Baker Hughes, Alstom, Arcelor Mittal... Au Creusot, la stratégie de réindustrialisation porte ses fruits

Touchée de plein fouet par la crise des années 1980, la cité bourguignonne - façonnée par la famille Schneider - n’a jamais cessé de croire en son potentiel. Aujourd’hui, le Creusot (71), symbole de la ville industrielle au XIXe siècle, peut s’enorgueillir de la présence de grands noms de l’industrie tels que Baker Hughes, Alstom, Arcelor Mittal, Framatome ou encore Safran. Comment expliquer cette résilience ?
(Crédits : Cyrille-Dupont)

« Ici, il se passe quelque chose au niveau industriel ! », s'exclame Arabelle Chambre-Foa, directrice de projet à la « Fabrique de la cité », un think tank dédié à la prospective et aux innovations urbaines, qui organisait en juillet dernier un atelier territorial consacré à la réindustrialisation, au Creusot. Le berceau de la sidérurgie n'a pas attendu que le mot « réindustrialisation » soit sur toutes les lèvres. Depuis le traumatisme de la liquidation du géant sidérurgique Creusot-Loire qui avait provoqué près d'un millier de licenciements, il y a près de 40 ans, la ville usine semble vivre un renouveau industriel. Selon l'Insee, le taux de chômage a chuté de 0,5 points en un an, passant de 8,4% en 2021 à 7,9% au premier trimestre 2022. L'industrie représente 25% des emplois salariés, soit environ 7.000 postes. Ce qui correspond au nombre d'emplois industriels que comptait la ville au moment de la fermeture de Creusot-Loire.

Un marché de niche

La cité Schneider a su se tourner vers des marchés de niche, à forte valeur ajoutée. General Electrics devenu Thermodyn, filiale du géant américain Baker Hughes, développe des compresseurs verts et des turbines à vapeur dont certaines sont embarquées sur les sous-marins nucléaires français. Industeel, filiale d'ArcelorMittal (750 salariés sur ce site) se concentre sur des aciers très spécifiques, tels que des coques de sous-marins, remplaçant du porte-avions Charles de Gaulle, blindages des engins du programme scorpion, produits pour le nucléaire ou les éoliennes. Alstom (730 salariés sur le site) fabrique les bogies (système de roulement) de TGV, notamment celui qui a battu le record de vitesse de 535 km/h. Safran, « qui avait d'ailleurs sonné la réindustrialisation dans les années 80 de ce bassin », précise David Marti, maire PS du Creusot, développe sur place des disques de turbines, éléments essentiels de ses moteurs d'avions. Le géant de l'aéronautique envisage notamment de créer 50 emplois prochainement. Framatome surfe sur la relance des grands projets nucléaires entamée en 2020, au moyen de 470 millions d'euros déployés par l'État dans le cadre du plan de relance sur cette filière d'excellence. Enfin, la présence également du cluster Mecateam, un pôle de référence internationale dans la conception d'engins de travaux ferroviaire, confirme le dynamisme du bassin en la matière.

Placer la ville au cœur de grandes infrastructures

« Depuis les années 80, tous les élus locaux ont soutenu le redémarrage de l'industrie qui fait partie de l'ADN du territoire. C'est un travail collectif qui porte ses fruits », constate Jean-Claude Lagrange, président de l'Agence économique régionale de Bourgogne Franche-Comté (AER). Le rôle de la communauté de communes a été, en priorité, de mettre en place des infrastructures afin de permettre une meilleure accessibilité aux grands groupes présents, en leur offrant une autonomie en réseaux et en accès routiers. « Notre réussite tient au fait que nous avons placé la ville au cœur de grandes infrastructures de transport, que ce soit la gare TGV, la voie centre Europe atlantique qui traverse la France d'Est en Ouest (VSCEA) et la RCEA pour rejoindre Nantes et Bordeaux », souligne David Marti. « La communauté de communes a contribué au financement de la RCEA pour un montant de 15 millions d'euros aux côtés de l'État », précise-t-il.

Autre levier du dynamisme économique : les infrastructures en termes de communication. Depuis plus de quinze ans, la communauté de communes a déployé 300 km de fibres accessibles aux entreprises et services publics. « En 2001, les élus ont décidé de développer le réseau d'initiative publique (RIP). S'ils n'avaient pas pris cette décision, il n'y aurait pas la fibre aujourd'hui sur l'ensemble des sites », note Jean-Claude Lagrange. L'ambition du maire est également de devenir une smart communauté autour de la 5G, à la fois pour les acteurs économiques et pour les citoyens.

L'écosystème éducatif : élément clé du développement économique

« L'enseignement supérieur et la R&D ont joué un rôle déterminant pour le développement économique industriel de ce bassin », constate David Marti. La cité des Schneider dispose à la fois de laboratoires privés via les grands groupes et des laboratoires publics via l'écosystème éducatif. Par exemple, l'IUT Le Creusot de l'Université de Bourgogne travaille en lien avec Framatome. Des filières professionnelles performantes (usinage, chaudronnerie, métiers du nucléaire) sont proposées dès le lycée (Leon-Blum). L'écosystème du Creusot est également en lien avec le pôle de formation de l'UIMM, à Chalon-sur-Saône, à 40 kilomètres. « Un CFA spécialisé dans les travaux ferroviaires vient d'être inauguré à Montceau-les-Mines, avec des formations importées d'autres régions, qui étaient en passe de s'appauvrir, faute de candidats », précise Didier Stainmesse, président de Novium et de Mecateamcluster. Au-delà de ces formations qualifiantes, les dirigeants s'ouvrent aussi plus largement dans leurs recrutements : « On ne prend pas un CV, mais une personne », souligne Philippe Rouballay, président de Symbiose technologies, entreprise implantée à Montceau les mines. Ce dernier rencontre des difficultés à faire venir les candidats sur son territoire, alors il se focalise sur le profil de la personne, sur ses qualités à s'intégrer dans l'équipe et sa capacité à trouver des solutions. « Les compétences s'acquiert ensuite dans l'entreprise », confie-t-il.

Afin de répondre à ce renouveau industriel, le principal défi du Creusot sera de valoriser son attractivité pour attirer des cadres, soucieux d'une qualité de vie meilleure pour leur famille. À plus grande échelle, la France ne devrait-elle pas travailler sur l'image de l'industrie et faire tomber les stéréotypes sur les nouvelles générations pour attirer des talents ? Même si les mentalités évoluent grâce à l'industrie 4.0, le chemin est encore long. « Nous n'avons plus d'imaginaire industriel en France ! », témoigne François Bost, professeur de géographie économique et industrielle et porteur du projet ANR « Innovation, Réindustrialisation des territoires et transformation du travail », à l'Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA). Celui-ci note que nos voisins allemands visitent les salons industriels en famille avec le même enthousiasme que le salon de l'agriculture. C'est loin d'être le cas en France...

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