Le paquet neutre : un défi aux droits des marques

En mai 2016, les paquets de cigarettes deviendront neutres, ne comportant aucune mention de marque. Au détriment de celles-ci? Par Marie-Georges Picot, avocat, Hoyng Monegier

Le 3 avril, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture la loi dite Santé dont l'une des mesures phares est d'imposer, à compter de mai 2016, un paquet de cigarettes dit neutre, c'est-à-dire standardisé. Il sera désormais de même forme, taille et couleur quel que soit le fabriquant. Les logos disparaîtront. Ils laisseront place à la seule marque verbale, dans une police de caractère uniformisée. En cours d'examen au Sénat, ce projet de loi relatif au paquet neutre, s'inscrit dans une politique globale de santé publique dont les objectifs ne sauraient être contestés. Mais au regard du droit des marques, c'est une première discutable.

Marlboro, dixième marque au niveau mondial

En effet, le paquet neutre va priver des entreprises de la possibilité d'exploiter un de leurs actifs les plus essentiels, leur marque. A titre d'exemple, la marque Marlboro, évaluée à plus de 80 milliards de dollars, est la dixième marque au classement mondial, où elle côtoie des firmes telles que McDonald's et Cola Cola.[1]. Cette valeur reflète l'impact de la marque dans l'esprit du public, et les efforts accomplis pour y parvenir - des dépenses de marketing aux investissements dans la qualité des produits. Plus près de nous, en France, les marques Gauloises ou Gitanes, créées en 1910, jouissent d'une ancienneté exceptionnelle qui a forgé leur valeur et leur réputation. Interdire du jour au lendemain l'exploitation de ces signes distinctifs reviendrait à anéantir le fruit d'un siècle d'investissements et de communication.

D'autres domaines concernés?

Dans ces conditions, on ne peut que s'étonner que le législateur n'ait pas souhaité prendre en compte cette dimension, pourtant essentielle, du problème en choisissant de supprimer purement et simplement les logos des paquets de tabac. Il eut sans doute été tout aussi efficace, et bien moins dommageable pour les droits de ces entreprises, de réduire ces logos à des dimensions précises, plutôt que de les anéantir.

L'adoption du paquet neutre constituerait en outre un précédent contestable au regard du droit des marques : ce choix du législateur pourrait demain trouver à s'appliquer, selon le même raisonnement, à bien d'autres domaines. Chacun a pu assister, ces dernières années, à la montée des préoccupations relatives au diabète et à l'obésité. Elles ont justifié l'apparition de messages préventifs liés à une alimentation « trop grasse, trop sucrée, trop salée ». Faut-il craindre de voir bientôt interdites, pour les mêmes motifs de non-incitation du consommateur, les formes appétissantes du pot de Nutella, ou du chocolat Toblerone (qui sont des marques déposées) ?

A l'encontre de la défense de la propriété intellectuelle

Cette mesure est par ailleurs d'autant plus surprenante qu'elle vient à rebours d'une tendance, sensible ces dernières années, à renforcer la protection accordée aux droits de propriété intellectuelle. Le législateur, français comme européen, a en effet œuvré en faveur des titulaires de marques, quand il s'agissait de développer un arsenal juridique propre à assurer la défense de leurs droits face à la contrefaçon. Le Conseil Constitutionnel a lui-même réaffirmé la valeur fondamentale accordée à cette protection, en évoquant « le droit pour le propriétaire d'une marque de fabrique, de commerce ou de service, d'utiliser celle-ci et de la protéger dans le cadre défini par la loi ».

Le Conseil constitutionnel saisi

Pour l'heure, les sociétés concernées ont fait état de leur intention, si la loi était finalement promulguée, d'en saisir le Conseil Constitutionnel, pour qu'il l'abroge ou, à tout le moins, en vue de se faire attribuer une indemnisation correspondant à la perte de valeur de leurs marques. En effet, il y a une altération grave du droit fondamental de propriété, pour laquelle la Constitution pose une exigence de proportionnalité. A charge donc pour le législateur de démontrer que l'atteinte aux droits de propriété intellectuelle des cigarettiers est bien proportionnée, compte tenu du motif de santé publique invoqué.

On se souviendra du recours dirigé, en 1991, contre la loi Evin : le Conseil Constitutionnel avait alors jugé que la proportionnalité était respectée, l'affichage des marques, bien qu'interdit dans l'espace public, restant possible dans les bureaux de tabac. Les titulaires de marques n'étaient pas entièrement privés de toute possibilité d'exploitation ; la loi Evin était donc constitutionnelle. Mais maintenant que l'interdiction s'étend aux produits eux-mêmes, et menace d'anéantir la fonction et l'intérêt même de ces marques, il est possible que la position du Conseil soit différente. L'Etat aura alors le choix de faire machine arrière ou de consentir à verser des indemnités aux cigarettiers.

 [1] The BrandZ Top 100. Most valuable Global Brands 2015. WPP

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