Strasbourg a échappé de peu à une élection municipale quadrangulaire. Le 4 juin, quelques heures avant la limite pour le dépôt des listes du deuxième tour, les médias locaux rivalisaient de commentaires experts sur l'affrontement supposé entre l'écologiste Jeanne Barseghian, en tête au premier tour (27,8 %), l'adjoint sortant Alain Fontanel (LREM, 19,8 %), l'ancienne ministre socialiste Catherine Trautmann (19,7 %) et l'opposant Jean-Philippe Vetter (LR, 18,2 %). Tout le monde s'est trompé. Alain Fontanel et Jean-Philippe Vetter se sont entendus en dernière minute, ils ont fait liste commune. Les cartes ont été rebattues.
Avec cette alliance, de façon arithmétique, la droite prend une longueur d'avance pour reconquérir la mairie tenue depuis 2008 par le socialiste Roland Ries (75 ans), qui ne se représente pas. A gauche, on sent le goût de l'amertume. Catherine Trautmann et Jeanne Barseghian se rejettent la responsabilité de l'échec des négociations qui auraient pu aboutir à un partage des pouvoirs : la mairie pour les écologistes et l'Eurométropole (33 communes), qui concentre l'essentiel de l'action économique, pour leurs alliés socialistes. "Je n'ai rien à perdre parce que ma vie politique est derrière moi, et parce que j'ai exercé les responsabilités. Je continuerai d'assumer avec le même élan", a prévenu Catherine Trautmann, maire de Strasbourg de 1989 à 1997 et entre 2000 et 2001, puis députée européenne pendant deux mandats.
Fontanel, favori du maire sortant
Drôle d'élection que celle de Strasbourg, où trois membres de la municipalité en place depuis 2014 vont s'affronter le 28 juin. Alain Fontanel, ancien cadre national du parti socialiste et premier adjoint sortant à la mairie, a rejoint le parti d'Emmanuel Macron en cours de mandat. Roland Ries ne lui en a pas tenu rigueur, Alain Fontanel demeure son favori. Catherine Trautmann, vice-présidente sortante de l'Eurométropole, a eu les coudées franches pour élaborer des mesures d'urgence pendant la crise sanitaire du Covid. Elle espère en tirer parti le 28 juin. Jeanne Barseghian, conseillère municipale depuis 2014, présente un programme en rupture bien que son groupe politique ait approuvé des décisions essentielles prises par la coalition PS-verts, qui a explosé en fin de mandat. Les critiques n'ont cessé de pleuvoir à propos de l'éco-quartier Danube, un projet phare (7 hectares) aménagé depuis 2010 mais décrié pour son aridité tout-béton et son intense circulation automobile.
Dans leur programme économique, les socialistes ont été les plus prompts à dégainer leurs propositions post-Covid : financement d'aides maternelles, chantiers locaux de transition énergétique, plateforme numérique et télétravail. Avec une centaine de millions d'euros d'épargne brute dans les caisses de l'Eurométropole, les finances locales apparaissent en bonne santé. Mais les comptes de la CTS, l'opérateur local de transports en commun établi depuis juin 2019 sous statut de société publique locale, vont être rapidement et lourdement impactés par les coûts de fonctionnement maintenus pendant la crise du Covid. Roland Ries et ses soutiens ont imaginé, en fin de mandat, la mise en place d'une zone à faibles émissions (ZFE) afin de bannir après 2024 les véhicules les plus polluants à Strasbourg. "Il faut travailler sur toute cette économie du transport. Un crédit mobilité accompagnera la mise en place de la ZFE. Il sera décliné vers les habitants les plus vulnérables et avec des véhicules autonomes, des navettes, du co-voiturage", détaille Catherine Trautmann.
L'enjeu local de la transition écologique
Les verts insistent naturellement sur les enjeux locaux de la transition énergétique, "créatrice d'emplois qualifiés et non délocalisables" selon leur co-listière Anne-Marie Jean, en charge des questions économiques. 8 000 logements seraient rénovés chaque année, "soit 1,6 milliard d'investissements en six ans" portés par les particuliers, les bailleurs sociaux et la collectivité. Jeanne Barseghian propose de lancer un emprunt public de 350 millions d'euros pour financer ces rénovations et soutenir "des mesures alternatives à la voiture individuelle". Avec ses vastes zones piétonnes bientôt trentenaires (1994), son réseau de tramway de près de 60 kilomètres et 600 kilomètres de pistes cyclables, Strasbourg est vue traditionnellement comme une métropole d'avant-garde pour les mobilités douces. Le tramway, enfant chéri des élus strasbourgeois depuis son inauguration par Catherine Trautmann en 1994, restera au coeur des préoccupations en cas de succès pour la liste Fontalel-Vetter, avec un "choc d'offre" et des circulations plus tôt et plus tard dans la nuit. Mais la capacité d'investissement de la CTS devra être revue à la baisse : le confinement lui a déjà coûté 25 millions d'euros, perdus en versement mobilité.
A droite, les enjeux du commerce ont été prégnants pendant cette campagne. Les alliés ont toutefois peiné à harmoniser leurs programmes économiques. On s'accroche notamment sur le développement d'une zone d'activité périphérique à Vendenheim. Quitte à devoir rétro-pédaler. Plusieurs colistiers d'Alain Fontanel issus de la société civile (culture, université) ont quitté la liste au moment de l'annonce de la fusion. L'alliance apparaît encore fragile. Strasbourg va-t-elle rejouer la dramaturgie du "tandem", un concept qui prête à sourire dans la capitale alsacienne ? En 2008, dans une précédente gouvernance à deux têtes, l'ex-maire UMP Fabienne Keller et son co-listier président de l'agglomération, Robert Grossmann, ne s'étaient pas entendus. "Alain Fontanel en tant que candidat a passé son temps à remettre en cause ce qu'il a voté en tant que premier adjoint", accusait Jean-Philippe Vetter, l'ex-tête de liste LR, en début de campagne. L'heure est à l'apaisement mais les échanges pas toujours cordiaux auront laissé des cicatrices.
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