Frédéric Bierry : "Ma priorité pour l'Alsace, l'action transfrontalière"

ENTRETIEN. Frédéric Bierry, président sortant (apparenté LR) du Conseil départemental du Bas-Rhin, accèdera le 2 janvier à la présidence de la nouvelle Collectivité européenne d'Alsace (CEA). Ses ambitions dépassent les prérogatives habituelles des départements, dans le développement économique et l'action transfrontalière. Quitte à empiéter sur les prérogatives de la région Grand-Est, entité à laquelle certains Alsaciens n'ont jamais su s'identifier.
Frédéric Bierry (apparenté LR), premier président de la Collectivité européenne d'Alsace.
Frédéric Bierry (apparenté LR), premier président de la Collectivité européenne d'Alsace. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Le 1er janvier, le Bas-Rhin et le Haut-Rhin fusionnent leurs administrations départementales et leurs actions sur le territoire. Qu'est-ce qui va changer ?

Frédéric Bierry - La Collectivité européenne d'Alsace répond à une aspiration forte des Alsaciens et au retour d'un périmètre légitime. Les habitants, dans leur majorité, n'ont pas compris la disparition de l'Alsace lors de la création du Grand-Est en 2016. Les Alsaciens ne se sentent pas Grand-Estiens ou Grand-Estois... je ne sais même pas comment on doit appeler les habitants de cette région.

Comment entendez-vous organiser votre action territoriale ?

La nouvelle collectivité doit permettre de mieux répondre aux besoins des habitants, d'améliorer le service public et de garantir la dynamique des territoires. Nous allons organiser l'action publique à l'échelle de sept grands territoires qui représentent chacun autour de 200.000 habitants, à l'exception de la métropole de Strasbourg qui est plus grande. L'idée est de gérer les besoins en proximité. Cela n'a pas de sens de demander à un élu de Saint-Louis de gérer un projet de route à Wissembourg. Le deuxième impact, c'est une compétence renforcée sur certains sujets, notamment dans l'économie de proximité.

Mais le développement économique reste une compétence régionale. Et vos projets ne règlent pas le problème du mille-feuilles administratif.

En 2020, pendant la crise du Covid, le département du Bas-Rhin a mis en place un programme de 200 millions d'euros pour le développement économique. La région n'en a pas fait autant sur notre territoire. En économie, je ne me demande pas si je suis compétent ou pas. Si c'est utile et nécessaire, et si l'Etat et la Région ne le font pas, c'est à nous d'agir et c'est valable dans tous les domaines. Le département n'est pas compétent pour le transport de fret. Le Bas-Rhin a pourtant investi dans une infrastructure ferroviaire à Roeschwoog afin de permettre à Roquette, une grosse entreprise industrielle locale, d'utiliser la voie ferrée pour ses approvisionnements. Si nous ne l'avions pas fait, il y aurait eu des milliers de camions sur la route. Nous sommes une collectivité du pragmatisme.

Deux départements désendettés

Comment pouvez-vous mobiliser des enveloppes pour le développement économique, alors que les finances départementales sont partout en tension ?

Nous avons eu la capacité financière pour agir en 2020 parce que nous avons fortement réduit notre endettement. Le département du Bas-Rhin a ramené son endettement de 714 millions d'euros en 2015 à 460 millions d'euros fin 2020. Dans le Haut-Rhin, sur la même période, la dette a été réduite de 438 millions d'euros à 328 millions d'euros.

Avez-vous la maîtrise de l'ingénierie qui est nécessaire pour organiser le développent économique d'un territoire ?

L'Adira, notre agence alsacienne de développement économique, existe depuis 70 ans. Elle dispose d'un budget de 4 millions d'euros et intervient en soutien aux grands comptes, sur des projets de développement ou auprès d'entreprises en difficulté. Avant Noël, nous étions encore à Wisches au chevet de l'entreprise Delpierre, menacée de fermeture. L'Adira assure aussi le portage de la Marque Alsace, notre outil de marketing territorial. Nous avons fait beaucoup de communication dans le contexte de crise et tenté de promouvoir des circuits locaux. Ce qui reste à co-construire, c'est une dynamique des bassins de vie, en soutien aux autres collectivités. L'objectif, c'est d'aider les communes à mieux cibler des financements européens. Nous possédons une palette complète d'outils dans le développement touristique, l'ingénierie publique, l'urbanisme, l'habitat, le logement social.

Ces prérogatives ne dépassent-elles pas du cadre légal de l'organisation habituelle de collectivités territoriales ?

La gouvernance de l'Adira a été un sujet de conflit avec un gouvernement précédent, à l'époque de François Hollande. Dans une posture dogmatique, le ministre de l'Aménagement du territoire et des Collectivités territoriales Jean-Michel Baylet voulait empêcher les deux départements alsaciens de financer leur agence de développement économique. Le conflit s'est réglé au tribunal administratif. L'accord de Matignon signé en 2018, suivi par la loi Alsace, nous permettent d'agir maintenant. J'ai toujours pensé que si on voulait limiter les dépenses sociales, il fallait investir dans l'économie. La Collectivité européenne d'Alsace comptera 6.000 agents, pour un budget de près de 2 milliards d'euros. Cela nous place au quatrième rang des collectivités au niveau national. En termes d'image, d'attractivité économique et touristique, c'est essentiel.

L'échec de la fusion en 2013

En 2013, une première tentative de fusion des collectivités alsaciennes, région et départements, a échoué au referendum. La fusion est maintenant effectuée, sous une forme moins intégrée, mais la population reste à convaincre. Quels vont être vos projets prioritaires ?

Je regrette l'échec du référendum du Conseil d'Alsace en 2013. L'idée de fédérer les compétences des deux départements et de la région était bonne. Elle reste la formule qui a le plus de sens. Mais nous n'en sommes pas là. Nos citoyens savent rarement qui est responsable de quoi. Les binômes élus du département sont bien identifiés par la population. La Collectivité européenne d'Alsace permet de franchir une première étape, avec la capacité d'agir sur le transfrontalier. Il y a deux sujets fondamentaux pour notre avenir. L'excellence éducative : Eucor est un campus européen établi en commun par les universités du Rhin supérieur, de Bâle à Karlsruhe. La santé et l'environnement : le projet Life Valley établit les bases du développement économique de l'espace rhénan. On parle avec nostalgie de l'humanisme rhénan. Avec Strasbourg en tant que capitale européenne, lorsqu'on parle de la démocratie, il y a un autre combat à continuer.

Les débats locaux ont été vifs depuis la fusion il y a cinq ans de la région Alsace avec la Lorraine et Champagne-Ardenne. L'indépendance, l'autonomie des territoires sont-ils des concepts dangereux ?

Les régionalistes et les autonomistes ont pris part au débat et je suis resté fidèle à ma conviction : le périmètre du Grand-Est n'a pas de sens. Si nous avions eu en Alsace toutes les compétences des départements et de la région, nous aurions été plus efficaces. Je partage donc un certain nombre de demandes des régionalistes mais je ne demande pas, pour autant, l'autonomie de l'Alsace ! Je suis fier d'être Français.

Rivalités locales

La gouvernance de la CEA réveille des rivalités, des jalousies entre les Haut-Rhinois et les Bas-Rhinois. Strasbourg, siège provisoire de la nouvelle assemblée, a-t-elle gagné le match face à Colmar et Mulhouse ?

L'installation officielle et symbolique de notre assemblée a lieu le 2 janvier à Colmar. Je suis bas-rhinois et seul candidat déclaré. Avec Brigitte Klinkert, ancienne présidente du département du Haut-Rhin, nous avons été en phase sur la question transfrontalière, le bilinguisme, la nécessité de pousser l'Alsace plus fort. Nous avons eu des visions différentes sur la façon de gérer la collectivité. L'été dernier, en faisant le choix de devenir ministre déléguée en charge de l'Insertion, Brigitte Klinkert savait qu'il serait compliqué pour elle de courir deux lièvres à la fois. Choisir, c'est aussi renoncer. Pendant six ans, je n'a eu qu'une ambition : travailler au rassemblement de l'Alsace. J'ai été amené à construire le projet final de la Collectivité européenne d'Alsace avec Rémy With, qui a succédé à Brigitte Klinkert à la présidence du département du Haut-Rhin.

L'hiver dernier, vous êtes apparu en concurrence avec Brigitte Klinkert. Certains ont même cru vous voir bifurquer vers la mairie Strasbourg...

J'ai été l'un de ceux qui ont le plus œuvré pour soutenir Strasbourg dans son rôle de capitale européenne. Cela a laissé penser que j'étais intéressé par la mairie. Je vois deux enjeux essentiels pour cette ville : conforter ses fonctions européennes et lutter contre la pauvreté. J'ai toujours agi en soutien à son université, bien que cela ne soit pas une compétence départementale. Il y a un an, j'ai volontairement laissé planer ce doute sur mes intentions. Mais je n'ai jamais voulu être maire de Strasbourg.

Vous placez l'action franco-allemande parmi vos priorités. Sur quels chantiers ?

Améliorer la mobilité est déjà une nécessité. Il y a plusieurs projets ferroviaires à concrétiser entre Colmar et Breisach, entre Strasbourg et Appenweier, et un lien à grande vitesse à établir avec Francfort. J'aimerais qu'on réussisse à renforcer les liens entre les aéroports de Strasbourg et Baden-Baden : faire un aéroport avec une direction commune, en maintenant les deux sites existants. C'est la seule solution si l'on veut éviter la disparition de l'un d'eux. Nous allons travailler sur l'excellence éducative. Eucor pourra concurrencer Saclay et les meilleurs universités européennes si on renforce encore sa capacité à agir.

Des châteaux Harry Potter

Etes-vous certain de toujours comprendre les intérêts des Allemands ? Comment résoudre le problème le plus évident, celui de la langue et de la communication ?

Je comprends l'allemand mais je suis accompagné par des interprètes quand je me rends en Allemagne pour travailler. Je culpabilise un peu. Mes études secondaires en langues n'ont pas été formidables. Le dialecte ne m'a pas aidé : j'ai grandi dans un territoire welche où l'on parlait un dialecte roman. J'ai envie de m'investir sur ce sujet, parce que je ne suis pas bon ! Je propose de mettre en place une éducation ludique à la langue allemande, en travaillant avec le parc de loisirs Europa Park. Ce n'est pas évident, parce que les jeunes jugent que la langue allemande n'est pas sexy. Le bilinguisme doit être l'un des marqueurs forts de la Collectivité européenne d'Alsace.

Et dans la vie quotidienne ?

Il y a des enjeux de santé en commun avec nos voisins. La maternité de Wissembourg ne pourra exister que si les femmes allemandes peuvent y accoucher. Ce n'est pas le cas actuellement. L'Allemagne compte trois fois plus d'IRM, l'offre de santé y est de meilleure qualité. A Strasbourg, la nouvelle clinique Rhéna n'a aucun sens en étant construite tout près de la frontière, au bord du Rhin. Son offre serait plus pertinente à l'échelle transfrontalière, en plein milieu d'un territoire de santé. La coopération présente aussi des aspects ludiques. Je défends l'idée des châteaux rhénans fantastiques, avec des intégrations multimedia à intégrer dans la muséographie, à la façon d'Harry Potter. Il y a des centaines de châteaux, ils sont les racines de notre histoire. Il y aura toute une série de petits obstacles à lever. En France, pour participer à un marathon, il faut un certificat médical. On est tout le temps en train d'assister nos concitoyens. En Allemagne, ce n'est pas nécessaire. Les Allemands ne viennent plus participer à nos courses en France.

L'économie alsacienne est dépendante de ses échanges avec l'Allemagne. Quelles peuvent être les initiatives économiques communes ?

Commençons par simplifier la réglementation. Si nous pouvions lever tous les obstacles administratifs sur le transfrontalier, nous gagnerions plusieurs points de PIB. Jouons plus collectif. Récemment, à cause du Brexit, l'agence du médicament a quitté Londres pour les Pays-Bas. Strasbourg était sur les rangs pour l'accueillir. Si nous avions présenté une candidature commune franco-allemande avec la ville de Kehl, nous aurions pu l'obtenir.

Mais cette collaboration franco-allemande n'est pas toujours harmonieuse au niveau local. La question des infrastructures autoroutières parallèles, en concurrence dans la vallée du Rhin et au détriment des Alsaciens, n'a jamais été réglée?

Les Allemands ont mis en place un péage autoroutier pour les poids-lourds. Chez nous, il n'y a pas de taxe. Le trafic de transit qui devait rester sur l'A5 allemande s'est donc reporté sur l'axe français A35-N83, dont la gestion est maintenant transférée à la CEA. Ce report de trafic depuis l'Allemagne n'est pas cohérent. J'ai fait analyser ce problème par une société de conseil. La solution la plus adaptée semble être la solution belge, dont les frais de gestion sont très limités. L'enjeu, ce sont plusieurs millions d'euros de recettes potentielles. Mais les règles européennes ne nous permettent pas de taxer seulement le grand transit. Je ne voudrais pas pénaliser nos entreprises françaises de transport et de logistique.

Propos recueillis par Olivier Mirguet

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Commentaires 13
à écrit le 02/01/2021 à 18:45
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Si on laisse faire, dans 20 ans, ils vont réclamer leur indépendance? Les nationalismes régionaux (Corse, alsacien, Catalan, basque, écossais, flamand...) sont des dangers mortels pour les unités nationales. Les européens vont bientôt découvri...

le 03/01/2021 à 17:44
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Unités nationales créés sur des cadavres à la force des armes qui ont abouties à 2 guerres mondiales. Perso je préfère dissoudre la France dans l’Europe sous domination bruxelloise. Cette Europe fédérale ne sera plus le ferment des nationalistes de ...

le 04/01/2021 à 10:26
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Parmi vos nationalistes régionaux vous avez fait une belle omission "les bretons" et pourtant ce sont les meilleurs.

à écrit le 02/01/2021 à 14:30
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ceci est une aubaine pour l'Alsace toujours tiraillée entre le centralisme parisien et son essor transfontalier. Je vois dans cette décision l'avenir très certain d'une des plus grandes régions européennes "Bade Wurtemberg- Alsace-Suisse alémanique"...

le 04/01/2021 à 14:19
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@ Geronimo , vous avez raison : cet espace '' tri-national '' fera bien des envieux. mais...

à écrit le 02/01/2021 à 12:48
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Enfin, avant le départ définitif du grand est ,couche administrative et politique supplémentaire coûteuse et inefficace plus grande que la Belgique et plus éloignée encore du vécu des citoyens. Et bilinguisme obligatoire pour tout le monde depuis l...

à écrit le 02/01/2021 à 2:21
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C'est un opportunisme dysfonctionnel imposé sur le vote du Haut-Rhin, la participation populaire du Bas-Rhin étant même pitoyable. Si Grant Est n'est pas considéré comme l'idéal, alors revenez sur sa construction, ne la sabotez pas. Si Reims et la Ch...

le 03/01/2021 à 17:39
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Difficile de revenir sur une décision de l’Etat qui par définition ne se trompe jamais. La Lorraine n’a jamais appartenu à l’espace rhénan germanique.Tant mieux si elle arrive à nouer des partenariats avec le Benelux. L’Alsace est culturellement et...

à écrit le 01/01/2021 à 17:56
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la question est ' est ce que ca va generer des economies' quand on voit que les fusions des regions qui avaient pour but que segolene refile ses dettes contractees grace a des investissements ' pas rentables' ( genre heuliez ' futur leader mondial ...

à écrit le 01/01/2021 à 13:21
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Est-ce que les dépts 67 et 68 disparaissent et ne sont plus utilisés ? Quel est le nouveau numéro pour ce grand dépt ?

à écrit le 31/12/2020 à 23:25
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Un premier pas avant la sortie du grand est, région farfelue décidée sur un coin de table par un président .... L’Alsace est unie via le Rhin au Bade- Wurtemberg et la Suisse et aucunement avec la Lorraine ou la Champagne ,régions tournées naturell...

le 01/01/2021 à 18:01
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c'est ce qu'on appelle 'Oberrhein', et ca date du moyen age, bien avant les revolutions pre lutheriennes cela dit la "decentralisation" jacobine francaise n'est pas compatible avec les decentralisations que comprennent les gens de l'est ( paris dece...

le 01/01/2021 à 20:24
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Sinon tu peux encore demander la nationalité allemande...

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