Quelle transition écologique pour le gouvernement Borne ?

DECRYPTAGE. Les ministres choisis pour mettre en œuvre la planification écologique reflètent plutôt une vision techno-libérale des politiques publiques qu’une volonté de concertation avec les usagers. Par Nathalie Lazaric, Université Côte d’Azur
(Crédits : Reuters)

La composition du gouvernement d'Elisabeth Borne est censé, d'après le projet annoncé par Emmanuel Macron depuis sa réélection, amorcer un véritable tournant vers la transition écologique. Le président a d'ailleurs utilisé le terme de « planification écologique », expression au cœur du programme de son concurrent Jean-Luc Mélenchon.

Contrairement au premier gouvernement Macron, aucun ministre ou secrétaire d'État n'est issu de la société civile, alors même que plusieurs spécialistes préconisent une meilleure concertation avec les associations et usagers, voire une co-construction de cette transition. Ce choix pourrait s'avérer délicat à l'avenir mais reflète une vision techno-libérale de la transition.

L'idée est de répondre aux défis de la transition écologique par la technologie et la coopération public/privé. Pour le logement et le transport, ce sont des pré-requis. Or, ce pragmatisme a ses limites. La transition écologique nécessite aussi, comme l'indiquent plusieurs recherches, un projet culturel fort et un espace de négociation réel avec les citoyens.

Typiquement, les questions du logement et de la mobilité révèlent des visions multiples. Il faut donc pouvoir mobiliser autour de ces questions pour trouver des compromis locaux. La co-construction avec l'ensemble des acteurs de la société civile apporte des solutions pour une réelle appropriation de ce défi majeur et pour affiner et territorialiser les projets écologiques. Un défi majeur, parmi tant d'autres, est la politique des déchets qui implique tous les acteurs : des citoyens, aux acteurs publics et privés sans oublier les industriels et les recycleurs. Cette co-construction nécessite une véritable horizontalité au risque d'aliéner certains acteurs, comme cela a été le cas avec les Plans départementaux d'elimination des déchets ménagers et assimilés (PDEDMA), sur la zone francilienne dont les déboires ont bien été analysés.

Or, l'architecture gouvernementale choisie attribue à la même ministre (Amélie de Montchalin) de très nombreux portefeuilles, comme celui des transports ou du logement, abordé certes par la réhabilitation énergétique. Le risque est ici d'avoir une vision uniquement technophile de la question énergétique.

Ainsi, si on aborde le logement par le seul prisme technologique, on limite la réduction de la consommation énergétique à un exercice de réhabilitation thermique et de maîtrise d'œuvre. Ignorer les pratiques des usagers, leurs besoins, leurs valeurs et leurs priorités compromet la rénovation énergétique car la dimension sociale n'est pas intégrée d'emblée au projet.

Les risques ont bien été soulignés dans ce type d'exercice : sans intégrer la dimension sociale, il y a un potentiel effet rebond (augmentation plus importante qu'initialement prévue) remettant en cause la viabilité économique de ces investissements et privant les ménages de réelles réduction de la facture.

La justice sociale, grande absente du gouvernement

Par ailleurs, la question de la justice sociale est la grande absente. Or, c'est par cette entrée que l'on peut mobiliser les citoyens pour les embarquer dans ces mutations. En effet, la crise écologique touche plus durement les plus pauvres (logement, transport, alimentation et accès à la nature).

Rappelons que pour beaucoup de ménages français, transition écologique rime avec éco-anxiété, c'est-à-dire un sentiment de désarmement face au dérèglement climatique et une peur de perte d'emploi et de pouvoir d'achat.

Pour certains ménages en situation de précarité énergétique, représentant 12 millions de ménages soit 20 % de la population, cette question est critique : comment se loger et se chauffer et surtout à quel prix ? Si on veut réussir la transition écologique, les changements ne doivent plus être une source de peur et de frustration mais un moyen de se projeter dans l'avenir.

La précarité énergétique défi urgent

Les inégalités environnementales sont très importantes, comme le rappelait très bien Lucas Chancel en 2017. 10 % des ménages le plus riches émettent huit fois plus de gaz à effet de serre que les 10 % des ménages les plus pauvres.

Dans ce contexte, il faut agir sur ces inégalités et permettre aux ménages les plus pauvres de ne pas subir la transition mais d'en bénéficier. C'est tout à fait possible en imaginant des mesures fortes en matière de précarité énergétique. La Suède est bon exemple en la matière, en alliant mesures et concertations collectives. On pourrait ainsi sanctionner lourdement les locations dites passoires thermiques et faciliter la rénovation des logements privés, tout en préservant les droits des plus démunis vis-à-vis des fournisseurs d'énergie pour limiter la charge des ménages.

Par ailleurs, les initiatives issues de l'économie sociale et solidaire (ESS), les tiers lieux et autres endroits alternatifs doivent être regardés comme de véritables lieux d'expérimentation sur ces questions pour former les citoyens et trouver de nouveaux lieux d'insertion. Le Tiers-Lieu de Tetris sur le Pays de Grasse dans les Alpes Maritimes est un parfait exemple de nouvelles utopies et d'expérimentations dans de nombreux domaines (agriculture, déchets, recyclage, tourisme, énergie).

Aller vers un accroissement du bien-être

La transition écologique repose aussi sur un possible accroissement du bien être : meilleure qualité de l'air, de l'eau et préservation des écosystèmes naturels. Elle offre aussi la possibilité d'une meilleure alimentation et d'une plus grande sécurité alimentaire. C'est une question fondamentale : comment permettre à tous d'arriver à mieux se nourrir, mieux se loger et se déplacer et mieux vivre au quotidien ?

Il est intéressant ici de noter l'introduction du terme « prévention » dans le mandat de la ministre de la Santé Brigitte Bourguignon, pose des enjeux intéressants.

La prévention rime avec l'éducation et la sensibilisation environnementale. Sur ce point, le combat avec les lobbies existants est essentiel. Le dernier quinquennat a montré que le « dogme » du « en même temps » avait ses limites.

Si on parle de prévention, on ne peut pas transiger sur les risques. Sur la question agricole, peut-on encore faire des compromis sur les pesticides ? Le cap doit être clair à ce niveau.

Par ailleurs, il faut soutenir les initiatives locales d'alimentation de proximité, et d'éducation dans ce domaine. Le projet d'alimentation territorial de Mouans-Sartoux est un parfait exemple dans ce domaine (cantine biologique, ferme éducative, formation et éducation vers l'agriculture locale accessible à tous et conçue pour tous). Il montre la dynamique des territoires et la force des initiatives décentralisées.

Le risque d'aller trop vite

Pour enclencher cette transition, la question de la temporalité se pose aussi, comme le soulignait d'ailleurs Amélie de Montchalin sur France Inter. Elle exposait sous l'expression de « fractures écologiques » les deux vitesses auxquelles se confronte la France dans cette transition : ceux qui veulent aller plus vite, et ceux qui freinent.

Le piège de la planification écologique est de vouloir aller trop vite sans concerter les citoyens. Cette concertation décentralisée, que l'on a pu observer dans d'autres pays comme la Suède avec sa politique énergétique, est le seul moyen d'embarquer le plus grand nombre. Or, ce type de politique publique ne se décrète pas mais prend du temps pour arriver à des compromis jugés acceptables par tous.

Aller vite serait un non-sens, tant les solutions possibles sont nombreuses et complexes, reflétant selon moi les priorités du gouvernement Borne : la lutte contre la précarité énergétique, la réhabilitation énergétique des logements sociaux, le plan alimentation durable pour tous, une politique et réglementation environnementale contraignante en matière d'emballage plastique pour avoir des objectifs réalistes de réduction des déchets, une politique anti-gaspillage alimentaire avec des contrôles des acteurs publics et privés, une politique publique exemplaire en matière environnementale qui servant de moteur, une incitation des acteurs privés et firmes dans le cas de réduction effective du bilan carbone avec déduction d'impôt et un contrôle strict pour éviter le « greenwashing » et les effets d'aubaine. En matière de rénovation énergétique, les contrôles doivent être mis en place de manière régulière pour éviter ces mécanismes.

L'essor de nouveaux instruments financiers dans ce domaine et les « obligations vertes » rendent désormais plus que nécessaire une coordination entre les pouvoirs publics, les banques et les entreprises et les bailleurs publics et privés pour financer les nouveaux projets énergétiques et immobiliers dans ce domaine. Mais, ainsi que le rappelle l'ouvrage d'Hélène Tordjman, il faut constamment regarder ces nouveaux outils avec un regard critique.

Fracture écologique ?

Il est enfin intéressant de noter le terme de « fracture écologique » en France.

La ministre souligne la nécessité d'une politique de la différenciation des politiques, axée sur la décentralisation avec des politiques territoriales resserrées. En effet, cette transition est aussi une culturelle. Si la voiture reste un marqueur de la mobilité, à la fois identitaire et social, les plus jeunes n'ont pas la même perception culturelle de la mobilité. Par ailleurs les politiques de mobilité sont territorialisées avec de fortes divergences entre les cultures locales et l'accessibilité à l'emploi.

Les visions sont contrastées sur la façon d'aborder le problème. Faut-il des changements mineurs ou plus radicaux ? Quels sont les chemins possibles pour changer nos modèles de consommation et nos représentations de ces derniers ?

Au-delà de ces divergences, il faut travailler sur l'éducation populaire environnementale et offrir de nouvelles opportunités dans l'économie verte sans pour autant négliger le phénomène de sobriété plébiscité par de nombreux spécialistes de la question.

Les premières actions du gouvernement Borne auront ainsi valeur de symbole fort et seront déterminantes pour la transition écologique du second quinquennat.

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Par Nathalie Lazaric, Directrice de recherche en innovation et apprentissage, Université Côte d'Azur.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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