Confinement à Shanghaï et "zéro Covid" : le crash-test de la résilience des Chinois

ANALYSE. La population de Shanghaï, l’une des villes les plus peuplées du monde, endure un confinement extrêmement strict. Témoignage et analyse « de l’intérieur ». Par Fabien M. Gargam, Université Paris-Saclay
(Crédits : CARLOS GARCIA RAWLINS)

Environ 400 millions d'habitants localisés dans 45 villes chinoises font depuis des semaines l'objet d'un confinement plus ou moins strict dû à la recrudescence du variant Omicron.

Enseignant-chercheur de nationalité française, l'auteur du présent article vit lui-même un confinement partiel à proximité de Shanghaï. Ce texte a été coécrit avec Yuzhen Xie, cadre de nationalité chinoise dans une entreprise multinationale qui, pour sa part, se trouve en situation de confinement total à l'intérieur de la ville.

L'étude porte sur Shanghaï mais la réflexion est transposable dans tout l'empire du Milieu.

La nouvelle capitale du monde économique confinée

Shanghaï est aujourd'hui le « poumon économique » de la République populaire de Chine, elle-même « futur centre du monde économique ».

Trois classements internationaux permettent de mieux visualiser la puissance de cette mégapole : elle occupe le troisième rang des villes les plus peuplées du monde, recensant plus de 25 millions d'habitants ; elle est la troisième place financière mondiale et première asiatique, ayant traité plus de 2 500 000 milliards de yuans (environ 350 000 milliards d'euros) de transactions en 2021 ; et elle a été classée, pour la douzième année consécutive, premier port mondial à conteneurs en 2021.

Confrontée à une résurgence épidémique en mars, Shanghaï s'était initialement montrée réticente au confinement total de sa population compte tenu de l'importance de la mégapole pour l'économie chinoise et mondiale. Cependant, la flambée des cas a vite rétabli la stratégie dite « zéro Covid », ayant pour objectif d'éviter les décès et l'engorgement du système sanitaire. La mise sous cloche de 25 millions d'habitants à Shanghaï en deux phases a été officialisée le 27 mars 2022. À cette date, la ville comptabilisait 52 cas symptomatiques et 3 450 cas asymptomatiques.

Le confinement de Shanghaï vu de l'extérieur

La stratégie dite « zéro Covid » mise en œuvre par la Chine laisse les médias étrangers, et notamment français, dubitatifs. Ils questionnent son coût et son efficacité, et soulignent ses effets négatifs, parmi lesquels on peut citer la fermeture de certaines usines, le ralentissement des transports de marchandises, le recul de la consommation et le malaise de certains habitants. Celui-ci s'est exprimé de diverses façons : crismécontentement et incompréhension.

À l'instar du confinement strict à Wuhan pendant 76 jours en 2020, les mesures coercitives appliquées à Shanghaï ont déclenché des signes de protestation qui sont néanmoins restés minoritaires. Tout bien considéré, les médias français dépeignent la stratégie chinoise comme de l'obstination et la déclaration de Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l'IRIS, l'illustre clairement : « La Chine n'est pas la France, où Olivier Véran peut dire tout et son contraire en huit jours. Si Xi Jinping change de stratégie, cela voudra dire qu'il s'est trompé, ce qui passerait plutôt mal ».

Les médias reportent également les répercussions du confinement sur la communauté des expatriés. Du côté des organisations, Sybille Dubois-Fontaine, directrice générale du Comité France Chine, exprime les difficultés pour les sièges parisiens de gérer à distance leurs filiales sans pouvoir se déplacer. Du côté des individus, leur nombre a diminué de 21 % entre 2010 et 2020 jusqu'à représenter 0,72 % de la population shanghaïenne selon les derniers chiffres du recensement. Les Français ressentent de la déception et certains envisagent même de quitter la Chine en raison des mesures drastiques déployées. De plus, ils n'ont pas pu se rendre aux urnes pour participer à la présidentielle 2022 puisque le vote en ligne n'est pas autorisé.

Le confinement de Shanghaï vu de l'intérieur

Dans la sphère professionnelle, le télétravail (居家办公, ju jia ban gong) est devenu le nouveau quotidien des citadins shanghaïens.

Dès le 6 mars 2022, Yuzhen Xie a reçu des consignes de son employeur lui conseillant de travailler à domicile. Malgré les incommodités du confinement, tous ses collègues continuent de travailler de manière efficiente et les résultats de son équipe ont même été améliorés en mars et en avril par rapport à janvier et février. Par ailleurs, plusieurs personnes de l'entourage des deux auteurs se sont inscrites en tant que bénévoles (志愿者, zhi yuan zhe). Elles prennent ainsi en charge la livraison des colis et vérifient que les habitants restent bien chez eux au sein de leur résidence (小区, xiao qu). Très répandus en Chine, ces complexes résidentiels fermés comportent un nombre d'accès limité, ce qui garantit les contrôles de sécurité.

Dans la sphère privée, le dépistage et l'achat groupé rythment la vie quotidienne.

Les tests PCR (核酸检测, he suan jian ce) effectués très régulièrement par des personnels médicaux et les tests antigéniques (抗原检测, kang yuan jian ce) réalisés quotidiennement par les habitants eux-mêmes sont gratuits pour eux et permettent d'identifier les cas positifs sans délai. Concernant les tests PCR, les équipes médicales débarquent presque tous les jours là où réside Yuzhen Xie. Étant donné que les heures de leur venue ne sont pas communiquées à l'avance, les résidents sont obligés de rester sur le qui-vive et de descendre faire le test dès que leur numéro d'immeuble est appelé au mégaphone. Quelques minutes de retard suffisent pour manquer un test car les 636 foyers du complexe résidentiel doivent être échantillonnés en moins de deux heures. Les habitants qui manquent un test peuvent voir leur code de santé passer du vert au jaune, ce qui a pour conséquence directe d'être contactés par les autorités locales.

Concernant les tests antigéniques, Yuzhen Xie reçoit chaque jour plusieurs kits de dépistage et a l'obligation d'envoyer la photo du résultat de son test dans un groupe WeChat (微信群, wei xin qun) composé de ses voisins d'immeuble. Cette communauté en ligne mise en place par le comité de résidents (居委会, ju wei hui) a vu le jour pendant le confinement pour faciliter l'entraide, l'échange d'informations en temps réel et la surveillance de l'envoi des photos.

L'achat groupé (团购, tuan gou) est une pratique d'e-commerce originaire de Chine qui consiste à regrouper des demandes particulières pour effectuer des commandes en gros afin de réduire le prix des produits et des services. Cette formule mutualisée s'est révélée indispensable pour s'approvisionner directement auprès des fournisseurs et des usines durant la quarantaine, et ce, pour trois raisons. Primo, la quasi-totalité des magasins et des restaurants demeurent fermés, y compris leur service de livraison à domicile. Secundo, les paniers garnis offerts ne suffisent pas à celles et ceux dont le déconfinement a été reporté sine die. À titre d'exemple, Yuzhen Xie en a reçu seulement six depuis le 1er avril 2022. Tertio, les plates-formes numériques disponibles, telles que 美团买菜 (mei tuan mai cai)盒马鲜生 (he ma xian sheng) et 叮咚买菜 (ding dong mai cai), n'ont pas assez de produits ou de livreurs pour subvenir aux besoins de toute la population shanghaïenne.

Yuzhen Xie s'est donc tournée vers l'achat groupé. Elle a rejoint une dizaine de groupes WeChat grâce auxquels elle s'est fait livrer du pain, des fruits, des nouilles instantanées et des plats cuisinés auto-chauffants. Pour assurer leur bon fonctionnement, chaque groupe dispose d'un commando (团长, tuan zhang). Ce terme, qui possède une connotation militaire en mandarin, a été adopté en partie pour honorer les personnes qui organisent l'achat groupé sur la base du volontariat. Un commando gère l'intégralité du processus et ses tâches sont diverses et variées : rassembler les commandes, collecter les paiements, négocier avec les commerçants, superviser les aspects logistiques, désinfecter, trier et distribuer les produits livrés avec le support des bénévoles.

Une situation de crise(s) abordée différemment

Adopter une posture d'extériorité ou une posture d'intériorité pour étudier un phénomène courant et à portée de main génère des différences significatives de lecture. Lorsque le phénomène analysé, comme ici, est exceptionnel et comporte de fortes contingences culturelles, les différences de lecture deviennent abyssales.

Du côté occidental, le confinement qui perdure à Shanghaï s'apparente à une impasse qui est caractérisée par l'emploi d'un vocabulaire mortifère tel que « se suicider », « remède pire que le poison », « déshumanisation » ou encore « dictature ».

Du côté chinois, ce confinement s'inscrit dans une gestion cohérente de la pandémie.

Le confinement prolongé à Shanghaï révèle de nombreuses facettes de la réalité chinoise. La mobilisation simultanée de la posture d'extériorité et de la posture d'intériorité a permis d'identifier de façon saisissante l'une d'entre elles : une résilience singulière à toute épreuve. À la différence de la résilience occidentale, la résilience chinoise n'a absolument rien à voir avec l'héroïsme.

Bien au contraire, elle constitue l'une des composantes de la norme sociale de l'empire du Milieu, ce qui la rend d'ailleurs difficilement perceptible. La culture chinoise façonnée par une civilisation millénaire contribue grandement à l'activation de la résilience. En effet, le peuple chinois puise dans ce référentiel inépuisable pour faire face aux difficultés du présent. Plus précisément, il partage des valeurs communes, ce qui explique pourquoi la plupart des Chinois agissent rapidement dans la direction tracée par le gouvernement. Pour s'en convaincre, il suffit de consulter l'étude publiée par l'université Harvard en 2020 qui met en évidence la satisfaction des Chinois à l'égard de leur gouvernement central et notamment des politiques menées qui impactent favorablement leur vie au quotidien. Leur niveau de satisfaction évolue même positivement puisqu'il est passé de 86,1 % en 2003 à 93,1 % en 2016.

Les expressions classiques souvent composées de quatre caractères (成语, cheng yu) matérialisent une clé pour appréhender la résilience chinoise. Trois expressions en particulier cristallisent les comportements résilients des Chinois face aux difficultés. Tout d'abord, 居安思危 (ju an si wei) signifie penser au danger en temps de sécurité. Ensuite, 随遇而安 (sui yu er an) signifie se sentir à l'aise avec ce que l'on a sans se plaindre. Enfin, 自强不息 (zi qiang bu xi) signifie s'améliorer sans relâche quoi qu'il arrive. On peut ainsi constater que le peuple chinois garde à l'esprit la vigilance, l'adaptabilité et la persévérance.

L'indice de changement vécu matérialise une autre clé pour appréhender la résilience chinoise. En se basant sur la croissance du PIB par habitant entre 1990 et 2020, la Chine affiche un indice de 32,8 alors que celui des États-Unis plafonne à 2,7. On peut ainsi constater que le peuple chinois a expérimenté un niveau de changement sans précédent à l'échelle planétaire.

Tous ces éléments remplissent pleinement la définition de la résilience formulée par la spécialiste du domaine Diane Coutu, à savoir « l'aptitude et la capacité à être robuste dans des conditions de stress et de changement énormes ». Durant ce confinement, la résilience individuelle de la population chinoise est éprouvée, c'est-à-dire qu'elle amortit les chocs et limite la casse pour ce qui est considéré comme le plus grand bien des organisations et de la société dans son ensemble. En fin de compte, le plus grand atout de la Chine ne serait-il pas son peuple ?

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Par Fabien M. Gargam, Assistant Professor of Management, Renmin University of China et Chercheur Associé, Université Paris-Saclay.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Commentaire 1
à écrit le 09/06/2022 à 16:44
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<<En fin de compte, le plus grand atout de la Chine ne serait-il pas son peuple ?>> Absolument!!!

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