Fantasme culturel et réalité : quand Volkswagen ment au monde

Le fantasme culturel, c'était celui d'une marque solide, sérieuse, du plan technique au plan moral. La réalité est toute autre, et c'est du coup toute l'industrie automobile qui tremble sur ses bases. Par Mathieu-Claude Chaboud, Professeur Associé de Marketing au Groupe ESC Dijon-Bourgogne

Le 23 septembre, les pertes en bourses sur cinq jours du constructeur automobile allemand, en passe de devenir numéro un mondial du secteur, atteignaient plus de 30%. Pourtant, Volkswagen est à n'en pas douter une marque iconique en plein milieu d'une année record en termes de ventes. Son slogan « Das Auto », littéralement « LA voiture », est comme souvent en marketing autant une définition de ce que la marque est (en quelque sorte « LA voiture, c'est nous »), qu'une déclaration de ce que les autres marques ne sont pas : si LA voiture c'est nous, alors vos produits sont simplement des voitures, parmi tant d'autres.

Le deuxième point que propose ce positionnement est la symbolique véhiculée (sans jeu de mot) par l'emploi de l'Allemand. L'Allemagne, c'est le pays de l'ingénierie automobile par excellence, mais c'est aussi la robustesse, la qualité, la confiance. Et pas seulement au plan technique, au plan moral également. On se souvient des leçons données à la Grèce et à d'autres sur la bonne gestion et le sérieux. En bref, être la marque qui clame représenter « Das Auto », que ce soit dans ses publicités américaines, françaises ou coréennes, c'est promettre tout à la fois l'excellence et la moralité, deux points qui semblaient acquis pour Volkswagen.

Précédents oubliés

Mais n'oublions pas que Volkswagen, alors sous la direction de Ferdinand Piech, était il y a quelques années le lieu d'un scandale majeur de corruption sur fond de prostitution, de voyages d'agrément payés et de virées shoping a Paris pour les cadres des syndicats du groupe automobile et leurs épouses ou maitresses entre 1993 et 2002. La marque a réussi à faire oublier ces évènements, la corruption étant doucement présentée devant les tribunaux comme des « irrégularités », sorte de mal nécessaire au redressement d'une entreprise qui a gravi ces dernières années les premières marches des classements des constructeurs internationaux, semblant même promise cette année à détrôner Toyota, entreprise japonaise représentante d'une autre culture d'excellence technologique et de moralité mais dont le pays est aussi connu pour ses liaisons dangereuses entre sexe, argent et politique.

Il y a quelques années, Toyota avait d'ailleurs dû rappeler des millions de véhicules, un défaut d'informatique les affectant pouvait enclencher de manière soudaine et incontrôlable l'accélérateur, provoquant la mort de plus d'une dizaine de personnes. Pour minimiser le problème, la marque japonaise avait argué d'un simple problème de tapis de sol coinçant la pédale d'accélération, puis, devant l'évidence avait bientôt reconnu le défaut de conception et rappelé les modèles concernés à travers le monde.

Pacte de confiance rompu

Ces derniers jours, Volkswagen est tombée pour mensonge et tromperie à son tour. C'est l'EPA, l'agence fédérale américaine de protection de l'environnement, qui révèle qu'une manipulation de grande envergure impliquerait la marque allemande. Celle-ci aurait équipé certains de ses véhicules diésel de logiciels destinés à tromper les tests de pollution. On ne parle pas ici de gagner quelques pourcents, mais de masquer des émissions réelles de 15 à 40 fois supérieures aux normes en vigueur.

Devant l'évidence encore, Volkswagen reconnait ses malversations volontaires. Devant la levée de boucliers, non seulement aux États-Unis mais également en Asie et en Europe, et particulièrement en Allemagne dont les dirigeants nationaux et régionaux se déversent en réactions outragées, Volkswagen annonce que l'affaire, au-delà des 500.000 voitures vendues en Amérique du Nord, touche près de 11 millions de véhicules.

Le pacte de confiance, non seulement avec la marque mais aussi avec la symbolique de l'automobile allemande, semble sinon rompu, du moins sévèrement mis à mal.

Cette dissonance cognitive entre façade culturelle bien acceptée mondialement et pratiques des grandes entreprises usant des armes de la fraude et du mensonge de la façon la plus éhontée, pose un risque réel aux industries des pays les plus développés. Si cette confiance est brisée, que leur reste-t-il alors en face de leurs homologues des pays émergents ? Fraude, corruption, pollution, sont des mots qui n'auraient pas pu qualifier la puissante industrie automobile allemande il y a à peine une semaine.

Vers la chute ?

Volkswagen chute donc en bourse, logiquement. Le patron allemand de la branche américaine de la marque, Michael Horn, le reconnait dans une grand-messe organisée autour de la présentation de la nouvelle Passat à Brooklyn. « Nous avons totalement foiré » dit-il, se répandant en excuses devant un parterre de journalistes, éteints à coups de « pas de commentaire », et de concessionnaires de la marque, visiblement abattus et anxieux.

Les vraies questions ne seront donc pas posées, mais elles flottent dans l'air surréaliste de l'évènement : Qui savait ? Comment pensiez-vous ne pas être pris ? Dans une industrie où tous les constructeurs s'épient et testent les véhicules concurrents, aucun rival de Volkswagen n'aurait rien vu ? Qu'en est-il en fait des autres constructeurs, et de leurs propres tentations ?

On sent aujourd'hui, alors que Martin Winterkorn, le PDG de Volkswagen vient de démissionner, l'ensemble de l'industrie automobile trembler sur ses bases. Les commentaires laconiques de Carlos Ghosn, PDG de Renault, se disant « peu inquiet » ne rassurent pas vraiment. L'une des marques les plus emblématiques de l'excellence industrielle et des vertus supposées du modèle allemand, la marque produisant « Das Auto », a triché sciemment, et menti, les conséquences financières seront à la mesure de la déception et du choc.

L'année qui vient nous en dira sans doute beaucoup plus sur la capacité de Volkswagen, mais également sur celle d'autres constructeurs allemands, à survivre à cette rupture fondamentale du réel d'avec le fantasme culturel.

Mathieu-Claude Chaboud, Professeur Associé de Marketing au Groupe ESC Dijon-Bourgogne

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Commentaires 20
à écrit le 29/09/2015 à 22:15
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"Le fantasme culturel, c'était celui d'une marque solide, sérieuse, du plan technique au plan moral"! J'étais sûr de lire un article sur les banques centrales!

le 01/10/2015 à 3:19
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+∞

à écrit le 29/09/2015 à 16:44
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la tricherie est devenue la regle...... standart de pollution, industrie agro alimentaire....ventes de produits financiers..... et concernant l'automobile, en ce moment on tape sur le diesel......qui avec les normes euro 6 devient moins.... pullu...

à écrit le 29/09/2015 à 16:03
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Il y a un autre domaine ou l'Allemagne a escroqué le monde: la "sortie" du nucléaire et le "boom" des énergies renouvelables, moulins-à-vents et miroirs-aux-alouettes. Les 25 % du nucléaire n'ont et ne seront pas remplacés par ces "énergies alterna...

le 30/09/2015 à 7:54
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A ce propos, les vents nord est apportent au dessus de Paris les particules de charbon Allemandes. Mais c' est le banlieusard français qui fera les frais du dépassement de la norme airparif (ils veulent interdire le diesel et mettre des barrieres et ...

à écrit le 29/09/2015 à 15:56
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Certes VW a menti et en pâti. Mais que dire des institutions qui ne réforment pas les standards d'homologation, qui ferment les yeux sur des pratiques ahurissantes, ne forcent pas l'industrie à se moderniser, à orienter la R&D nécessaire pour réalise...

à écrit le 29/09/2015 à 15:41
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C'est facile de faire la morale après coup. Et tellement politiquement correct de se moquer des Allemands. De toutes façons, la question n'est pas là : la question, c'est qu'on a vendu beaucoup de voitures à moteur diésel, et qu'on a maintenant un v...

à écrit le 29/09/2015 à 14:46
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Il y a quelque chose de détestable à dire que lorsqu'une grande entreprise escroque ses clients, toutes le font ou bien sont fautives d'une manière ou d'une autre. Ou encore si un constructeur automobile tombe alors, tous doivent tomber car ils sont ...

le 29/09/2015 à 17:04
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Merci à Corso qui ne fait que confirmer ce que j'ai souvent déclaré avec l permission de La Tribune soit la collusion de la presse et l'automobile. La publicité fait vivre cette presse spécialisée et lorsque vous avez retiré VW, Audi, Skoda et Lada i...

à écrit le 29/09/2015 à 13:57
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Attention ce scandale est à rapprocher de la guerre économique que livre le sUSA à l'EUROPE.Un point essentiel manque à votre démonstration GM rappel 32 millions de véhicule dangereux (direction,contacteurs,...) déjà 12 morts avérés.Mais balayons aus...

à écrit le 29/09/2015 à 13:49
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Ce qu' il il faut surement remettre en cause, c' est bien le fait, supposé évident, que nous serions seulement spectateurs de ce cirque. Nous sommes aussi acteurs du mensonge généralisé (passivement , en acceptant la flatterie des messages publicita...

à écrit le 29/09/2015 à 12:57
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c'est finit maintenant, plus personne ne va acheter de VW/AUDI/SKODA/SEAT

à écrit le 29/09/2015 à 12:46
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Quoiqu'on en dise, la rigueur allemande ne fait pas de doute. C'est ça qui conduit à une qualité indiscutable de tous les produits allemands, que ce soit les voitures, l'alimentaire ou les autres produits. de plus on retrouve bien l'efficacité de cet...

le 29/09/2015 à 14:13
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Ils ont effectivement été bien rigoureux: le logiciel véreux a bien été mis partout.

le 29/09/2015 à 16:13
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Je m’apprêtais à écrire que le biais systématiquement positif accordé aux produits allemands, même quand les classement des magazines automobiles donnent une image bien plus contrastée, traduisait également une certaine forme de racisme culturel, mai...

à écrit le 29/09/2015 à 12:24
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Comme disait Michel, ça sent le sapin..!!!

à écrit le 29/09/2015 à 12:05
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A mon avis, tous les autres constructeurs européens n'échapperont pas à ce type de scandale, notamment avec le scandale des normes anti pollution Européennes qui fixe frs seuils de diffusion de particules qui ne correspondent pas à la réalité d'une ...

à écrit le 29/09/2015 à 11:45
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Voila quelqu'un en prise avec le monde réel.

à écrit le 29/09/2015 à 11:45
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Voila quelqu'un en prise avec le monde réel.

à écrit le 29/09/2015 à 8:37
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Merci pour la qualité de cet article !

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