Pourquoi faut-il réduire la consommation de gaz si ce n'est pas pour les prix ?

OPINION. Les besoins en gaz dont les prix ont explosé sont le talon d'Achille de l'Union européenne depuis que la Russie a réduit ses exportations bien avant son invasion de l'Ukraine. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) a établi plusieurs scénarios sur la façon dont la situation pourrait évoluer. Par Charles Cuvelliez et Patrick Claessens, Ecole Polytechnique de Bruxelles, Université de Bruxelles.
Vue du site de regazification de Saggas, à Valence en Espagne. Ce site qui appartient à la compagnie espagnole Enagas est un point d'entrée stratégique du gaz naturel en Europe, en provenance d'Afrique et du Moyen Orient.
Vue du site de regazification de Saggas, à Valence en Espagne. Ce site qui appartient à la compagnie espagnole Enagas est un point d'entrée stratégique du gaz naturel en Europe, en provenance d'Afrique et du Moyen Orient. (Crédits : Reuters)

Depuis plusieurs mois, les autorités européennes mettent en place des plans de réduction de notre consommation du gaz. En même temps, on nous annonce que les réserves de gaz n'ont jamais été aussi pleines, de quoi passer l'hiver. Mais c'est ce message rassurant qui n'est pas la réalité.

Notre capacité de stockage en gaz ne représentent que 27 % de la consommation annuelle.

La demande de gaz a déjà bel et bien diminué en Europe avec une réduction de 10 % entre janvier et août 2022. Pour passer l'hiver 2022-2023, l'Union européenne a adopté une mesure obligatoire pour remplir les réserves de gaz à 80 % avant l'hiver 2022-2023 et 90 % les années suivantes. Elle a aussi adopté un plan de réduction volontaire de la consommation de 15 % entre août 2022 et mars 2023 sur base de la moyenne des cinq ans qui précèdent.

Ces 15 % sont essentiels pour avoir assez de gaz malgré les stocks reconstitués comme jamais.

L'Agence Internationale de l'Energie (AIE), dans son rapport trimestriel sur le gaz, note que Gazprom a réduit petit à petit ses livraisons à l'Union européenne dès avant l'hiver 2021/2022. Il y a eu moins de ventes directes vers les hubs européens, moins de mises aux enchères et les stocks n'ont pas pu être remplis complètement. On ne saura jamais si c'était prémédité, pour accentuer la pression sur l'Europe à ne pas réagir à l'invasion de l'Ukraine mais il est de ces coïncidences qui valent d'y réfléchir. En tout cas, la Russie a créé une situation de pénurie totalement artificielle (puisqu'il y avait fondamentalement assez de gaz extrait) qui a mis la pression sur les prix. La suite de l'histoire est connue: la guerre débute, Gazprom réduit ses livraisons à 20 % de la capacité de Nordstream en mai qui deviennent 0 % en septembre.

Gaz liquéfié, notre chance

La Commission a vite imposé au printemps une obligation de remplissage des stocks de gaz à 80 %. Cet objectif a été atteint et même dépassé dans plusieurs Etats membres. Le gaz liquéfié a joué, par chance, un rôle crucial pour compenser les chutes de livraison de gaz russe en 2022. Les importations européennes de gaz liquéfié ont cru de 70%. Avec des terminaux gaziers en pleine expansion et la majeure partie des terminaux gaziers flottants loués par l'Europe (il y en a 20 dans le monde: l'Europe s'en est accaparé 12 et en a 9 en projet), l'Europe aura augmenté de 15 % ses capacités de gazéification pour 2022/2023.

Mais ce n'est pas tout d'avoir de quoi accueillir le gaz liquide. Il faut qu'il vienne. L'Agence a raison de sous-entendre qu'on a eu de la chance, en Europe, pour remplir nos stocks (mais à quel prix) et rien ne garantit qu'on puisse avoir du gaz liquéfié GNL en suffisance demain. Plusieurs entreprises ont pu conclure des contrats de gré à gré à court et long terme mais on s'attend à ce que la majeure partie du gaz liquide qu'on devra acheter viendra des marchés spot, ce qui n'est pas bon pour la volatilité des prix. L'AIE a raison de prendre un scénario de pénurie sur le gaz liquéfié. Notre continent a juste profité des confinements à répétition en Chine et de la faible demande en Asie pour accaparer le gaz liquéfié les mois passés.

L'Europe a aussi cherché à diversifier ses achats par gazoducs depuis des fournisseurs non russes. C'est plus sûr car acheteur et vendeur doivent finir par s'entendre sous peine de laisser le gazoduc vide. Il n'y a qu'eux aux deux extrémités du gazoduc. L'Italie a conclu un contrat avec la Sonatrach en Algérie. Les importations de gaz depuis l'Azerbaïdjan par gazoduc ont cru de 50 % sur les 8 premiers mois de 2022 mais ce pays ne brille tout de même pas par sa stabilité géopolitique. De nouvelles capacités ont été ouvertes entre la Norvège et la Pologne et de la Pologne vers le Danemark. Des interconnexions ont été mises en place entre la Pologne et la Lituanie, entre la Pologne et la Slovaquie, entre la Grèce et la Bulgarie pour permettre à cette dernière d'avoir accès au gaz azéri et au gaz des terminaux gaziers grecs. Le potentiel de la Méditerranée et de l'Afrique est aussi devenu concret.

Si l'Europe a proposé une mesure volontaire de réduction de gaz de 15 %, plusieurs pays ont obtenu des dérogations. L'AIE estime que ces 15 % deviendront 11 % dans les faits. C'est bien là le risque. Ce n'est pas tellement un hiver froid qu'il faut craindre mais un hiver qui se réveille à l'approche du printemps (en mars). A ce moment, les stocks de gaz sont à bas niveau et leur capacité à livrer du gaz décline avec la pression moindre dans les réservoirs. Les sites de stockages deviennent moins réactifs (en temps et en volume) aux variations de demandes. Si un pic de froid apparaît, le gaz risque de ne plus arriver tout simplement ! Alors 15 % d'économies, est-ce suffisant ?

Les scénarios

L'AIE étudie trois scénarios : la consommation de gaz ne bouge pas et reste proche de la moyenne des 5 ans précédents et l'hiver est 8 % plus froid que les années précédentes. C'est le scénario 1 et il est loin d'être extrême car un hiver sur deux est dans ce cas si on prend la moyenne de 2017 à 2021 (souvenons-nous du Texas en février 2021 : le réchauffement climatique implique aussi des variations plus grandes dans la météo). Le deuxième scénario est une réduction de la consommation de 9% et enfin, troisième scénario, une réduction de 13 %. Dans le premier scénario, le niveau des stocks de gaz diminuera à 18 % (et même 5 % si l'Europe n'arrive pas importer tout le gaz liquéfié dont elle a besoin).

Avec 9% de réduction atteints, le niveau des stocks atteint 38 % à la fin de l'hiver (25 % si on n'a pas réussi à sécuriser les importations de gaz liquéfié). Enfin, avec 13 % de réduction, on arrive à garder le niveau des stocks à 45 % (et 33 % en cas de souci sur le gaz liquéfié). En fait, il faudrait un niveau de stockage de 30 % minimum pour que les sites de stockage puissent répondre correctement aux variations de demande sur le volume et le temps.

C'est donc le scénario à 13 % de réduction de la consommation de gaz qui est conseillé car il sécurise les stocks à 33% de remplissage à la fin de l'hiver. En plus, un tel niveau réduira la demande pour remplir à nouveau les stocks avant 2023-2024.

Mais comment réduire de 13 % notre consommation ? L'AIE plaide pour utiliser moins de gaz pour produire de l'électricité, pour réduire les températures intérieures chez soi ou dans les centres commerciaux. Les opérateurs gaz et électricité doivent également plus se coordonner pour que l'un ne mette pas en difficulté l'autre. L'AIE demande d'ailleurs qu'on utilise plus le charbon et le pétrole pour la production d'électricité (ce qui est une recommandation inaudible) ainsi que plus de nucléaire, là où c'est « techniquement et politiquement possible ». L'AIE propose aussi que les utilisateurs industriels de gaz mettent en vente aux enchères les volumes de gaz qu'ils ont déjà sécurisé par contrat, un moyen de diminuer la demande mais qui laisse rêveur. Quel est l'intérêt pour les utilisateurs industriels prévoyants en vue de couvrir leurs besoins futurs de venir en aide à leurs confrères imprévoyants et affaiblir tout le monde.

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Pour en savoir plusGas Market Report, Q4-2022, including Global Gas Security Review 2022, International Energy Agency

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Commentaire 1
à écrit le 14/10/2022 à 17:31
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"Mais comment réduire de 13% notre consommation ?" en passant de 18° à 17°C, sur 3 hivers j'ai consommé, en moyenne, 15% de moins de gaz (5MWh au lieu de 6) et j'espère que la nouvelle chaudière haute performance fera bien ses -20% (= 4MWh/an pour 85...

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