La crise financière n'aura pas lieu

CHRONIQUE. Ce phénomène se produit assez rarement, toujours en cas de crises de liquidité, c’est-à-dire en période de grands stress financiers comme en 2008 ou au début de la crise de la Covid. Il se traduit par un appétit glouton envers le dollar américain recherché par la planète entière, car il vient cruellement à manquer. Par Michel Santi, économiste (*)
(Crédits : Yuriko Nakao)

C'est bien sûr les plus fragiles qui trinquent d'abord, à l'image de ce qui se déroule en ce tout début d'année en Égypte où quasiment plus un seul dollar ne circule plus. Il faut dire que 2.200 milliards de ces dollars ont été retirés des marchés, et donc des trésors des États, des comptes des entreprises et des privés ces 20 derniers mois par la Réserve fédérale américaine ayant fait de la lutte contre l'inflation sa priorité absolue. Comme elle est seule à pouvoir émettre ce billet vert si convoité, le monde entier tente de lui en emprunter.

En réalité, c'est une banque centrale américaine à deux vitesses - quelque peu schizophrène - que les experts voient naître sous leurs yeux à la faveur des crises répétitives. Cette dichotomie inavouable ne put se manifester au grand jour qu'à la faveur de la remontée très énergétique de ses taux d'intérêt ces mois derniers. En effet, tandis qu'elle raidit sa politique monétaire dans le seul et unique objectif de casser la croissance en ralentissant la consommation afin de mater l'inflation. Au même moment et en parallèle, elle poursuivit sa mission de grande pourvoyeuse de liquidités afin de contenir la volatilité sur les sacrosaints marchés financiers. Souvenons-nous des trillions déversés dans le système lors de la panique due à la crise du crédit de 2008 ou de la Covid en mars 2020 : ils eurent pour conséquence immédiate de faire baisser de plus d'un cran les déroutes en gestation et d'atténuer considérablement les hystéries.

Une seule mission : lutter contre l'inflation ?

Il y a donc une contradiction incontestable entre une politique monétaire qui, d'une part, se durcit dans une lutte à mort contre l'inflation, et d'autre part, une générosité sans limites qui cherche à amortir les chocs aux entreprises et aux banques. Eh oui, la Fed est pertinemment consciente de l'extrême complexité que sont devenus aujourd'hui les produits financiers dont certains sont affublés de l'appellation rêveuse d'«exotiques», susceptible par une nuit sans lune de contaminer dans un premier temps l'ensemble des rouages avant de les faire imploser, en l'absence de ses vitales liquidités. Elle n'a donc plus le choix que par cette fuite en avant qui permet (pour le moment) au quadrillion de dérivés de continuer à s'échanger. De banque centrale traditionnelle ayant pour mission de lutter contre l'inflation - ce qu'elle fait en remontant énergiquement ses taux qui ont pour conséquence de ralentir l'économie réelle -, la Réserve Fédérale américaine joue désormais également le rôle crucial de pompier envers l'économie virtuelle : celle de grande pacificatrice, en neutralisant toute velléité de volatilité dont ont une sainte horreur les marchés.

Cette deuxième attribution de celle qui reste la plus puissante des banques centrales par la grâce de l'impérium de sa monnaie arbitre universel prend à présent nettement le pas sur la première (lutte contre les pressions inflationnistes). Si bien que les jeunes générations d'analystes - n'ayant pas vécu les flambées inflationnistes des années 70 et 80 - sont aujourd'hui persuadées que ces injections massives de liquidités dans le système visant à le refinancer éternellement constituent la mission normale et conventionnelle d'une banque centrale. La liquidité à tout prix est donc devenue aujourd'hui la drogue dure du marché, des entreprises et même des ménages qui furent tous aux premières loges pour en bénéficier lors de la crise de la Covid.

De la Fed en passant par la Banque du Japon et jusqu'à la BCE, l'imbrication de nos banques centrales dans le système financier est désormais intense, consanguine.

______

(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.
Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l'auteur d'un nouvel ouvrage : « Le testament d'un économiste désabusé ».
Sa page Facebook et son fil Twitter.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 06/01/2023 à 13:22
Signaler
Michel SANTI oublie un point important : les marchés veulent être protégés car les intervenants sur ces marchés se rémunèrent sur la valeur de ceux-ci. Ce n'est pas par altruisme ou efficacité économique que ceux-ci cherchent la stabilité....Mais po...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.