Emmanuel Macron et les Gilets jaunes, saisir l'opportunité politique des colères

OPINION. Emmanuel Macron est le produit électoral de colères multiples qui lui ont permis de dégager l'ancien monde politique et de gagner les deux scrutins majeurs de notre démocratie. Mais il l'a oublié. Par Jean-Christophe Gallien, professeur associé à l'Université de Paris 1-Panthéon Sorbonne, président de j c g a.
Jean-Christophe Gallien.
Jean-Christophe Gallien. (Crédits : Reuters)

Président de rupture, président direct... Emmanuel Macron a lui même théorisé et vendu l'exclusivité, la verticalité, la centralité aussi de sa relation au Peuple français. Comme dans une 5e République augmentée, ce positionnement est progressivement devenu un terrible facteur d'isolement institutionnel et politique.

Il semble que nous avons perdu le candidat qui avait concrètement saisi ce que Michel Dobry, interprétant Nietzche, décrit :

« Quand on croit à "cause" et à "effet", on oublie toujours l'essentiel : ce qui se passe. »

Celui aussi qui avait incarné dans un acte fondateur de conquête, l'analyse de Roger Pol Droit :

« La démocratie est un rapport de force. Elle marche sur deux jambes, l'une dans la loi, l'autre dans la rue. »

Emmanuel Macron est le produit électoral de colères multiples qui lui ont permis de dégager l'ancien monde politique et de gagner les deux scrutins majeurs de notre démocratie. Mais il l'a oublié.

5e République augmentée

Il y a comme un paradoxe étonnant au lendemain de l'acte 3 du mouvement des Gilets jaunes, c'est aux zombies du dégagisme qu'il fait tendre la main de son Premier ministre. Ceux-là mêmes qu'il a voulu ensevelir sous les gravats de son attaque contre le système politique. Stratégie de partage de la difficulté, de mouillage institutionnel, d'aveuglement politique ou aveu terrifiant d'impasse doctrinale ?

Pourtant les Gilets jaunes lui offrent une opportunité à saisir, de créer la rencontre attendue par leur Peuple en mouvement et, par procuration, celui d'une large partie de la France. Pas la rencontre scénarisée de la rue du parcours mémoriel, mais une véritable agora de travail et de démocratie directe, partagée en live, autour des carnets de doléances dans un lieu symbolique à créer.

Saisir l'offrande politique des Gilets jaunes

Il y a comme une incroyable offrande politique des Gilets jaunes faite à un président le plus souvent à contretemps depuis l'affaire Benalla. L'occasion inespérée de tenter de reprendre la main de l'agenda politique national qu'il a laissé échapper depuis cet été.

Le président doit saisir cette ouverture pour répondre et incarner, comme il avait promis, une néo-politique, une vraie rupture, celle de l'innovation politique, celle de la vraie Startup Nation. Pas celle de l'augmentation de la CSG, pas celle d'une taxation plus forte du plein de carburant, pas celle qui m'oblige à freiner sur les départementales, pas celle du prélèvement à la source... Emmanuel Macron doit faire la démonstration concrète que la politique sert à quelque chose. Que ma vie, notre vie peut être meilleure. Il doit aussi réinventer la relation du Peuple à ses gouvernants. Plus encore celle du Peuple et du politique avec la technostructure administrative qui est au-delà du contrôle et du renouvellement. Celle qui est la véritable cible des Gilets jaunes dans sa dimension hors-sol, privilégiée, protégée, inefficace... comme une oligarchie française qui décide du bien commun quand elle ne le sacrifie pas comme notre industrie, avec la complicité docile ou consanguine d'une partie de la classe politique.

Quand le présent est devenu insupportable, le futur, sans perspective.

La France est redevenue un pays « d'inégalités rigides », comme le dit Jean-Claude Milner. Il faut revenir à la formule de Sieyès sur le Tiers-État :

« Il veut être quelques chose. »

Une crise s'annonce quand tous les avantages, tous les privilèges ont été distribués à des minorités. La fiscalité est contestée, les poches sont vides... le présent est devenu insupportable et le futur est sans perspective. La confiance est rompue. Le mal est très profond et il plonge tout l'espace politique classique dans une situation de déclassement collectif. Exit le lien avec l'Élysée, le gouvernement, l'Assemblée nationale, le Sénat, avec les gouvernements locaux... leurs majorités et leurs oppositions. Le mouvement des Gilets jaunes a fait sécession comme, avant lui, les non-inscrits sur les listes électorales et celle et ceux qui s'abstiennent ou votent blanc ou nul. Plus de la moitié du corps électoral de notre pays ! La nouveauté c'est le surgissement dans le réel, dans le visible médiatique et politique des invisibles et des muets.

Un risque institutionnel

Face à ce précipité de colères qui, dans son composite, exprime les nombreux ras-le-bol qui fracturent notre pays, Emmanuel Macron court un risque politique à rencontrer les Gilets jaunes, oui, mais beaucoup moins dangereux que celui qu'il prend en refusant. Le risque deviendrait institutionnel.

Emmanuel Macron peut, et doit, saisir les mains qui se tendent vers lui non pour supplier une aide, une subvention... ni pour le frapper ou le démissionner - pas encore - mais pour être serrées, respectées et aimées.

Les voix, polyphoniques, de la France que l'on dit moyenne, périphérique, "rurbaine", rurale, déclassée... se font entendre et elles sont en train de se structurer pour durer et obtenir.

Une démocratie live

Horizontales, ces voix vont peu à peu se verticaliser comme, avant elles, celles des Indignés espagnols, celles italiennes des 5 Étoiles, ou des Occupy américains... c'est une démocratie live qui se crée. On y filme les rencontres, les travaux, les négociations, on les diffuse en live, pour les partager et obliger, pister les actes des interlocuteurs, faire la lumière sur les espaces de décision et aussi les contradictions du Peuple. Ces mouvements ne sont pas contre la démocratie représentative, mais ils mettent la pression dans ses intervalles, entre les élections.

La France est inflammable. Le soutien au mouvement est puissant, enraciné, viral. Partout, sur le terrain et dans la nouvelle rue digitale.

Très au-delà de l'écologie et du développement durable, il s'agit de présent et d'avenir à sauver dans le concret pour solder un passé de dérives et de dénis. Ce qu'Emmanuel Macron avait promis. Lui seul a la réponse à cette vague citoyenne inédite et puissante. Entre espérances et désenchantements, renaître ou disparaître.

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Par Jean-Christophe Gallien
Politologue et communicant
Président de j c g a
Enseignant à l'Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Membre de la SEAP, Society of European Affairs Professionals

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Commentaires 10
à écrit le 07/12/2018 à 15:39
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Bonne analyse, même si on peut la trouver un peu trop littéraire, psychologisante, et peu axée sur des faits.La question qui suit: Macron va-t- il mordre à l'hameçon ?Pour ma part , considérant la bonne dose d'orgueil inné chez cet homme, j'en doute...

à écrit le 05/12/2018 à 8:59
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Oui certains ont encore la chance de vivre en France pas tous.....Nous devons tout de même constater que de puis trente cinq ans nos dirigeants marchent sur la tête.Nous avons un taux de prélèvements obligatoire des plus élevé d'Europe ,également pou...

à écrit le 05/12/2018 à 0:54
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Article assez vide de solutions concrètes. Les français sont condamnés à payer toujours plus d'impôts jusqu'à ce que le système tombe car TOUT ce qui vous parait gratuit est financé par l'impôt: hôpitaux, écoles, medicaments, allocations chomages, re...

à écrit le 04/12/2018 à 17:48
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Bien sûr, facile à écrire tous ces bons conseils... Les mêmes économistes qui écrivaient il y a peu: pas d'argent dans les caisses de l'Etat, ils faut des mesures structurelles radicales, il faut baisser les dépenses publiques, etc.. Que les français...

à écrit le 04/12/2018 à 17:14
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Quelqu'un pour faire lire cette prose à Manu de désenchanteur ?

à écrit le 04/12/2018 à 16:31
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Bravo M. Gallien J-C pour votre analyse de la situation, tout est dit et très bien dit. C'est un plaisir de vous lire.

à écrit le 04/12/2018 à 15:07
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Macron maintient le cap mais veut s’occuper « de la fin du monde et de la fin du mois » Mardi 27 novembre, après que des manifestations ont encore agité Paris et le pays ce week-end, motivées par un ras-le-bol fiscal et social, Emmanuel Macron s’e...

à écrit le 04/12/2018 à 14:30
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Une vague citoyenne inédite et puissante, mais bâtie sur du sable, de la méconnaissance de ce qui est offert aux plus défavorisés, des efforts énormes que font ceux qui peuvent payer pour tenir un système que l'on ne peut plus financer: la dette ne c...

à écrit le 04/12/2018 à 14:10
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Mr Macron nous a été imposé et tout les citoyens l'ont bien compris! Par contre le programme n'a visiblement pas était compris puisque c'est celui de Bruxelles et non celui des français! Ceux-ci constatent une fiscalité accrue pour moins de service ...

à écrit le 04/12/2018 à 13:11
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"Horizontales, ces voix vont peu à peu se verticaliser comme, avant elles, celles des Indignés espagnols, celles italiennes des 5 Étoiles, ou des Occupy américains... " Vous ne trouvez pas un truc bizarre quand même ? A savoir qu'en France, pays ...

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