Il est urgent de créer une agence européenne de notation de crédit et de critères ESG

OPINION. À mesure que les marchés des capitaux gagnent en importance pour le financement des entreprises européennes, phénomène de désintermédiation du financement, les agences de notation jouent un rôle grandissant. En Europe, les investisseurs, les émetteurs et les régulateurs réclament depuis un certain temps une plus grande diversité des opinions sur le crédit et des approches de notation alternatives. Par Marc Lefèvre, responsable France, Belgique et Luxembourg de Scope Group.
Pour Marc Lefèvre, responsable France, Belgique et Luxembourg de Scope Group, l'approche anglo-saxonne de la notation désavantage les émetteurs européens.
Pour Marc Lefèvre, responsable France, Belgique et Luxembourg de Scope Group, l'approche anglo-saxonne de la notation désavantage les émetteurs européens. (Crédits : DR)

Une agence de notation européenne, c'est une perspective européenne sur le risque de crédit, c'est-à-dire reconnaître que les notations de crédit doivent prendre en compte la diversité de l'Europe et la complexité de ses dynamiques réglementaires, géopolitiques et culturelles. L'objectif est de fournir une évaluation plus précise de l'activité et du profil de risque des entreprises, et partant, une évaluation plus réaliste.

Un exemple concret : les marchés de capitaux internationaux poussent à la maximisation de la valeur pour l'actionnaire à travers une incitation à la concentration de l'activité de l'entreprise. Ainsi les modèles d'entreprise diversifiés sont-ils très minoritaires aux États-Unis (le démantèlement récent du « dernier des géants » General Electric nous le rappelle), alors qu'ils sont relativement courants en Europe, souvent avec une approche de long terme, voire « patrimoniale ».

Les entreprises européennes désavantagées

Une agence de notation européenne prendrait en compte cette diversification, car les modèles d'entreprise diversifiés présentent souvent une plus grande stabilité. Dans le même temps, la notation s'assurera qu'elle reflète fidèlement la somme des risques de chaque secteur de l'entreprise, et pas seulement ceux d'une activité principale définie arbitrairement.

Second exemple : les engagements de retraite non capitalisés est un phénomène uniquement européen. Les agences de notation américaines traitent tous ces engagements comme des dettes et les actualisent au taux actuel du marché, entraînant une volatilité importante de l'endettement net lorsque les taux d'intérêt évoluent.

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Cette approche désavantage  les entreprises européennes. Certes, il  existe un débat sur la question de savoir si les engagements de retraite sont des engagements financiers. Mais il y a tout autant de débat sur la question de savoir si les engagements de retraite ont une échéance complètement différente de celle des prêts à cinq ans ou des obligations ayant une échéance similaire.

Dernier exemple, plus « systémique » : la notation des banques. Selon les méthodologies anglo-américaines, les notations bancaires sont plafonnées à la notation du souverain concerné. Étant donné que les banques détiennent généralement de grandes quantités d'obligations d'État de leur pays d'origine, cette contrainte peut être logique. Cependant, plafonner de manière rigide la notation d'une banque à la notation souveraine peut conduire à des résultats paradoxaux - en particulier lorsque cette banque détient relativement peu d'obligations d'État tout en ayant un modèle économique paneuropéen ou mondial.

Pour une agence de notation européenne, les analystes devraient plutôt se concentrer sur le modèle économique spécifique de chaque banque.

 Le défi ESG

L'Europe avance en pionnière en matière de finance durable ; cette réalité nécessite le relais d'une approche de notation financière et extra-financière adaptée. Les facteurs ESG sont devenus critiques vis-à-vis des investisseurs et le volume des actifs correspondant ne cesse de croître.

Bien qu'il existe encore un large éventail d'approches analytiques des notations ESG à l'heure actuelle, le nombre d'acteurs dans ce domaine diminue. Les agences de notation américaines rachètent les fournisseurs européens d'analyses ESG. L'Europe doit être présente avec ses propres opinions analytiques, notamment en faisant valoir le concept de « double matérialité », une approche qui accorde une importance égale aux risques ESG auxquels une entreprise est confrontée et à l'impact de l'entreprise sur l'environnement et la société.

Les notations de crédit sont un élément fondamental des marchés de capitaux, tout comme les notations ESG.

L'approche conventionnelle de notation anglo-américaine peut entraîner des désavantages structurels pour les émetteurs européens. Si les décideurs européens sont sérieux dans leurs efforts pour renforcer le rôle, la résilience et l'indépendance des marchés de capitaux européens, il est essentiel de garantir l'existence d'une source européenne solide d'évaluation du crédit. Une agence de notation solide - indépendante, crédible et sensible aux caractéristiques uniques des marchés des capitaux, des systèmes juridiques et de l'élaboration des politiques en Europe - est essentielle pour la santé financière et la souveraineté de l'Europe.

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Commentaire 1
à écrit le 18/02/2022 à 14:20
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Vous croyez pas que l'UE regorge déjà bien assez d'emplois fictifs pour réseaux privilégiés ? Mais quand est-ce que vous pensez aux européens ? Jamais en fait. Vite un frexit vous n'êtes plus que la caricature de vous-mêmes. Soit on met de véritables...

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