Les locataires d'appartements, grands oubliés de la transition énergétique

Les propriétaires ne sont pas incités à rénover des logements qu'ils n'habitent pas. Par Déborah Leboullenger, Doctorante CIFRE en économie de l'énergie à l'université de Paris Ouest Nanterre la Défense
(Crédits : DR)

En France, plus de 2,8 millions de ménages (5,5 millions de personnes) souffrent de précarité énergétique. Ces ménages combinent une facture énergétique plus élevée que la moyenne (au-dessus de la médiane), un bas revenu (dans les 3 premiers déciles de revenu) et ne disposent, pour certains, que d'un confort énergétique précaire (près de 10% des ménages déclarent souffrir du froid pour des raisons de précarité en 2013[1]).

Si l'on souhaite dépasser le cadre d'analyse qui se base sur la moyenne, une approche typologique de la consommation énergétique des ménages dans leur logement[2] propose un éclairage nouveau sur les derniers chiffres de la précarité énergétique publié par l'ONPE (Observatoire National de la Précarité Energétique) en novembre 2016. L'approche par groupe permet deux choses : d'identifier les principaux facteurs de précarité mais aussi de dépeindre les portraits types qui segmentent le marché de la consommation énergétique dans le logement.

Tout d'abord on constate, à l'instar des conclusions de l'ONPE que les déterminants de la précarité énergétique sont avant tout économiques. La précarité énergétique étant avant tout l'expression de la paupérisation d'une frange non négligeable de la population en France (les ménages précaires appartiennent en grande majorité aux deux premiers déciles de revenu). Dans un second temps, la situation familiale (familles monoparentales) et d'occupation (locataires) mais également l'état du logement et la source d'énergie utilisée pour le chauffage, jouent fortement sur le risque de tomber dans la précarité et de vulnérabilité énergétique, ce qui présage les enjeux des pouvoirs publics sur ce terrain comme sur celui de la transition énergétique.

 Le marché privé de la précarité énergétique: la moitié des logements

Il existe deux grandes catégories du marché de l'efficacité énergétique dans le résidentiel : l'une est du domaine des pouvoirs publics qui se doivent de lutter contre la précarité et la vulnérabilité énergétique. L'autre, du ressort du marché est l'investissement privé dans la rénovation des logements (soumis toutefois à des incitations publiques de nature fiscal). A partir d'une évaluation quantitative des comportements en matière de demande énergétique des ménages dans leur logement, le potentiel marché privé de l'efficacité énergétique représente 52 % des logements en France.

Autrement dit, près de 15 millions de foyers ont à la fois un revenu et une part budgétaire allouée à l'énergie suffisamment élevée pour financer et rentabiliser leur investissement en efficacité énergétique tout en minimisant les risques d'effet rebond (surcroît de consommation en services énergétique à la suite d'une hausse du revenu disponible). Les incitations pour cette partie de la population doivent être avant tout informationnelles et pratiques afin de rendre lisibles et accessibles les dispositifs et les avantages d'une rénovation thermique du logement. La crédibilité de la filière du bâtiment, au travers de labels et de système de garantie de la qualité énergétique du travail des artisans est également primordiale. La réussite de la massification du marché de l'efficacité peut passer, par exemple, par la création d'une plateforme commune et d'un réseau articulant financement bancaire, conseil et accompagnement dans le montage du dossier : de l'articulation des aides régionales et nationales à la mise en chantier par un réseau labellisé d'artisans de confiance. La banque peut être au cœur de cette nouvelle structure de confiance et jouer le rôle de "conseiller énergétique indépendant" et d'arbitre pour juger de l'efficacité de la dépense et du gain qu'elle va apporter tout en minimisant le risque d'écart entre gain prévu par la technologie et gain réel pour le ménage.

 Les locataires, grands oubliés

Au final, les ménages locataires en appartement sont les grands oubliés du marché de l'efficacité énergétique. Ils sont surreprésentés parmi les précaires énergétique (56% des précaires selon l'ONPE) mais ils figurent aussi parmi les ménages ayant à la fois de hauts revenus couplés à une  consommation énergétique élevée. D'un côté, les ménages locataires font plus souvent face à une situation de paupérisation et de mauvaises conditions thermiques de leur logement. Ils subissent un problème de mauvais partage des incitations à la rénovation : en effet, ce sont les propriétaires du logement qui décident ou non d'améliorer le confort et la performance thermique de leur logement. En revanche, l'utilité liée à la baisse de la facture énergétique et celle liée à l'augmentation du confort thermique sont directement associées au locataire (dans le cas où les charges de chauffage et d'électricité ne sont pas incluses dans le loyer). Le propriétaire a donc peu d'incitation à l'investissement en efficacité dans son logement s'il doit en supporter les coûts sans jouir immédiatement des bénéfices.  De l'autre côté, les ménages qui investissent dans la rénovation de leur logement sont à 70 % des propriétaires (enquête OPEN).

Déborah Leboullenger, Doctorante CIFRE en économie de l'énergie à l'université de Paris Ouest Nanterre la Défense et chez BPCE-SA, sur le thème du financement de la transition énergétique.

 [1] Enquête Logement 2013 de l'Insee à partir d'un indicateur déclaratif de sensation de froid

[2] Etude menée sur les dépenses énergétiques des ménages à partir des enquêtes logement de l'INSEE pour les années 2006 et 2013.

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Commentaires 8
à écrit le 12/01/2017 à 0:59
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1/ rendre la rénovation thermique obligatoire lors des achats reventes des logements au performance énergétique inférieures à la moyenne nationale. 2/ mise en place d'une taxe de 2% des prix du logements à l'achat revente affecté à un fond de trans...

le 15/01/2017 à 10:58
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Tous les proprios ne peuvent pas remettre leurs biens à niveau. Ces travaux sont très chers. Qui va payer ? La solution violente que vous préconiser aboutira à une pénurie de biens sur le marché. Les ruines se multiplieront en zone rurale... À Paris,...

à écrit le 11/01/2017 à 21:07
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les gens qui achetent une voiture d'occasion qui a 8 ans a la moitie de son prix neuf sont egalement des gens avec peu de moyens secret de polichinelle concernant la renovation pour les locataires..... le chauffage c'est cout variable refacturable ...

à écrit le 11/01/2017 à 19:40
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Pourquoi locataires d'appartements? Le problème est souvent encore pire pour les locataires de maisons qui sont à la fois plus coûteuses à isoler et chauffer. Encore une sous catégorie délaissée... ;-)

à écrit le 11/01/2017 à 18:03
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Voici quelques questions : pourquoi dire "c'est la faute à l'état" ? Pourquoi l'état doit subventionner le privé ? Si l'état doit subventionner, alors les impôts augmenteront, mais les Français ne veulent pas une hausse d’impôts... Alors comment don...

à écrit le 11/01/2017 à 18:01
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Entièrement d'accord et merci pour cet article. Ce que vous dites est encore plus vrai que vous ne le pensez, c'est simple prenez toutes ses boites téléphoniques qui vous harcèlent en permanence s'ils vous téléphonent et que vous leur dites que v...

le 11/01/2017 à 20:20
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@Citoyen blasé: y a-t-il une loi qui interdit au locataire de contacter son propriétaire pour demander de participer aux travaux puisque lui (le locataire) aussi va bénéficier de la mise en conformité écologique ? Oups, j'oubliais, les socialos-bobos...

le 13/01/2017 à 9:25
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Les "socialos bobos" !? Houlà mais dites moi ça a l'air d'être une vilaine maladie ça non !? Les obsessions ont définitivement éliminé toute capacité sémantique en vous mon pauvre ami, c'est déplorable.

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