« Il faut une stratégie protectionniste par filière » (Geoffroy Sécula, président de la CPME 21)

Le patron de la Confédération des petites et moyennes entreprises de Côte-d’Or (CPME 21) appelle les acteurs privés et publics à privilégier les entreprises françaises dans leurs appels d’offres. Pour lui, il est également urgent de rouvrir les entreprises qui ont interdiction de travailler.
(Crédits : Amandine IBLED)

LA TRIBUNE - : Alors que la crise sanitaire se poursuit, une nouvelle crise économique se profile malgré les carnets de commande pleins. Comment se portent les entreprises du territoire ?

GEOFFROY SECULA : L'activité est en demie teinte. D'un côté, il y a les secteurs administrativement fermés - ceux qui n'ont pas le droit de travailler, et tous les secteurs qui travaillent pour eux - qui ne peuvent toujours pas réaliser de chiffre d'affaires, et qui se sont appauvris. Ces entreprises ont pu passer le cap grâce à leurs fonds propres, mais elles ont besoin de retrouver de l'activité pour combler leur dette. Pour la CPME, l'urgence est de pouvoir rouvrir. Auquel cas, le plan de relance ne prendra pas effet. Cette boîte à outils est plutôt adaptée à la situation. Ce n'était pas le cas au début de la pandémie. La CPME est intervenue pour proposer la création de nouvelles aides et il faut reconnaître que nous avons été écoutés.

De l'autre, des entreprises qui, paradoxalement, travaillent bien, tels que l'industrie, l'agroalimentaire et le BTP avec des chiffres satisfaisants, hormis l'aéronautique. Une dynamique probablement induite par le décalage des contrats qui n'ont pas été réalisés l'année dernière, par l'argent réinjecté dans l'économie par le plan de relance, et celui que les ménages n'ont pas dépensé durant les divers confinements.

Que demandez-vous aux donneurs d'ordre ?

Selon une enquête réalisée par la CPME, au niveau national, sur un total de 630.000 entreprises, 220.000 ont obtenu un Prêt Garanti État (PGE). Les proportions sont les mêmes au niveau de la Côte-d'Or. Aujourd'hui, la moitié de ces entreprises ne remboursent pas immédiatement ce PGE. Nous avons quelques craintes quant à la capacité de remboursement des PME pour toute une partie de l'activité.

Plusieurs phénomènes agissent sur l'activité des PME : la difficulté d'approvisionnement, la hausse des prix des matières premières, que subissent principalement les entreprises du BTP. Celles-ci sont très souvent tenues de respecter un planning et sont soumises à des pénalités de retard de livraison. Aujourd'hui, certaines entreprises ne peuvent pas aller au bout de leur chantier par manque de matières premières. Nous demandons aux donneurs d'ordre privés et en particulier publics, de pouvoir prendre en compte la situation et ces délais d'approvisionnement afin que les entreprises ne subissent pas une double peine. D'une part, la perte de chiffre d'affaires dû au retard de livraison et, d'autre part, le paiement des pénalités de retard. Il faut aussi que les donneurs d'ordre de ces marchés anticipent les appels d'offres et laissent un délai plus important aux acteurs locaux pour réaliser le chantier afin de laisser la possibilité à un maximum d'entreprises d'y répondre.

Vous évoquez un besoin de protectionnisme dans notre pays ?

Aujourd'hui, il y a un marché mondial sur les matières premières. C'est d'ailleurs ce qui déstabilise l'approvisionnement. Il est nécessaire au niveau national de se mettre autour de la table et de mettre en place une vraie stratégie par filière pour protéger nos entreprises françaises. Par exemple, pour l'acier, les prix se sont envolés. En 2019, l'Asie et la Chine en exportaient, aujourd'hui elles en importent. Les taxes déstabilisent les marchés locaux et engendrent la consommation par d'autres pays de certaines matières. Nous espérons avoir un retour à la normale d'ici six à mois. Mais, lorsqu'on doit honorer des marchés, c'est long !

Quelles mesures mises en place par l'État vous semblent aller dans le bon sens ?

Au départ, certaines entreprises n'étaient pas éligibles au PGE. Nous sommes intervenus auprès de nos partenaires bancaires pour débloquer certaines situations. Finalement, les entreprises oubliées qui souhaitaient en bénéficier ont été admises. Concernant la prise en charge de l'activité partielle, c'est une mesure qui a permis de maintenir le niveau de vie de nos salariés. Ce n'est pas le cas dans tous les pays, y compris européen. Toutes ces aides étaient utiles et nécessaires.

La vraie victoire syndicale de notre Confédération, c'est la délimitation du risque pénal du chef d'entreprise. En effet, dans le cas où un client ou un salarié était contaminé par la Covid 19, le chef d'entreprise pouvait être poursuivi pénalement, malgré un protocole sanitaire mis en place. Désormais, les risques ont été clarifiés et, si le protocole sanitaire est respecté, le patron ne peut pas être poursuivi.

Il nous reste encore des mesures à faire évoluer. Le prêt participatif va permettre au PME de plus de deux millions d'euros d'emprunter sur huit ans, avec différé de quatre ans. Nous souhaitons qu'un dispositif similaire soit mis en place pour les toutes petites entreprises. La CPME propose l'accès à un prêt de consolidation qui regrouperait toutes les dettes fiscales et sociales d'une entreprise (PGE, charges sociales, fiscales), afin de pouvoir également étaler le remboursement sur une durée plus longue.

Autre point de vigilance : un écart trop important entre l'annonce, la mise en place, et le règlement. Par exemple, les aides à l'embauche ou en apprentissage. Certains adhérents n'ont pas encore touché l'aide à l'apprentissage sachant qu'ils ont embauché un jeune en septembre. Or, dans ce contexte, ils ont besoin de trésorerie. Autre exemple, Bruno Lemaire a annoncé une aide sur les stocks pour les commerçants fermés. À ce jour, on ne connaît pas encore la date à laquelle cette aide sera versée.

Sur les loyers des commerçants, une partie est reversée sous forme de crédit d'impôt aux propriétaires. Cette mesure n'est pas suffisante pour permettre à des commerçants qui payent des loyers importants de pouvoir en être totalement exonérés. Il faudrait que le crédit d'impôt soit pris à hauteur de 100% afin qu'il n'y ait plus aucun loyer pour les commerçants fermés.

Concernant les indépendants, qu'attendez-vous des prochaines mesures ?

Au niveau national, la CPME participe à la concertation sur le plan spécifique pour les indépendants. Les principales mesures souhaitées sont de faire évoluer le statut juridique au fur et à mesure de la vie d'entrepreneur ; simplifier les changements de statuts ; faciliter les changements ou reprises d'entreprises ; faciliter le changement de régime matrimonial; alléger les coûts de transmission ; l'amélioration de la protection sociale des indépendants ; un accès plus facile à la formation professionnelle.

Nous alertons sur les risques de défaillances d'entreprises. En cas de faillite, que la période puisse être prise en compte en annulant les reliquats des cotisations sociales en considérant « cas de force majeur lié au Covid » et pourquoi pas annuler la caution personnelle des indépendants sur leur habitat principal, au même titre que les reports d'emprunt afin de leur permettre de passer la crise.

Le 12 avril dernier, François Sauvadet a reçu la CPME 21 pour présenter son budget 2021 ainsi que le plan de soutien du département aux PME du territoire. Qu'avez-vous retenu de cet entretien ?

Le département garde une volonté de maintenir une politique d'investissement comme beaucoup de collectivités du département. Nous remercions les élus d'avoir pris la mesure de cette nécessité car les entreprises locales ont besoin de répondre à des appels d'offres pour alimenter les carnets de commandes. Nous avons alerté sur plusieurs points de vigilance, notamment l'engagement de faire travailler les entreprises locales. Parmi les propositions de la CPME, un point de contact permanent pour les entreprises qui souhaitent poser une question à ces marchés publics. Un engagement aussi à privilégier les procédures en corps d'état séparé (un allotissement) pour permettre à un maximum d'entreprises de répondre et si ce n'est pas possible, pour favoriser le regroupement d'opérateurs économiques locaux, et rallonger le délai de réponse à l'appel d'offres. Des discussions sur les métiers en tension sont en cours. Dans certaines activités, les chefs d'entreprise risquent de rencontrer des difficultés pour retrouver des salariés, notamment dans les secteurs qui ont été fermés longtemps. De nombreux salariés se sont réorientés. Quand l'activité redémarrera, il y aura une pénurie de main d'œuvre pour faire fonctionner cette économie. Enfin, la nécessité d'équiper les chefs-lieux de canton en digital pour organiser des réunions à distance. L'idée est que chaque entreprise puisse avoir accès à un lieu équipé pour tenir des réunions en visio, même dans les petites villes.

Que retenez-vous de cette crise ?

En termes d'organisation, c'est une logistique importante pour les PME. Les chefs d'entreprise ont joué un rôle déterminant pour s'adapter aux mesures gouvernementales qui changeaient parfois tous les deux jours. Ils ont montré leur souplesse et leur agilité en étant sur tous les fronts. J'espère que cette crise permettra aux PME de se démarquer. Une PME sur deux estime avoir - dans ce contexte - engagé un processus de digitalisation. C'est un domaine où les entreprises n'étaient pas forcément engagées. Elles pourront plus facilement se différencier sur leurs marchés par rapport aux grands groupes. Je reste optimiste mais il est urgent de pouvoir rouvrir les secteurs fermés. À juste titre, des aides ont été mises en place car il était inconcevable d'interdire aux entreprises de travailler et de les laisser s'appauvrir mais il va falloir rembourser les dettes. Le rôle de la CPME sera de surveiller que l'État n'impose pas plus de taxes. Ce qui serait contre-productif par rapport au plan de relance.

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Commentaires 3
à écrit le 03/05/2021 à 9:25
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Merci pour ces si sages paroles et bravo !

à écrit le 03/05/2021 à 9:11
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chacun veut des bons contrats publics, pas negocies, car l'argent public on peut le jeter par la fenetre, il n'est a personne

le 03/05/2021 à 20:06
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Tout à fait! Ce syndicaliste semble manger à sa faim, a-t-il véritablement besoin que l'on protège son assiette?

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