La finance islamique protège l'Homme et préserve sa morale

CHRONIQUE. La première obligation «sharia compatible» ne date pas d'hier. La toute première fut émise sous l'Empire ottoman en 1775... Par Michel Santi, économiste (*)
(Crédits : DR)

En 2004, les Allemands furent les premiers Européens à émettre une «sukuk», c'est-à-dire une obligation islamique. Ce contrat a largement séduit les investisseurs du Golfe, d'Arabie Séoudite, de Malaisie, mais également des États-Unis du Japon et de Hong Kong.

Cet instrument était spécifiquement une "ijarah", et consistait en un véhicule dont l'objectif était de collecter des loyers et des rentes sur des actifs, principalement de nature immobilière. En effet, comme le paiement désintérêts est prohibé selon la Sharia, les détenteurs de sukuks perçoivent donc une rémunération proportionnelle aux loyers, sachant que c'est l'ensemble du contrat qui est revendu à l'échéance afin de restituer aux investisseurs leur placement initial.

La grande spécificité d'une sukuk est qu'elle doit impérativement être corrélée à un actif sous-jacent générateur de revenus. Ces dernières ont été utilisées pour financer de nombreux projets en lien avec l'immobilier, les infrastructures ou encore les énergies renouvelables. Par exemple, en 2014, la société saoudienne ACWA Power a émis une sukuk de 814 millions de dollars pour financer la construction d'une centrale solaire thermique au Maroc. En 2018, la Banque Islamique de Développement a lancé un programme pour financer des projets en lien avec les Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations unies. Ce programme vise à encourager les investissements dans des secteurs tels que les énergies renouvelables, la santé, l'éducation et les infrastructures, afin de contribuer à la réalisation des ODD et de promouvoir un développement durable et responsable.

Une autre application concrète de la finance islamique réside en la « musharakah », qui est un contrat de partenariat permettant de financer un projet en partageant les profits et les pertes. Ainsi, les investisseurs partagent-ils le risque avec l'entreprise, encourageant ainsi une gestion prudente et responsable des projets financés. Cette méthode de financement est souvent utilisée pour les PME ayant besoin de fonds pour se développer, mais qui ne peuvent supporter les risques financiers élevés des prêts traditionnels. En Malaisie, pays pionnier dans le développement de la finance islamique, le concept de takaful a été mis en place, soit un système d'assurance conforme à la charia qui se base sur le principe de la coopération et de la solidarité entre les membres. Contrairement à l'assurance traditionnelle où les primes sont considérées comme un paiement pour un service, les membres paient des cotisations dans le cadre du takaful pour contribuer à un fonds commun destiné à aider ceux des affiliés subissant des pertes financières. Ce système permet de mutualiser les risques et d'encourager responsabilité et solidarité entre les membres.

Des produits comme les « musharakah » ou les « mudarabah »

On comprend mieux dès lors pourquoi les obligations islamiques sont essentielles à la stabilité financière. En présence de telles règles, il est en effet impossible de contracter des dettes qui ne sont pas liées, amorties ou au moins partiellement équilibrées par des revenus à venir. Le respect de ce seul principe n'aurait-il pas évité l'hyper endettement de nombre de nos nations occidentales? En outre, la morale n'aurait-elle pas été sauve avec des produits comme les «musharakah» ou les «mudarabah», qui autorisent certes l'encaissement de bénéfices, mais qui contraignent en même temps les participants au partage des pertes éventuelles? Nous pensons immédiatement aux banques occidentales et à leur actionnariat ayant été secourus par l'argent du contribuable sans devoir en subir la moindre conséquence adverse... La socialisation des pertes que nous subissons quotidiennement chez nous n'existe effectivement pas en finance islamique où les seuls éventuels perdants sont systématiquement ceux ayant accepté le risque.

Nous pensons aussi à nos États d'Europe périphérique - comme l'Espagne et comme l'Irlande - qui, pour avoir dépensé sans compter afin de sauver leurs établissements financiers, ont fait subir à leurs jeunes au plus fort de la crise des dettes souveraines un taux de chômage dépassant les 50% à la faveur d'une austérité imposée par les marchés financiers, trop heureux d'appeler régulièrement au secours le contribuable prié d'absorber ses pertes. Enfin à des pays comme la Grèce ayant dû brader ses actifs stratégiques pour avoir cédé aux sirènes de prédateurs comme Goldman Sachs qui a savamment manipulé ses comptes publics.

Les instruments sharia compatible

Dans ce monde de la finance islamique, comme l'argent est considéré pour ce qu'il est vraiment - un simple moyen de paiement - le degré de risque que sont prêts à assumer les investisseurs s'en retrouve considérablement amoindri. Les actifs et les marchandises qui n'existent pas au moment de l'initiation du contrat ne peuvent tout simplement pas être vendus par anticipation! L'argent est donc toujours et en toutes circonstances lié à l'économie réelle. Ce principe simple décourage fondamentalement la spéculation, exclut d'emblée tout produit dérivé dont l'essence même est de traiter des actifs fantômes. C'est la crise des subprimes comme la crise de la dette souveraine en Europe qui auraient pu nous être épargnées, c'est la volatilité exacerbée des marchés financiers, des matières premières et des denrées alimentaires qui aurait été nettement amoindrie si notre Occident s'était quelque peu inspiré de l'esprit de la finance islamique.

Si elle ne compte aujourd'hui que pour 5% environ des actifs traités globalement, la finance islamique se développe néanmoins à une cadence 50% plus accélérée que les autres produits bancaires traditionnels. Les instruments sharia compatible - qui atteignent actuellement 3.000 milliards de dollars - commencent à attirer des investisseurs non musulmans séduits par la sécurité et par la faible volatilité procurées par ces placements. Les investisseurs non musulmans sont même détenteurs de 85% des obligations islamiques dans un pays comme la Malaisie! Une finance accessible à tous et des produits dont la compréhension est à la portée de tous : voilà ce que la finance islamique peut aujourd'hui apporter à une finance occidentalisée décadente et imbue de ses prérogatives.

Parce que l'argent et parce que la finance ne sont qu'un vecteur, non le but ultime.

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(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l'auteur d'un nouvel ouvrage : « Le testament d'un économiste désabusé ».
Sa page Facebook et son fil Twitter.

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Commentaire 1
à écrit le 13/05/2023 à 9:45
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Si cela pouvait faire une concurrence à une finance instable qui change ses règles au grée "des affaires" cela pourrait être une solution d'avenir !

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