La réouverture des magasins suffira-t-elle à relancer le secteur de la distribution ?

OPINION. Pour entrer dans la phase de « Nouvelle Réalité » d’après-coronavirus, les enseignes ne peuvent pas miser seulement sur la réouverture des magasins, car le retour des consommateurs reste encore incertain post déconfinement. La digitalisation accélérée et un engagement responsable joueront, entre autres, un rôle déterminant dans les prochains mois. Par Jean-Marc Liduena (*)
(Crédits : Reuters)

Le gouvernement travaille activement avec les pouvoirs publics, les dirigeants d'entreprises et les partenaires sociaux à la relance de l'économie nationale, des territoires d'industrie et des filières stratégiques. Au cœur de cet agenda extrêmement complexe, le secteur de la distribution est l'un des piliers essentiels pour la relance de la consommation. La distribution pèse près de 200 milliards d'euros de chiffre d'affaires en France, avec plus de 3.5 millions de personnes engagées dans le secteur, dont le commerce alimentaire qui emploie 660.000 salariés*. Sans une relance de la consommation, premier poumon de la croissance, notre pays ne redécollera pas et s'enfermerait alors dans une crise durable, sur le plan économique et social.

Toutes les enseignes de distribution se préparent donc à la prochaine phase, la « Nouvelle Réalité » du secteur, mais font face à une série de défis impressionnants, empreints d'incertitude. Face au Covid, la plupart des enseignes ont assuré le maintien des opérations (approvisionnement, logistique, merchandising, etc.) mais le premier défi à relever est celui du retour des consommateurs.

En effet, depuis le déconfinement, la confiance n'est pas encore de retour car la sérénité n'est pas là, quelles que soient les mesures sanitaires prises par les magasins. Tant qu'un vaccin anti-Covid n'aura pas été trouvé, ou que le risque d'une deuxième vague ne sera pas éradiqué, le trafic en magasin restera moindre car nous ne serons pas encore dans « l'après Covid » mais toujours dans « l'avec Covid ». Les statistiques le démontrent déjà en Chine : depuis la réouverture des magasins, il y a plusieurs semaines, le trafic est en repli de 50% par rapport à l'an dernier*. Les enseignes doivent donc impérativement mettre en place une série d'initiatives stratégiques et opérationnelles pour assurer l'avenir. Nous en retiendrons essentiellement deux ici.

Reconnecter avec les consommateurs en accélérant la digitalisation

Le comportement d'achat des consommateurs a profondément changé au cours des derniers mois. Le e-commerce a explosé, avec des taux de croissance du Drive et de la livraison à domicile bien au-delà de 1000%*. Une enseigne de proximité a vu le nombre de commandes Drive en région parisienne passer de 3 ou 4 par semaine à plus de 50 par jour dans ses magasins dès le début du confinement ! Certains producteurs ont aussi profité de la crise pour passer outre les distributeurs, en vendant directement en ligne, ce qu'on appelle le DTC (direct-to-consumer). Ces nouveaux modes d'achat en ligne sont désormais bien installés en France, et les acteurs de la distribution doivent ainsi s'adapter et satisfaire aux nouvelles attentes des consommateurs, plus digitales que jamais.

La clef de voûte de cette digitalisation sera la donnée, la « data », sur deux volets essentiels : la connaissance client d'une part, à travers les programmes de fidélité et tous les leviers de personnalisation (smartphones, réseaux sociaux, expérience client, etc.) ; et la prédiction de la demande d'autre part, pour améliorer l'assortiment et affiner les prix et les promotions.

Le commerce et le marketing en ligne permettent aujourd'hui de collecter un volume de données sans précédent (encore davantage depuis le confinement), que les marques et les distributeurs peuvent exploiter grâce aux technologies d'intelligence artificielle et de « data analytics ». Le poste de Chief Data Officer a notamment été créé au sein de nombreux groupes pour développer ces technologies, et ainsi assurer une parfaite adéquation entre les attentes des consommateurs et l'offre de produits et de services de l'enseigne. Cette exploitation des données doit se faire dans le respect du RGPD** : si les consommateurs veulent se voir proposer des services personnalisés, ils sont dans le même temps toujours plus sensibles à la protection de leurs données personnelles.

Démontrer un engagement sociétal responsable

La crise sanitaire du Covid aura un double impact sur la distribution, et sur la responsabilité des acteurs du secteur.

Tout d'abord, la crise a démontré la vulnérabilité des circuits d'approvisionnement trop distants, et le risque majeur causé par la prévalence des imports en provenance des pays d'Asie notamment. Les distributeurs ont dû très rapidement se tourner vers des « circuits courts » pour continuer à approvisionner les magasins et à vendre. Ce recentrage vers des produits plus locaux est accentué par le souhait des consommateurs d'acheter du « Made in France ». Le circuit court devient donc incontournable, mais crée aussi une nouvelle équation économique délicate : auparavant, les distributeurs achetaient en masse et très loin pour garantir des prix bas au consommateur ; demain, ils achèteront plus près, en moindre volume et devront expliquer des hausses de prix potentiellement induites — les produits plus locaux généreront un surcoût de 5 à 10%*

, que les enseignes devront nécessairement atténuer en rayon, pour s'assurer que les consommateurs continueront de les acheter.

Par ailleurs, la crise sanitaire a engendré une grande prudence des consommateurs vis-à-vis de la qualité et du caractère socialement responsable des produits, de la marque, de l'enseigne. Avant la crise, moins de 50% des ménages avaient une démarche d'achat véritablement responsable* : toutes les enquêtes consommateurs actuelles, au cœur de la crise, évoquent une attention accrue des consommateurs pour la responsabilité sociale des distributeurs. Ces derniers devront démontrer un engagement proactif sur les enjeux suivants, devenus incontournables pour les gouvernements et les citoyens : la protection du climat (20% des émissions globales de carbone sont dues à la distribution alimentaire) ; la réduction du gaspillage (un milliard de tonnes de nourriture est perdu chaque année) ; la santé (deux milliards d'êtres humains sont en surpoids) *. L'engagement sociétal est devenu une arme de différenciation et de compétitivité pour toutes les entreprises de la distribution. Celles qui ne s'engagent pas ne survivront pas à la crise du Covid et à la guerre des enseignes.

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(*) Jean-Marc Liduena, Associé, Global Strategy Group, Responsable KPMG Advisory Biens de Consommation et Distribution France

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Commentaires 3
à écrit le 16/06/2020 à 16:14
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Pourquoi pose t on la question? Elles dépendent beaucoup de l'offre inutile et de sa pub pour créer une demande! Tout ce qui alimente, en fait, un rente!

à écrit le 16/06/2020 à 13:44
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Le covid ne peut qu'accélérer le mouvement de l'achat sur internet même si on voit quand même de nombreuses personnes âgées seules dans leurs bagnoles contentes d'être libres et du coup de revenir abondamment charger nos routes mais pas sûr que ce ne...

le 16/06/2020 à 19:41
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Bof, j'allais 2 fois/semaine faire des courses, 1 fois quand confinés, et revenu à 2 fois maintenant, mais ne roule pas pour rien, suis exceptionnel ! :-) Ils tournaient en rond ceux que vous avez vu ? Les rond points sont une invention formidable,...

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