Les PME européennes sous la menace d'une épée de Damoclès d'aluminium

La décision de Donald Trump d'imposer des taxes supplémentaires sur les importations américaines d'aluminium a des conséquences diverses pour nombre de pays producteurs, notamment européens. Par Daniel Vigneron, journaliste spécialisé dans les questions européennes et internationales, fondateur en 2010 du site myeurop.info (*).
(Crédits : Reuters)

C'est désormais une habitude. Lorsqu'il prend une décision, Donald Trump aime à l'annoncer lui-même par un tweet. Mais il adore aussi la mise en scène. Ainsi, le 8 mars dernier, c'est entouré d'ouvrier métallurgistes que le président des Etats-Unis a annoncé qu'il avait décidé d'imposer au reste du monde une hausse des tarifs douaniers à l'importation de 25% sur l'acier et de 10% sur l'aluminium. Après avoir bénéficié d'une exemption temporaire de ces sanctions, le Canada et l'Union européenne (UE) sont effectivement frappés depuis le 1er juin.

Concernant l'aluminium, au delà des conséquences néfastes pour les Etats-Unis eux-même puisque les sanctions de Trump menacent la compétitivité de milliers d'entreprises américaines consommatrices de ce métal, les conséquences potentielles directes des tarifs sur les exportateurs mondiaux sont très inégales. En première ligne figure le Canada qui représente plus du tiers des importations américaines d'aluminium primaire ou transformé, puis la Chine, qui vend outre-Atlantique surtout des produits transformés.

Préjudice relativement limité

Pour ce qui est de l'Europe, son préjudice éventuel est relativement limité dans la mesure où les exportations d'aluminium de l'UE vers Etats-Unis n'atteignent pas 2 milliards de dollars (sur un total de 23) dont moins de 300 millions d'aluminium français. Comme l'explique Marc Thoman, responsable des approvisionnements chez Eurofoil (500 emplois en Normandie et au Luxembourg) qui expédie 10% de sa production de feuilles d'aluminium outre-Atlantique, «  les Américains devraient nous payer le surcoût car le renchérissement des feuilles d'aluminium venant de Chine - menacées de taxes beaucoup plus lourdes - va les contraindre à se retourner vers nous ». Cela dit, comme le souligne un autre acteur du secteur, « l'Europe ne va pas manquer de subir la concurrence accrue de produits transformés en aluminium made in China qui, pénalisés aux Etats-Unis, risquent de se réorienter vers l'Europe ». Et Marc Thoman de rappeler : « la production d'aluminium primaire, c'est 1.500 emplois en France ; mais le secteur de la transformation concerne 100.000 personnes ». Néanmoins, pour des milliers de PME européennes et françaises sous-traitantes des grosses industries consommatrices d'aluminium, la vraie menace vient d'ailleurs.

Le 6 avril dernier, pour répondre, dixit Washington, « à l'ensemble des attitudes éhontées et des activités néfastes du gouvernement russe qui se poursuivent à travers le monde », l'administration américaine annonçait de nouvelles sanctions contre 38 entités russes (personnes et entreprises) s'ajoutant aux 24 entités déjà ciblées à la mi-mars. Parmi les oligarques visés, Oleg Derispaska, le propriétaire du géant russe de l'aluminium Rusal qui représentait, en 2016, 6,5% de la production mondiale d'aluminium et d'alumine (qui se transformera en métal après un processus d'électrolyse). Le groupe russe fournit le quart de la consommation européenne d'aluminium brut et 40% constitue des importations de l'UE.

Autant dire qu'une interdiction de commercer avec Rusal est un coup dur pour l'industrie européenne qui, note l'acteur du secteur précité, « est très déficitaire en aluminium (4 millions de tonnes par an) tandis que la consommation mondiale progresse très vite, contrairement à la production du fait de coûts énergétiques élevés. A cela s'ajoute la tendance haussière des prix du métal engendrée par la sous-production mondiale ». Une tendance aggravée par les sanctions russes puisque, dans la semaine qui a suivi leur annonce, le cours de l'aluminium a bondi de 2.100 à 2.700 dollars la tonne. Chez Trimet, à St Jean de Maurienne - 180 cuves d'électrolyse - comme chez Aluminium Dunkerque (ex-Péchiney), première fonderie européenne dont les 264 cuves produisent chaque année 284.000 tonnes d'aluminium alimentant toutes les grandes industries du transport, du bâtiment et de la distribution, c'est la panique : les livraisons d'alumine de Rusal risquent de s'interrompre et l'on entrevoit avec frayeur la perspective de devoir arrêter les cuves qui, selon un spécialiste, « mettraient ensuite 4 à 5 mois pour redémarrer. Cela peut se chiffrer en centaines de millions d'euros de pertes ». L'industrie française - automobile et aéronautique notamment, déjà menacée de pénurie d'aluminium par une interruption de l'arrivée de métal russe serait, de surcroît, privée de 65% de la production nationale !

En termes d'approvisionnements, les alternatives ne sont pas évidentes. Le marché est en déficit et les autres fournisseurs sont surchargés. « S'il faut aller chercher de l'alumine au Brésil, en Australie, en Jamaïque, les coûts du transport vont être plus lourds et entrainer une perte de compétitivité », affirme notre deuxième interlocuteur. Soulignant par ailleurs que la Chine exporte surtout des produits transformés, il y a selon Marc Thoman « un risque de déficit en métal primaire pour les deux à trois ans à venir en attendant que se concrétisent les investissements en cours au Moyen-Orient, en Thaïlande et en Indonésie. Donc les tensions sur les prix risquent de s'aggraver».

Sombres perspectives, donc. Heureusement, le pire n'est pas sûr puisque, le 23 avril, considérant « l'impact sur ses partenaires et alliés », le département d'Etat américain a suspendu les sanctions contre Rusal jusqu'au 23 octobre. Et déclaré exempter jusqu'à cette date de sanctions secondaires les entreprises non-américaines travaillant avec le groupe russe. Des sanctions extra-territoriales particulièrement redoutées par les groupes internationaux qui ont des liens importants avec les Etats-Unis et se financent en dollars. Pour le moment, l'heure est au soulagement. Mais le répit est provisoire et Donald Trump, on l'a vu, peut changer brutalement d'avis et lâcher un nouveau tweet...

Ainsi, en attendant que des discussions aboutissent entre Russes et Américains, l'industrie européenne reste-t-elle sous la menace d'une longue épée de Damoclès américaine. Elle a beau être en aluminium, sa chute ferait des dégâts !

(*) Pour consulter le site myeurop, cliquez ici.

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Commentaires 2
à écrit le 12/07/2018 à 12:56
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résumé de la situation : l'administration américaine fait la pluie et le beau temps sur le droit de commercer ou pas avec certains pays ou entreprises . les gouvernements européens baissent la tête et obéissent. les entreprises européennes en paien...

à écrit le 11/07/2018 à 9:46
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"Concernant l'aluminium, au delà des conséquences néfastes pour les Etats-Unis eux-même puisque les sanctions de Trump menacent la compétitivité de milliers d'entreprises américaines consommatrices de ce métal," D'ailleurs qu'est-ce qu'ils ont pe...

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