Europe de l'ESS, devoir de vigilance et reporting extra-financier des entreprises : les batailles d'Olivia Grégoire

Ça bouge du côté de la présidence française de l'UE. Décidée à donner une impulsion européenne à l'économie sociale et solidaire (ESS), mise en lumière pendant la crise sanitaire, la ministre déléguée à ces questions, Olivia Grégoire, a réuni ses homologues européens hier. Une initiative dont la date n'est pas fortuite. La semaine prochaine, deux directives européennes majeures sont attendues, sur le devoir de vigilance et le reporting extra-financier. Des textes dont la portée juridique pourrait bouleverser le business model et la gestion des entreprises et dont elle explique dans cet entretien les enjeux déterminants pour l'avenir du « capitalisme citoyen », titre de son dernier livre. Le tout à l'heure où l'affaire Orpea rebat les cartes pour le contrôle réel des engagements RSE/ESG.
(Crédits : DR)

Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, vous avez réuni hier, à Paris, les ministres européens de l'économie sociale. Assiste-t-on aux premiers pas d'une Europe sociale et solidaire ?

Olivia Grégoire : Il existe déjà une Europe de l'économie sociale, mais c'est une Europe qui s'ignore. Le secteur compte en effet près de 3 millions d'entreprises en Europe, qui font travailler 14 millions de personnes. L'ESS pèse jusqu'à 10 % du PIB de certains Etats membres, comme la France, l'Espagne ou l'Italie. Toutefois, peu d'Etats ont un cadre juridique aussi clairement défini à ce sujet que la France, qui a consacré une loi au secteur en 2014. Il est donc temps d'avoir une vision commune et, surtout, de faciliter la croissance de toutes ces structures, les créations d'emplois, et la cohésion sociale à une échelle européenne.

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Cette rencontre a-t-elle débouché sur des actes concrets ?

Cette réunion informelle des ministres de l'économie sociale et solidaire est la première en 10 ans, donc un signal politique fort. Les 23 délégations qui ont répondu à l'invitation ont travaillé sur la mise en œuvre du plan d'action dédié à l'économie sociale présenté en décembre dernier par la Commission européenne.

Notre objectif est de développer un langage commun, ce qui facilitera les activités des entreprises du secteur dans toute l'Union. Il existe en Europe 2,8 millions d'entités juridiques différentes dans l'ESS. En France, certaines entreprises peuvent par exemple bénéficier de l'agrément ESUS (entreprise solidaire d'utilité sociale). Cette spécificité n'est pas reconnue à l'échelle de l'Union et cela pénalise ces sociétés lorsqu'elles veulent se lancer à l'international. Nous aimerions lever ce frein à leur croissance, en bâtissant à terme un mécanisme une convention de reconnaissance mutuelle entre les pays européens.

Autre point crucial : ces structures bénéficient dans leur pays d'aides ou de dispositifs de soutien, mais il est complexe de savoir à quels financements elles pourraient également prétendre chez leurs voisins européens. En alignement avec les propositions de la Commission, nous souhaitons donc créer un guichet unique, tout en cherchant à étoffer leurs sources de financement, notamment au travers de la commande publique. Preuve de l'attention de l'UE à l'économie sociale et solidaire, nos recommandations d'action seront portées au Conseil des ministres chargés de l'emploi, la politique sociale, la santé et la protection des consommateurs) de 2023.

Autre actualité européenne, la publication par la Commission de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises, la semaine prochaine. Il était temps ?

Cette directive est inspirée d'une loi française, unique en son genre, datant de 2017. Je me réjouis de cette proposition de réglementation au niveau européen  car, effectivement, nous n'avions aucune certitude que cela aboutisse il y a encore deux ans. La directive sur le devoir de vigilance marquera un tournant car elle place l'intégralité de la chaîne de valeur au cœur du capitalisme responsable. La présidence française du Conseil de l'Union européenne va pouvoir entamer les discussions sans tarder en espérant qu'elles gardent un niveau d'ambition exigeant.

Une exigence qui peut parfois effrayer les entreprises. S'assurer du respect des droits humains et environnementaux sur toute leur chaîne de production est un enjeu de taille.

En effet, mais ce changement impulsé par la loi n'est que le reflet d'une exigence déjà manifeste de la part des consommateurs. On l'a bien vu dans l'alimentaire ou dans le textile, ces impératifs de vigilance sont devenus des enjeux de pérennité pour les multinationales. Je ne pense pas que ce soit la loi qui pose un risque nouveau pour les entreprises. Au contraire, légiférer apporte un garde-fou car encourage les sociétés à se transformer et donc à coller au changement structurel en cours. Regardez ce qui est arrivé à Shell, aux Pays-Bas. Attaqué en justice par des ONG, le groupe a été condamné à baisser ses émissions de 45 % d'ici 2030. A l'inverse, d'autres entreprises se sont saisies de ces nouvelles exigences et en ont fait un levier de compétitivité.
Il ne faut pas croire non plus que les obligations tombent brutalement sur les sociétés. La directive sur le devoir de vigilance constitue un socle sur lequel vont être élaborées des transpositions nationales, sur la base de ripostes graduées, et avec l'espace nécessaire pour la médiation.

Ce principe d'adaptation graduée vaudra-t-il aussi pour la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) sur le reporting extra-financier, qui devrait aussi être adoptée la semaine prochaine ?

Les entreprises européennes, et a fortiori françaises, ne doivent pas se retrouver contraintes de répondre à des standards et des questionnaires d'évaluation sur l'ESG issus de normes américaines ou asiatiques. Nous devons être des « standard setters ». Là encore, comme pour le devoir de vigilance, il en va de la compétitivité de nos entreprises à l'international et de leur adéquation avec les attentes des consommateurs européens. C'est en cela que l'adoption de ce texte sera capitale. J'entends les inquiétudes émises par certains, qui craignent avec ces nouvelles règles textes une augmentation des contentieux. Nous avons entendu la même chose lors de la promulgation de la loi Pacte, lorsque nous avons voté en faveur de la création de l'entreprise à mission, dont le mérite est aujourd'hui reconnu.

Rappelons aussi que si le texte est adopté au Conseil des ministres de l'Union européenne le 24 février, il sera ensuite discuté au Parlement européen.. Les entreprises ont entre 2 et 3 ans devant elles avant son application. Nous sommes là pour les aider à s'y préparer. Tel est par exemple le rôle de notre plateforme impact.gouv.fr, sur laquelle les sociétés publient, volontairement, leurs données ESG.

Certes, les entreprises vertueuses y trouveront un avantage compétitif. Que dites-vous à celles qui sont moins engagées dans leur transition environnementale et sociale ?

Tout d'abord, que la France investit beaucoup pour les accompagner dans la transformation de leur modèle d'affaires : 72 milliards d'euros sur les 100 milliards du plan de relance, notamment. Ensuite, au sein des règlements européens qui contraignent les entreprises à plus de transparence - CSRD et SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) -, nous pousserons des indicateurs de transition. Ce qui importe, c'est la dynamique de transformation d'une entreprise. Ainsi, une société du secteur des transports, parmi les plus polluants, qui aura engagé une politique de réduction de ses émissions, pourra être mieux notée qu'un cabinet dans les services qui émet peu de CO2 mais n'investit pas dans l'amélioration de ses pratiques. La dynamique enclenchée par l'entreprise en faveur de la décarbonation, voilà l'effort qui doit être apprécié et il ne peut l'être qu'à l'aide d'indicateurs audités.

Si Orpea se dote d'une mission sans certitudes, alors ce sera une mission sans action. Après la vague de « greenwashing », évitons de tomber dans le « purpose washing ».


Il est beaucoup question de critères environnementaux, mais l'affaire Orpea vient durement rappeler que les manquements peuvent aussi être sociaux. La réponse est-elle vraiment dans les normes et le reporting ?

La députée Bénédicte Peyrol et moi-même avons mis en garde contre la surpondération accordée actuellement au E (environnement) face au S (social) et au G (gouvernance). L'affaire Orpea souligne l'importance de travailler sur les indicateurs qui sont utilisés pour évaluer l'action ESG d'une entreprise. Mais elle démontre surtout la nécessité de contrôler la mise en œuvre de l'extra-financier, le qualitatif. Cela existe déjà sur le plan comptable, rien ne s'oppose à faire de même pour l'extra-financier. En matière de gouvernance, Orpea était plutôt bien noté car le groupe dispose de deux administrateurs salariés dans son conseil. Le problème est qu'au sein de ce dernier, aucun administrateur n'était en charge du volet social. Le contrôle de la norme a posteriori est donc essentiel.

Vous parliez plus tôt de la société à mission. Une conversion d'Orpea à ce statut est évoquée par certains de ses actionnaires, est-ce une solution ?

Devenir une société à mission se construit à l'échelle d'un groupe or, dans le cas d'Orpea, rien ne garantirait l'absence de déviance de certains EHPAD. Il ne faut pas dévoyer le sens de l'entreprise à mission, ce n'est pas quelque chose qui doit être imposé de l'extérieur. Si Orpea se dote d'une mission sans certitudes, alors ce sera une mission sans action. Après la vague de « greenwashing », évitons de tomber dans le « purpose washing ».

Pour revenir à la question de la dépendance, je suis convaincue qu'il faut bâtir un modèle qui combine les systèmes lucratifs et non lucratifs, orienter les investisseurs vers des solutions mixtes, accompagnées d'objectifs d'impact humain et sociétal. Nous avons peu parlé d'eux, mais les investisseurs, les épargnants, ont un véritable rôle à jouer dans cette évolution. Et c'est bien grâce à plus de transparence que nous saurons les convaincre de soutenir ces nouvelles solutions.

Commentaires 3
à écrit le 19/02/2022 à 9:14
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Olivia qui ?

à écrit le 18/02/2022 à 11:03
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Les Européistes veulent gérer les états comme des entreprises pour une efficacité présumée. Hors les entreprises ne sont pas démocratiques, et pas si efficaces que ça au regard des pénuries vécues lors de la pandémie. L'état veut par exemple réduire ...

à écrit le 18/02/2022 à 9:18
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"Décidée à donner une impulsion européenne à l'économie sociale et solidaire " Ben si le sondage suisse qui donne méluche à 24.5% pour cent est vrai ça commence à être vraiment chaud là, alors certes vous pouvez compter sur lui pour faire son maximum...

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