L'affaire McKinsey est-elle une "affaire"  ?

OPINION. Ce qu'il est désormais commun d'appeler « affaire McKinsey » a ému une partie de l'opinion, consternée par la supposée proximité entre Emmanuel Macron et un cabinet de conseil, soucieuse d'une saine gestion des deniers publics et inquiète de voir une partie des prérogatives stratégiques de l'État potentiellement sous-traitée à une entreprise privée américaine. Que les Français se rassurent, la réalité, notamment d'un point de vue financier, est bien plus nuancée et nous invite à reconsidérer une affaire qui n'en est pas vraiment une. Par Nicolas Lecaussin, directeur de l'IREF (Institution de Recherches Economiques et Fiscales).
(Crédits : Reuters)

Le recours des États aux cabinets de conseil est une réalité internationale systémique. Quand les grands cabinets vantent, par pure stratégie marketing, leurs missions de conseils auprès de clients gouvernementaux, ils ne mentent pas. Pendant la crise sanitaire, le gouvernement belge a signé des contrats avec quatre cabinets de consultants pour assister le pays, pour une somme estimée à 10 millions d'euros. Citons aussi le cas du Québec, pour une facture de 6 millions d'euros. La crise sanitaire n'a fait que révéler aux yeux de l'opinion une réalité qui, depuis plus d'une décennie, est systématique : les gouvernements ont, ponctuellement, besoin d'un apport du privé, même pour leurs décisions stratégiques. Pour ceux qui voudraient penser qu'il s'agit là d'un caprice d'Occidental, rappelons que le « Plan Sénégal Émergent » (PSE), fierté du président Macky Sall, a été préparé avec l'apport de McKinsey. En Côte d'Ivoire, c'est le cabinet Okan Partners qui a contribué à l'émergence du plan stratégique « Phoenix », dédié au soutien au développement des PME.

La France n'a que peu recours aux cabinets de conseil

D'un point de vue global, les dépenses publiques françaises pour ce type de prestations restent en-deçà de celles des deux autres grandes économies européennes. Entre 2005 et 2017, le journal allemand Der Spiegel, dans le cadre d'une enquête sur les missions confiées à McKinsey, au Boston Consulting Group et à Roland Berger, trois des plus prestigieux cabinets de conseil, révélait que les dépenses du secteur public allemand à destination des cabinets de conseil avaient grimpé de 1,1 milliard à 2,9 milliards d'euros. En 2019, selon la commission des Finances, l'Allemagne a dépensé 3,5 milliards d'euros et la Grande-Bretagne 2,5 milliards d'euros pour les cabinets de conseil. La France, avec un peu moins d'un milliard d'euros de dépenses, était alors légèrement au-dessus de l'Italie. La hausse subite des budgets alloués aux consultants n'est que la conséquence d'une situation d'exception, face à laquelle le secteur public devait se doter d'un support ponctuel.

Le moindre recours de la France aux cabinets de conseil s'explique largement par des facteurs culturels. Les hauts fonctionnaires français, empreints de tradition jacobine, sont largement moins perméables que nos voisins anglo-saxons aux consultants dont la présence dans les administrations relève de l'évidence. Cette vision du secteur public est aussi largement diffusée dans l'opinion française qui, plus qu'ailleurs, s'émeut de ce qu'elle perçoit comme un « scandale d'État ». Le tout, sur fond d'un anti-américanisme peut-être inassumé. Dans le cas français, précisons d'ailleurs que 90 % des budgets dédiés aux cabinets de conseil sont liés à des prestations informatiques, un domaine où les compétences sont trop rares et les profils trop chers pour constituer des équipes permanentes sous statut de fonctionnaire. Les missions stratégiques, qui émeuvent l'opinion, ne représentent que 10 % des budgets de consultants. Une goutte d'eau dans le budget de l'État.

Pour McKinsey, l'État français est un « petit » client

Toujours d'un point de vue financier, le rapport sénatorial affirme que 12,33 millions d'euros ont été versés à McKinsey durant toute la crise sanitaire pour la gestion d'une campagne vaccinale qui, malgré quelques lenteurs au démarrage, a été une réussite logistique et opérationnelle difficilement contestable. À titre de comparaison, en 2021, le remboursement intégral des tests PCR et antigéniques aurait coûté, selon les données de l'Assurance maladie, 8,8 milliards d'euros, soit plus de deux fois le budget annuel dédié au ministère de la Culture (4,19 milliards d'euros budgétés en 2022), alors même que cette mesure généreuse n'a, a priori, eu que des impacts modérés sur l'épidémie. La gabegie financière n'est pas nécessairement là où l'on croit.

Même pour McKinsey, le secteur public français dans son ensemble, ne reste qu'un client mineur. Le rapport sénatorial précise ainsi que, sur les 329 millions d'euros de chiffre d'affaires réalisés en France en 2020, 5 % sont attribuables à des clients publics. Une mise en perspective nécessaire qui nous oblige à relativiser le cas français et qui, par extension, balaie en partie l'accusation selon laquelle tous ces contrats signés sont la conséquence d'arrangements politiques incestueux au plus haut niveau de l'État. D'autant que les appels d'offres sont lancés par les administrations, en fonction de leurs besoins, dans le cadre d'un processus encadré, public et réglementé. Et que l'Élysée n'a, normalement, aucune influence sur le choix du prestataire choisi.

Le recours à des cabinets de conseil peut se justifier

Personne ne doute de l'intelligence des hauts fonctionnaires des grands corps de l'État qui cumulent souvent une trentaine d'années d'expérience opérationnelle dans l'administration avant de devenir inspecteurs généraux. Aucun consultant de McKinsey ou d'ailleurs ne peut prétendre connaître mieux qu'eux les rouages et subtilités de nos administrations. Et aucun d'eux ne le prétend. L'esprit de corps qui les lie témoigne de leur pleine fidélité à leur mission de service public, mais peut aussi être un facteur de blocage.

Les consultants sont là pour apporter une expertise sur des stratégies de filière, en se plaçant d'un point de vue international et global, pour tenter d'insuffler les meilleures pratiques issues de l'étranger. Avec, à terme, la perspective d'une meilleure efficacité et d'un savoir nouveau, potentiellement décisif pour l'aide à la décision des dirigeants de nos administrations. Là encore, le support opérationnel n'est en aucun cas une substitution au travail fourni par les premiers acteurs du service public, que sont les fonctionnaires. Même nos capitaines d'industrie les plus brillants ont, eux aussi, régulièrement recours aux cabinets de conseil.

Certes, McKinsey paie peu d'impôts sur les sociétés en France mais s'est tout de même acquittée de 422 millions d'euros en impôts locaux et charges sociales entre 2011 et 2020. Il n'est pas intuitif pour le non-initié de comprendre le modèle de ces entreprises qui doivent importer des services et compétences de l'étranger pour se développer, une pratique largement répandue au sein des entreprises multinationales. Sur ces sujets, l'émotion peut parfois tourner à la caricature et peu de gens comprennent, par exemple, que l'implantation de la maison mère, qu'elle soit dans le Delaware, à Londres ou à Berlin, ne change strictement rien à l'impôt dû à l'administration fiscale française. Laissons donc le soin à Bercy de mener les investigations nécessaires et, si besoin, de faire payer à McKinsey ce « qu'il nous doit ». Faisons-en revanche de cette affaire un outil pour exiger une plus forte transparence sur les contrats passés entre l'État et les prestataires privés pour apaiser l'opinion qui s'indigne avant tout de l'opacité qui les entoure.

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Commentaires 35
à écrit le 01/04/2022 à 9:40
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Excellent article. Dire que des entreprises privées peuvent secourir une administration qui ne peut être 'specialiste en tout' n'est pas un blasphème. C’est bien Doctolib qui a sauvé la vaccination. Mais elle est francaise....

à écrit le 31/03/2022 à 11:30
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Bon article mais vous ne précisez pas que Mac Linder a été condamné dans son rôle pour le scandale aux us sur opioides. Un cabinet qui d arrange pour être déficitaire systématiquement par des prix de transfert inexpliqués et justifiés pour sur les bé...

à écrit le 30/03/2022 à 18:46
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cher payé pour une boite qui conseil que l'ars s'occupe de la logistique(qui connais rien a la logistique), alors qu'on a une armée qui est très compétente en logistique. chose que les haut magistrat (dont le travail consiste a conseillé le gouvernem...

à écrit le 30/03/2022 à 15:18
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Démasquer les délinquants en col blanc n'est pas facile cart ils occupent souvent un poste de pouvoir, mais parfois il y a des conjonctures positives qui le permettent, on ne peut que s'en réjouir . Pour une fois se sont eux qui vont se faire tondre ...

à écrit le 30/03/2022 à 13:18
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Indépendamment du montant, pourquoi reprocher au président qui gouverne de demander conseil quand il en a besoin. Qu'est-ce que cela aurait été avec Ségolène Royale qui voulait créer une commission pour tous les sujets à instruire ? Merci de ne pas o...

à écrit le 30/03/2022 à 10:18
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avec l ' argent du peuple les impôts ,..Macron fait se qu'il veut .méprisant. arrogant .hypocrite .

le 30/03/2022 à 18:32
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Vous n'avez pas du lire l'article ...

à écrit le 30/03/2022 à 9:50
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Merci à la Tribune pour ce publi-reportage.

à écrit le 30/03/2022 à 8:14
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Le problème de la « dépendance » vis-à-vis des cabinets de conseil c’est que, quels que soient les abus (le coût étant déjà à lui tout seul un abus) ou fautes de ces derniers, étant donnée l’habitude prise d’avoir systématiquement recours à eux, Emma...

à écrit le 30/03/2022 à 1:49
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"Opinion" 100% à décharge et donc peu crédible ? Ces cabinets ne semblent qu'un rouage. Cf. la série de très bons reportages de "Off Investigation", où un journaliste de La Tribune y intervient régulièrement et brillamment.

à écrit le 30/03/2022 à 1:41
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Ça devient une habitude à chaque élection présidentielle on nous ressort une "boule puante" ! Mac kinsey avec lequel j'ai travaillé étant jeune ne paye pas d'impôts. c'est faux pour partie, il paye comme tous les impots auxquels il ne peut échapper, ...

à écrit le 29/03/2022 à 21:20
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Encore des excuses

à écrit le 29/03/2022 à 20:48
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Comparaison n est pas raison... comparer nos dépenses avec d autres pays qui n ont pas la même administration publique relève au mieux d un biais d analyse, au pire d une malhonnêteté intellectuelle.... Le choix de tuer l appareil d État semble réel ...

à écrit le 29/03/2022 à 18:23
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Sauf que : La concentration de Mc Kinsey , forcément conseil de Pfizer , relève du conflit d'intérêt et de l'arnaque mortifère (interdiction des efficaces traitements en phase précoce du Covid) Le patron de Mc K France et Macron sont pote depuis la...

à écrit le 29/03/2022 à 18:09
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"Comment réduire les frais de fonctionnement de l'Etat ?" Réponse su cabinet de conseil : "réduire le nombre de (haut-)fonctionnaires" "Comment trouver une expertise dans une administration trop réduite pour moins dépenser ?" Réponse "faites appel à...

à écrit le 29/03/2022 à 18:04
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Accepter des contrats publics de la part d'une entreprise qui n'est pas en règle avec le droit français est une faute, au pire une connivence!

à écrit le 29/03/2022 à 18:03
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Vous êtes d'une malhonnêteté incroyable "..la supposée proximité entre Emmanuel Macron et un cabinet de conseil...". Cette proximité n'est pas supposée, elle existe.

à écrit le 29/03/2022 à 15:39
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Vous n'avez, donc, aucune information sur les accointances existant entre le cabinet conseil McKinsey d'une part et MM. Macron et Fabius (via son fils) d'autre part ?

à écrit le 29/03/2022 à 15:32
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C'est une affaire sérieuse que l'on cherche à tout prix a faire disparaître de l'actualité dans cette campagne Présidentielle , c'est l'affaire dans l'affaire et cela demande une instruction longue puis ce qu'elle ce poursuit depuis dix ans . La déli...

à écrit le 29/03/2022 à 15:15
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Pas la peine de nous prendre de haut. Surtout pour sortir des poncifs comme ceux-là. Bien sûr McKinsey a payer les charges salariales. On parle ici de l'impôt sur les sociétés que McKinsey n'a pas payé en jouant sur un montage financier destiné uniqu...

le 29/03/2022 à 18:00
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Exactement. Ils veulent nous faire passer pour des idiots qui ne "comprennent pas". McKinsey a payé une partie de ses impôts (charges salariales comme vous l'indiquez) donc ne pas payer l'autre partie des impôts ne serait pas grave ? Si un contribuab...

le 29/03/2022 à 21:01
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Le Delaware, Comté ou était élu Biden, est un état ou l'impôt sur les Sociétés est le plus bas aux US...

le 01/04/2022 à 1:47
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Votre article en est ridicule de démentis absurdes. L'Allemagne a 1/3 de fonctionnaires en moins par rapport à sa population, idem le RU. Et bien sûr, pas un mot sur nos données de défense, de santé, d'educ.nat , d'écofi aujourd'hui sur le cloud U...

à écrit le 29/03/2022 à 13:39
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Plus pur style science-po, détestation de la fonction publique, au moins Nicolas Lecaussin est-il constant... Pour autant l'argumentaire peine à faire oublier que si "les hauts fonctionnaires ne savent que taxer", c'est sans doute que les politiques ...

à écrit le 29/03/2022 à 13:27
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Voulez vous un cours d'optimisation fiscale pour oser dire de pareilles affirmations fausses ! Il suffit de déclarer que vous faites des pertes en France pour que ce soit compensé par la maison mère et que le groupe ne paye plus un seul euros d'impô...

à écrit le 29/03/2022 à 13:21
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Quand celui dans l'équipe de Macron (lors de la campagne présidentielle 2017) qui négocie les contrats avec McKinsey est un employé de McKinsey il y a comme un petit défaut ... non ? Être le client de la société qui vous emploi, pour le compte d'un ...

le 29/03/2022 à 14:49
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Totale mauvaise foi. Il faudrait en plus remercier McKinsey de payer ses cotisations sociales en France et de n'avoir pas réussi à éviter les impôts locaux. À quand des félicitations pour avoir localisé ses bénéfices dans un paradis fiscal en jouant ...

à écrit le 29/03/2022 à 13:19
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Quand celui dans l'équipe de Macron (lors de la campagne présidentielle 2017) qui négocie les contrats avec McKinsey est un employé de McKinsey il y a comme un petit défaut ... non ? Être le client de la société qui vous emploi, pour le compte d'un ...

à écrit le 29/03/2022 à 13:17
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Article macroniste ? Délégué à un staff étasunien pratiquant l'optimisation fiscale de surcroit en periode dd parlitude souveraine c'est très haute fonction publique française.. donc macroniste. Décomplexitude...

à écrit le 29/03/2022 à 13:13
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"Opinion" 100% à décharge et donc peu crédible ? Ces cabinets ne semble qu'un rouage, cf. la série de très bons reportages de "Off Investigation", où un journaliste de La Tribune y intervient régulièrement et brillamment.

à écrit le 29/03/2022 à 13:03
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Ben les gars, vous êtes en avance c'est dans deux jours qu'il fallait le sortir ce gag !? Excellent par contre, dommage pour le timing.

à écrit le 29/03/2022 à 12:13
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A AUCUN moment n'est évoqué dans votre article les liens entre Mckinsey et LREM, entre MCK et certain de nos haut fonctionnaire ! Vous traitez cette affaire (car cela en est très probablement une) en omettant beaucoup d'éléments . Justifier l'aberrat...

à écrit le 29/03/2022 à 11:59
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Cette article est sérieux ou c’est une vaste blague ? Pcq la France et son institution publique n’est pas le plus gros clients de ces cabinets ce n’est pas une affaires ? L’affaire repose surtout sur la présence exacerbé de ces cabinets dans des affa...

le 29/03/2022 à 12:35
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Jean Luc c'est toi ?

le 29/03/2022 à 12:50
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c'est le casse du siecle en matiere d'evasion fiscale une fraude organise au plus haut sommet de l'etat comme si en france il n(y a personne pour decider il est evident avec les illusioniste au pouvoir le tripotage est au maximum mais casser les...

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