Même les marchés doivent se préoccuper des inégalités

Lorsqu'elles sont solidement ancrées, les inégalités peuvent fragiliser la croissance économique et la cohésion sociale. De quoi préoccuper les intervenants sur les marchés financiers. Par Elga Bartsch, chef économiste Europe Morgan Stanley, et Carmen Nuzzo senior economist, Morgan Stanley
Retraités pauvres en Grèce. C'est l'un des pays où les inégalités ont le plus augmenté, selon Morgan Stanley

La question des inégalités fait aujourd'hui l'objet d'un vif débat dans les médias, dans la sphère politique et dans les milieux universitaires. Selon nous, il est essentiel de comprendre que les inégalités sont inhérentes au fonctionnement des processus de marché. Cela étant, lorsqu'elles persistent, elles peuvent freiner la croissance. Ce risque est particulièrement élevé dans les pays développés, où les inégalités se creusent au sein même de nombreux pays. En revanche, les inégalités entre les pays diminuent dans l'ensemble. Les pays du sud de l'Europe et les États-Unis sont relativement mal classés dans l'indice des inégalités de Morgan Stanley (MSII), qui porte sur 20 pays développés.

La distribution des fruits de la croissance compte aussi

La croissance elle-même est importante pour la prospérité d'un pays, mais sa distribution l'est tout autant, point qui est souvent ignoré. Les inégalités ont un impact sur la consommation et sur la dynamique de l'épargne. Elles sont par ailleurs complexes puisque de nombreux facteurs y contribuent : événements ponctuels, économies d'échelle, progrès technologiques, etc. Certaines de ces évolutions ont dopé la demande de travailleurs qualifiés.

Le risque de mesures protectionnistes

Si les facteurs objectifs à l'origine des inégalités sont importants, les perceptions subjectives le sont tout autant. Celles-ci peuvent varier dans le temps, mais elles sont importantes pour la tolérance d'un pays aux inégalités et ont une influence sur le vote des électeurs et peuvent fragiliser le consensus social. Cela peut conduire à des erreurs politiques et à de possibles réactions de repli se traduisant par une régulation accrue du marché et des mesures protectionnistes et anti-immigration.
Il est difficile de mesurer les inégalités. D'un point de vue économique, on retiendra surtout les inégalités de revenu et de richesse et les inégalités dans le domaine de la consommation. De plus, la notion d'inégalité varie dans le temps et est souvent liée à des facteurs sociaux tels que la race, le sexe et la culture. Les inégalités sont liées à des différences dans les niveaux de vie que la société juge souhaitable.

Différents facteurs de hausse des inégalités

La question des inégalités comporte de multiples facettes. Différents facteurs ont contribué à l'accroissement des inégalités dans de nombreux pays industrialisés ces dernières années : la mondialisation, mais aussi l'augmentation de l'écart salarial entre travailleurs qualifiés et non qualifiés et l'accroissement des disparités de richesse, lié en partie aux héritages.
De plus, le fossé intergénérationnel et les inégalités intragénérationnelles, de plus en plus importantes, ont également joué un rôle. La jeune génération est confrontée à une plus grande insécurité en matière d'emploi et de retraite et a plus de mal à accéder au marché de l'immobilier. Les inégalités intragénérationnelles sont dues aux rigidités structurelles du marché du travail et au déséquilibre entre l'offre et la demande de compétences. Enfin, la « Grande récession » et la crise financière ont exacerbé cette tendance.

Un impact encore débattu

Si le débat public sur les inégalités se focalise essentiellement sur les plus riches (les fameux 1 %) et sur les politiques de redistribution, il ne tient pas compte du fait que les inégalités sont la conséquence indirecte de processus dynamiques tels que l'innovation et la mobilité sociale. L'impact des inégalités sur la croissance économique n'est en effet pas clairement démontré. De plus, en se concentrant sur les effets négatifs des avancées technologiques sur le marché du travail - suppression d'emplois du fait du recours accru à l'automatisation et accroissement de l'écart salarial entre travailleurs qualifiés et non qualifiés -, le débat minimise les progrès permis par la technologie, à savoir une amélioration du niveau de vie et une plus grande disponibilité et accessibilité des biens et services. À titre d'exemple, les progrès réalisés dans les secteurs des télécommunications et de l'automobile ont rendu la croissance plus inclusive en réduisant les inégalités entre les consommateurs.

La croissance et la cohésion sociale fragilisées

Lorsqu'elles sont solidement ancrées, les inégalités peuvent fragiliser la croissance économique et la cohésion sociale. En particulier, lorsque des inégalités déterminent d'emblée la position de chaque individu dans la distribution du revenu et de la richesse indépendamment de ses efforts, elles peuvent bloquer des opportunités. Il sera d'autant plus difficile d'inciter les personnes concernées à travailler dur, à faire des études et à améliorer leurs compétences.

C'est alors que les inégalités peuvent freiner la croissance économique, ce de différentes manières, notamment par une baisse de l'investissement (dans le capital humain en particulier) et un bouleversement des modèles économiques. Notre étude montre que du fait de l'évolution de la classe moyenne dans les pays développés, laquelle se scinde plus que jamais en une classe moyenne supérieure et une classe moyenne inférieure, les segments de marché sont de plus en plus fragmentés, notamment dans les secteurs des loisirs, de la distribution, de la santé, de la consommation de base et du transport aérien.

Le Portugal, l'Italie, la Grèce, l'Espagne et les Etats-Unis, les plus mal classés

Dans notre indice MSII, le Portugal, l'Italie, la Grèce, l'Espagne et les États-Unis sont les cinq pays qui affichent le plus mauvais score d'inégalité parmi les 20 pays de l'OCDE que nous avons analysés. Dans notre classement, nous complétons les mesures traditionnelles de l'inégalité, telles que le coefficient de Gini, par d'autres indicateurs comme la participation au marché du travail, l'état de santé et l'accès au numérique. Lorsque nous examinons l'évolution des inégalités depuis le milieu des années 1980, la surprise vient des pays scandinaves et plus particulièrement de la Suède, qui enregistre une des plus fortes hausses des inégalités, malgré un score qui reste comparativement faible.

Fragmentation du paysage politique

Il est intéressant de noter que les cinq pays qui affichent les plus mauvais scores dans l'indice MSII sont également ceux qui ont enregistré une forte progression des partis non traditionnels ces dernières années, avec à la clé une fragmentation du paysage politique. Selon nous, des forces centrifuges sont à nouveau à l'œuvre qui mettent à l'épreuve la détermination et la capacité des pays à s'attaquer aux problèmes structurels. La pénétration accrue de l'économie du partage, la hausse des flux migratoires et les nouvelles avancées technologiques, en particulier, créent des opportunités de croissance mais ces évolutions risquent aussi de creuser les inégalités et d'exacerber les tensions politiques. Il faudra donc surveiller de près les signes de lassitude à l'égard des réformes, ainsi que les signes de tensions sociales et de mécontentement politique.

Le présent article s'inspire d'une étude publiée pour Morgan Stanley Research « Sustainable Economics: Mind the Inequality Gap ». Pour toute information importante concernant Morgan Stanley, veuillez vous référer aux informations concernant l'émetteur ou les émetteurs qui font l'objet du présent article sur le site d'information de Morgan Stanley : https://www.morganstanley.com/researchdisclosures.

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Commentaires 7
à écrit le 21/12/2015 à 14:13
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Quelle désolation pareil syncrétinisme de notre monde d'après sa seconde guerre mondiale ! L'égalité , à l'ancienne de la devise française, a été engloutie dans le syncrétisme mondialisé anglo-américain. Et l'on bavasse sur la devise avec des logorrh...

à écrit le 21/12/2015 à 12:03
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Notre devise nationale n'était elle pas : "Liberté, Égalité, Fraternité" ? C'est vrai, c'était sur les pièces en Franc. Le Franc n'existe plus chez nous.

à écrit le 21/12/2015 à 11:30
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Y'a des inégalités..?? où ça..? seulement dans le système capitaliste, pas ailleurs, j'espère.

à écrit le 19/12/2015 à 9:23
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suite. Un journée d'un travailleur manuel correspond à 1kWh; 1litre d'essence correspond à 10kWh.

à écrit le 19/12/2015 à 8:57
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Un kWh de travail humain revient à 140€; un kWh d'électricité coute 0,15€. Ce même kWh humain est taxé 40€, et le kWh d'électricité quelques centimes. Ou est l'erreur?

à écrit le 19/12/2015 à 8:45
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Tout ça parce que le prix de l'énergie est ridiculement bas comparé au cout du travail.

à écrit le 19/12/2015 à 8:45
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Tout ça parce que le prix de l'énergie est ridiculement bas comparé au cout du travail.

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