La chute atteint même 50% pour les ventes chinoises d'aluminium semi-fini.

Et pourtant, les exportations mondiales d'aluminium chinois se sont accrues de 21% l'an dernier ! Cherchez l'erreur... En allégeant sa fiscalité dissuasive sur les exportations de matières premières, Pékin a réussi à réorienter spectaculairement ses ventes à l'étranger de manière à plus que compenser ses pertes sur le marché américain. Et une des cibles privilégiées de la Chine a été l'Union européenne, qui importe des quantités croissantes d'aluminium semi-fini chinois. Ainsi, l'an dernier, la Chine a représenté 25% des importations européennes de produits plats (tôles principalement utilisées dans l'industrie automobile et le bâtiment) et 34% des importations de produits extrudés (tubes, fibres...). Par rapport à 2005, les importations européennes de produits plats en provenance de Chine sont passées de 12.000 à 241.000 tonnes par an, celles de produits extrudés, de 22.000 à 146.000 tonnes.

On peut ainsi mesurer la pression concurrentielle qui s'exerce sur les producteurs européens d'aluminium semi-fini, ceux-là même qui emploient plus de 90% des effectifs de l'ensemble de l'industrie de l'aluminium et réalisent 70% de son chiffre d'affaires. Cette industrie européenne des semi-finis doit, pour s'approvisionner en aluminium brut, largement recourir aux importations - essentiellement de Russie, du Mozambique, des Emirats Arabes Unis, de Norvège et d'Islande - puisque la production de l'UE ne couvre que 26% de ses besoins.

Prime de marché

Or il se trouve que, pour soutenir sa production d'aluminium primaire, l'Union européenne impose depuis plus de vingt ans, des droits de douanes de 3% à 6% sur les importations en provenance des pays dépourvus d'accord de libre-échange, en particulier la Russie et les pays de la région du Golfe. Mais ces droits s'appliquent également de facto aux importations non soumises aux tarifs et même aux ventes des producteurs européens - sous la forme d'une prime de marché.

C'est ce que vient récemment de mettre en lumière la Fédération des consommateurs d'aluminium en Europe (FACE), en s'appuyant sur une étude très documentée de l'Université libre internationale d'études sociales de Rome (LUISS) dévoilée à l'occasion d'une table ronde organisée par Politico. Les producteurs européens d'aluminium brut s'alignent en effet sur le prix des produits taxés en récupérant la différence, contrairement aux producteurs étrangers soumis à des tarifs alimentant bien sûr le budget de l'UE. En clair, cette « prime » a le même effet qu'une subvention aux producteurs. Les chercheurs de l'étude commandée par FACE évaluent ainsi jusqu'à 18 milliards d'euros le surcoût engendré pour les fabricants européens d'aluminium semi-fini. Et recommandent expressément aux instances de l'Union de supprimer ces tarifs douaniers contreproductifs.

Car contrairement à l'objectif initial, ces droits de douane n'ont pas enrayé l'affaiblissement de la production européenne d'aluminium brut, qui n'a cessé de décliner depuis 2005 (-35%) du fait du coût croissant des énergies s'ajoutant aux coûts fixes (main d'œuvre, etc.) En somme, cette protection douanière et la prime de marché qui lui fait miroir se sont montrées inefficaces à protéger les alumineries européennes. En revanche, ces dispositifs ont été particulièrement dommageables pour les consommateurs d'aluminium brut que sont les producteurs d'aluminium semi-finis. Ceux, justement, qui subissent de plein fouet le choc de la concurrence chinoise...

Ce faisant, les auteurs de l'étude s'inscrivent parfaitement dans l'esprit du document d'orientation publié par la Commission européenne en 2014 intitulé : « Pour une renaissance industrielle européenne ». Une politique industrielle à l'échelle continentale qui se fait toujours attendre ainsi qu'en atteste cette absence de stratégie cohérente en matière de maximisation de la valeur dans le secteur de l'aluminium.

La morale de cette histoire un peu complexe est très simple. Quelle que soit la légitimité apparente de leur justification, la mise en place de tarifs douaniers est une manœuvre dont il est toujours difficile de mesurer les conséquences. La guerre commerciale allumée par Donald Trump n'a pas fini de faire des victimes. Mais pas forcément celles que Washington visait initialement...

 (*) myeurop.info

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