Une œuvre non-humaine peut-elle bénéficier des droits d'auteur  ?

OPINION. Depuis l'apparition de ChatGPT, beaucoup a été dit sur la question des droits d'auteur des données d'entrainement de l'intelligence artificielle (IA). Mais qu'en est-il des droits d'auteur pour une œuvre crée par IA même sous la supervision d'un humain. L'un et/ou l'autre peuvent-ils y prétendre ? Par Charles Cuvelliez, Ecole Polytechnique de Bruxelles, Université de Bruxelles, et Jean-Jacques Quisquater, Ecole Polytechnique de Louvain, Université de Louvain.
Jean-Jacques Quisquater et Charles Cuvelliez.
Jean-Jacques Quisquater et Charles Cuvelliez. (Crédits : DR)

Sur le problème des droits d'auteur d'une œuvre crée par une IA sous contrôle humain, le Copyright Office américain s'est déjà avancé. La lecture de ses lignes directrices est tout en finesse : cette institution existe depuis 1870 et en a déjà vu passer d'autres.

Quand le Copyright Office reçoit une œuvre annoncée comme créée par une machine autonome sur base d'un algorithme, il n'y a jamais eu de droit d'auteur octroyé, précise-t-il d'emblée. Sans contribution humaine active ou plutôt créative, il ne peut y avoir de droit d'auteur. C'est mal parti pour l'IA.

En février 2023, le Copyright Office a ainsi octroyé des droits d'auteurs à une œuvre littéraire graphique constituée d'images (créées par IA) et de texte créé par un humain mais seulement au texte d'origine humaine. D'autres cas de figure lui ont été soumis : dans certaines demandes, l'IA était citée comme auteur ou co-auteur. Il était aussi parfois sobrement mentionné que l'œuvre avait été créée avec l'aide de l'IA ou parfois la technologie d'IA était citée dans les remerciements !

Comment décider ou non si l'intervention humaine à côté de l'IA est créative ou non ? Le copyright Act exclut tout auteur non humain mais à l'époque, on raisonnait en tout ou rien évidemment. La technologie n'était pas ce qu'elle est. Rien n'est prévu pour un mélange d'humain et de non humain dans une œuvre.

C'est ainsi, rappelle le copyright office, que la Cour Suprême des Etats-Unis a finalement estimé qu'une photographie est une œuvre susceptible de droit d'auteur. Elle est prise par une machine (non humaine) mais cette dernière est tenue par un humain qui décide de prendre la photographie. Un livre qui contient des mots non-générés par des humains mais réarrangés par un humain devient soumis au droit d'auteur. Un singe qui prend une photo ne donne pas de droit d'auteur car le singe n'est pas un humain.

Quid pour l'IA

Sur la base de ces quelques exemples, le copyright office s'avance ensuite : il a accumulé, dit-il, une expérience pour évaluer des œuvres dont une partie a été créée par de la technologie. C'est déjà arrivé avant l'IA. Il faut diviser l'œuvre, dit-elle, en plusieurs parties selon que le droit d'auteur s'applique ou pas. Celles qui ne le sont pas sont censées être crées de manière autonome par de la technologie, celle qui le sont, avec l'assistance de la technologie. Chaque fois qu'une œuvre contiendra du contenu généré par IA, l'office examinera, dit-il, si la contribution de l'IA est une production mécanique de contenu ou si l'approche mentale et originale d'un auteur l'a orientée d'une certaine manière. Le Copyright Office parle ainsi de mise en forme visible du contenu généré par l'IA.

Tout dépendra aussi comment l'IA utilisée fonctionne, si elle donne cette latitude et comment elle a été utilisée pour créer l'œuvre finale. Et de prendre l'exemple de chatGPT : il est si facile de produire une œuvre musicale ou littéraire par chatGPT en lui demandant cette tâche en quelques instructions. C'est clair, dit alors le Copyright Office, que cette œuvre n'a pas de composante humaine suffisante pour avoir des droits d'auteur. Ce que le Copyright Office oublie, c'est tout le doigté nécessaire parfois avec les prompts de ChatGPT pour faire produire à ce dernier un contenu parfois détonant pour ne pas dire créatif. Car si un auteur prend le contenu produit par l'IA et le modifie, l'arrange, l'adapte, alors il peut être question de droit d'auteur. Les droits d'auteur vont uniquement s'appliquer aux aspects émanant d'un humain dans ce qui aura été produit en commun par l'IA et l'humain.

Ceci dit, précise le Copyright Office pour ne pas apparaitre au passage rétrograde, cela ne signifie pas que la technologie ne puisse faire partie intégrante du processus créatif.  Et de prendre l'exemple de Photoshop.

Comment un auteur doit faire ?

Le Copyright Office dit alors comment faire pour soumettre une demande de protection de droit d'auteur en cas d'implication de l'IA : l'auteur devra simplement bien discriminer ce qui a été produit par l'IA et ce qui n'a pas été produit par l'IA. Pas besoin de préciser la technologie utilisée. Si l'auteur n'est pas sûr de ce qui est IA ou pas dans son œuvre, il devra préciser qu'il y a de l'IA dans son œuvre et le Copyright Office appellera l'auteur pour examiner cela avec lui. Plus amusant est le cas d'œuvres pleines d'IA déjà protégées par le droit d'auteur. Il faudra recommencer l'exercice, apprend-t-on, sous peine de se voir déchu de ses droits d'auteur.

En Europe, c'est la directive sur le droit d'auteur qui devrait s'appliquer au contenu créé par l'IA. Pour y prétendre, un tel contenu doit être le résultat d'un effort intellectuel humain, être le résultat de choix créatifs réellement exprimés dans le résultat final. Quand l'IA s'en mêle, c'est au moment de l'exécution de l'œuvre. L'humain peut être à la manœuvre au moment de la conception avant l'exécution et il peut encore intervenir à la fin, avant de rendre public son œuvre. Tout dépendra donc de l'étape avant et près l'intervention de l'IA pour prétendre à une protection. Ce sera aussi du cas par cas.

Ce qui s'applique aux droits d'auteur s'applique aussi aux brevets. La cour suprême des Etats-Unis a rejeté une demande de brevet pour une invention entièrement créée par l'IA. Le même raisonnement s'applique : les brevets sont là pour encourager les humains à inventer. S'il n'y a pas d'humain à quoi bon. C'est aussi la vision de la convention européenne des brevets à son article 81.

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Commentaires 2
à écrit le 14/05/2023 à 20:13
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Il serait peut être plus simple de supprimer "le droit d'auteur" puisque l'on ne veut pas supprimer l'innovation et.., d'en faire un progrès ! ;-)

à écrit le 14/05/2023 à 10:13
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Instructif quant à la démarche de nos "universitaires". Le AI act proposé par l'EU introduit aussi la notion de copyright pour le contenu généré par de l'AI, mais l'article l'ignore complètement alors que ce texte est en discussion depuis 2 ans. Ici ...

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