Union européenne : un plafond mouvant pour les prix du gaz est-il encore un plafond ?

La Commission européenne a proposé son plan pour répondre aux besoins de gaz naturel des Etats membres. Des mesures qui visent à éviter les pénuries au cours de l'hiver 2023-2024. Analyse. Par Charles Cuvelliez et Patrick Claessens, Ecole Polytechnique de Bruxelles et Université de Bruxelles.
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne.
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. (Crédits : Reuters)

Le plan de la Commission européenne pour mettre en place un acheteur unique sur le gaz a savamment fuité, lundi passé, en préparation du Conseil européen qui devra statuer une fois pour toutes si oui ou non les Etats membres achèteront ensemble leur gaz et s'ils seront capables d'imposer un plafond de prix. Depuis, la Commission a confirmé son contenu et l'a publié (on comprend qu'on en est à la version 7 au titre du fichier !).

C'est surtout l'hiver 2023-2024 qui fait peur: pour cet hiver, nos stocks sont pleins... car nous avons eu de la chance. Il y avait assez de gaz pour les remplir, peu de demande de la part de la Chine et de l'Asie malgré la défection progressive des livraisons russes. La Commission a renforcé ses liens avec des fournisseurs alternatifs de gaz (liquide essentiellement) : Etats-Unis, Canada, Egypte, Israël, Azerbaïdjan. Un dialogue renforcé a repris entre l'Europe et l'Algérie. Il fait suite, il faut dire, au défilé de quelques chefs d'Etat qui sont venus dans ce pays pour sécuriser, seuls, leurs emplettes.

Dans ce plan, il s'agit d'abord de surmonter les obstacles juridiques à créer le concept d'acheteur unique via la consolidation de la demande et ainsi lancer des appels d'offres pour un volume plus grand. Les Etats membres devront passer par ces achats groupés pour au moins 15 % de leur volume à stocker annuellement à côté desquels pourront se mettre en place des consortiums sur base volontaire d'achats groupés de gaz entre sociétés européennes sans invoquer les articles du traité de Rome qui interdisent de tels cartels.

Des achats groupés faits en toute transparence

Avec des achats groupés, la Commission vise à garantir pour tous un accès équitable à de nouveaux marchés internationaux et des nouveaux fournisseurs tout en donnant plus de poids aux Européens. Ces achats groupés doivent se faire en toute transparence. Les contrats conclus ou les intentions de contrats devront être publiés sur une plateforme pour s'assurer que les objectifs de sécurité d'approvisionnement sont remplis. Cette transparence, peu commune, devrait empêcher que les États membres se concurrencent et surenchérissent même involontairement à l'instigation des producteurs. Une avancée tout aussi positive sera l'obligation de renseigner les capacités de stockage et de transport inutilisées sur une longue période en cas de congestion à court terme (une des causes de la volatilité des prix, selon la Commission). Elles doivent alors pouvoir être utilisées sur le champ.

La Commission se donne la liberté de relever les objectifs de réduction de consommation de gaz si elle voit que les objectifs actuels ne seront pas atteint de manière volontaire. La Commission va aussi proposer des mesures qui donneront la latitude aux Etats membres de diminuer de force la consommation non essentielle pour laquelle elle donne des exemples caricaturaux comme le chauffage à l'extérieur. Il faut préserver les secteurs essentiels dans les services et l'industrie. Les Etats membres pourront aussi redéfinir les catégories de consommateurs qui doivent être protégés en toute circonstance de la précarité.

Solidarité et prix

On trouve écrite noir sur blanc l'obligation de solidarité : un pays en manque brutal de gaz doit pouvoir compter sur la livraison de gaz par les autres Etats membres moyennant une juste rétribution.

Mais tous ces mécanismes ne protègent pas des prix élevés.  Le gaz s'échange sur le marché TTF (Title Transfer Facility) qui a des niveaux élevés et qui est très volatil même si cela s'est un peu calmé depuis l'été. Ce marché reflète la situation en Europe sous nos latitudes essentiellement à cause de pénuries locales et des goulots d'étranglement sur les infrastructures, dit la Commission. Elle se garde bien d'évoquer la spéculation. Le problème est que les tensions sur le marché TTF s'étendent ailleurs, sur les prix du gaz liquéfié en général et sur les marchés internationaux au niveau même des contrats long terme. Pour éviter cet effet de contagion, la Commission veut mettre en place un benchmark des prix de gaz liquide, dans l'espoir que ces prix traduisent la (vraie) situation mondiale de ce gaz et pas la transmission des tensions d'un autre marché local vers ce dernier. C'est ce benchmark qui servira de base rationnelle pour imposer un prix plafond lorsque le marché TTF exagère tout seul. C'est donc un prix plafond dynamique. La Commission imposera aussi un mécanisme de limitation des prix intra-day, essentiellement au niveau des pointes qui peuvent être enregistrées le même jour, car ces volatilités se transmettent tout de suite aux marchés dérivés avec un impact sur les garanties demandées (appel de marge). L'objectif de contenir les prix sans faire fuir les producteurs devrait être atteint.

Bye-bye le modèle ibérique

Quant à limiter les prix de l'électricité produite à partir de gaz et instaurer ailleurs le système ibérique (subventionner le gaz acheté pour faire tourner les centrales électriques qui l'utilisent et réduire ainsi le prix de l'électricité, toutes sources confondues), on reviendra. La Commission ne la retient pas. Explication ? Le mix énergétique des Etats membres est trop différent, leurs interconnexions et leurs systèmes électriques divergent trop pour espérer étendre harmonieusement ce système partout en rendant tout le monde content. Elle craint que subventionner le gaz n'augmente la consommation de gaz ! On peut y voir la touche de l'Allemagne qui a besoin de gaz pour son industrie, pas pour produire de l'électricité pour laquelle elle a, elle, ses centrales à charbon qu'elle redémarre. Subventionner le gaz reviendrait à rendre ses centrales à charbon moins concurrentielles et à la priver de gaz, la double peine !

La commission va aussi adresser le problème des liquidités sur les marchés dérivés. Elle suit en cela ce que la Banque des règlements internationaux (BRI) a avancé : c'est le manque d'acteurs sur ce marché qui fuient les garanties élevées qui y sont demandées qui aggrave le problème, rendant le marché encore moins liquide et plus volatil. L'idée est de permettre aux acteurs non financiers sur ce marché d'apporter des garanties moins liquides et de relâcher les niveaux d'appels de marge exigés.

Protéger aussi les infrastructures

La récente explosion du pipeline Nordstream force la Commission à ajouter un paragraphe sur infrastructures critiques. Il faudra mieux les protéger, en discuter avec l'Otan, procéder à des stress tests pour comprendre l'implication d'un sabotage d'une infrastructure ou sa mise hors service et voir que faire. Enfin, un blueprint sur comment l'ensemble des Etats se doit de réagir sera conçu. Ces stress tests ne concerneront pas que l'énergie mais aussi les transports ou les communications et même l'espace.

Enfin, la Commission voudrait simplifier et raccourcir les démarches administratives pour les projets de renouvelable.

Ces mesures apportent enfin du concret sur le gaz: transparence, plafond de prix qui s'inspirera des prix du gaz liquéfié au niveau mondial, achats groupés possibles même via des consortiums. Sur l'électricité, c'est décevant.

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Pour en savoir plus : Communication from the Commission to the European Parliament, the European Council, the Council, the European Economic and Social Committee and the Committee of the Regions. Energy Emergency - preparing, purchasing and protecting the EU together

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