Œnotourisme : en Champagne, une nouvelle approche pour une clientèle retrouvée

SÉRIE D’ÉTÉ – GRAND EST. (3/4). De l'Alsace à la Champagne, à la recherche d'un nouveau tourisme. La Champagne a perdu sa clientèle américaine haut de gamme, remplacée par des touristes de proximité. Les initiatives locales dessinent une nouvelle carte de l'œnotourisme dans les vignobles de la montagne de Reims.
Visite à vélo électrique des villages du vignoble champenois, ici à Hautvillers. (Marne)
Visite à vélo électrique des villages du vignoble champenois, ici à Hautvillers. (Marne) (Crédits : Olivier Mirguet)

Mais où sont passés les Américains ? Dans la gastronomie et l'hôtellerie de luxe en Champagne, l'été 2020 a été un choc et les professionnels du tourisme sont les premiers surpris d'y avoir survécu. "D'habitude, nous comptions 40 % d'Américains en été. Cette année, à cause de la crise sanitaire de la Covid-19, il n'y en a plus aucun", observe Arnaud Valary, directeur général des Crayères. Son hôtel offre 20 chambres et un restaurant étoilé, un parc de 7 hectares et s'affiche comme l'une des adresses de prestige à Reims. "La clientèle nord-américaine a été remplacée par des Parisiens, des Belges, des Néerlandais et quelques Anglais. Quel plaisir de rouvrir après le confinement et d'afficher complet", souffle Arnaud Valary.

Les hôteliers pas rassurés

La saison touristique n'est pas sauvée pour autant entre Reims et Épernay, région viticole dont les coteaux, les caves et les maisons de champagne sont inscrits depuis 2015 au patrimoine mondial de l'Unesco. "La reprise de la fréquentation est actée grâce aux Franciliens et aux Belges, mais le panier de la dépense moyenne a chuté", constate Philippe Verger, directeur de l'office de tourisme de Reims. Aux Crayères, le chiffre d'affaires a chuté de 16 % en juillet malgré une fréquentation équivalente à celle de 2019. Les équilibres sont fragiles dans toute l'agglomération, qui offre une capacité hôtelière de 3000 chambres. "Tous les exploitants se plaignent du manque de visibilité", rapporte Antoine Renardias, président du club hôtelier de Reims. Des craintes renforcées par l'ouverture de 600 chambres supplémentaires dans les prochaines années, avec notamment les chaînes Golden Tulip et Radisson.

À Mutigny, un projet contesté

L'œnotourisme, fer de lance de la Champagne viticole depuis son inscription à l'Unesco, manque pourtant d'infrastructures. "Les établissements hôteliers peinent à répondre à la demande touristique au cœur du vignoble, faute de capacités adaptées. Il n'y a pas suffisamment de lieux prestigieux", observe Philippe Jamesse, sommelier et consultant. À Mutigny, un village de 200 habitants qui domine Épernay et la plaine châlonnaise, le groupe autrichien Loisium s'apprête à ouvrir un complexe hôtelier de 101 chambres avec piscines et solarium. Le chantier en cours (12 millions d'euros), piloté par le groupe Artec Développement, comprend un bâtiment à l'architecture contemporaine en lisière de forêt. Le projet promet 76 emplois. "Les clients auront une vue sur les plus grands vignobles de Champagne", se réjouit Bernard Beaulieu, ancien maire de Mutigny auquel ce projet, qu'il a soutenu, lui a coûté un nouveau mandat aux dernières élections municipales. "Il y a eu des rancœurs et une levée de boucliers contre l'arrivée des étrangers", déplore-t-il. "Nos viticulteurs ne devraient pas s'opposer à un tel projet de développement. Ils ont subi des baisses de volumes ces dix dernières années, concurrencés par les prosecco", soutient l'ancien élu.

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Car la crise est bien présente dans le vignoble. "Pour soulager leurs trésoreries, certains vignerons n'auront d'autre choix cette année que de vendre leur raison au négoce, quitte à perdre la main sur leur propre vinification", prévient Antoine Paillard, vigneron à Bouzy et porte-parole du groupement des Artisans du Champagne. "Le développement de l'oenotourisme est une réponse économique nécessaire à la baisse des ventes chez les petits vignerons", confirme Tony Verbicaro, responsable du premier diplôme universitaire de management de l'œnotourisme à l'université de Reims Champagne-Ardenne. "Le point faible de l'œnotourisme en Champagne, c'est la prise de conscience tardive des acteurs locaux. Les gardiens du temple des syndicats de vignerons n'étaient pas d'accord entre eux. L'Alsace a développé depuis plus de cinquante ans ce que nous cherchons à mettre en place aujourd'hui", regrette Tony Verbicaro. "Nos clients recherchent des lieux esseulés, dans des grands sites et avec des activités", dit José Vandevoir, le chef concierge du Royal Champagne. Dans cet autre hôtel de prestige dans le vignoble, la clientèle de proximité a aussi sauvé la saison d'été 2020."Les vignerons doivent jouer le jeu, se mettre à l'anglais. Il faut qu'ils se modernisent davantage", insiste José Vandevoir.

"Le développement de l'œnotourisme est une réponse économique nécessaire à la baisse des ventes chez les petits vignerons", confirme Tony Verbicaro, de l'université de Reims Champagne-Ardenne.

Stratégies contradictoires

En quête de visibilité, l'office de tourisme de Reims balance entre deux stratégies contradictoires. "Il faut privilégier des micro-événements dans les villages, qui auront l'avantage de générer une activité permanente", prévient Philippe Verger, tout en déplorant "l'absence d'événement fort" pour la promotion de l'œnotourisme. Les grandes maisons de Champagne, dominantes face aux indépendants avec 72 % du marché (297,5 millions de bouteilles) en 2019, sont pointées du doigt par l'industrie touristique. Dans les applications de conseils aux visiteurs, les caves Pommery, Taittinger, Ruinart et consorts figurent pourtant en tête parmi les sites à visiter. "Mais ces maisons n'ont jamais trouvé d'intérêt à communiquer ensemble et groupées sur un grand événement", déplore Philippe Verger.

Reste une succession d'initiatives individuelles pour animer le tourisme viticole : dégustation de champagne dans un parc d'accrobranche à Verzy, découverte du vignoble en vélo électrique ou en camionnette vintage, mini-croisière avec vue sur le vignoble. Jérome Colard, ingénieur en recherche et développement chez un bouchonnier en Champagne, est l'un de ces nouveaux acteurs. En 2016, il a acquis aux Pays-Bas un yacht de 9 mètres et l'a transporté sur la Marne. Il organise des mini-croisières pour les touristes, en mode privatif, avec une capacité maximale de six passagers. À bord, les clients dégustent un champagne de vigneron. "À la mi-juin, juste après le confinement, j'ai cru que tout allait s'arrêter. La clientèle américaine représentait 60 % de mon commerce. D'autres touristes sont venus de Paris, de Belgique, de Pays-Bas. Les concierges des grands hôtels m'envoient leurs clients. Je travaille tous les jours. Tout s'est renouvelé comme par miracle", se réjouit-il. À 100 euros pour une heure de croisière, la contribution au PIB touristique est limitée. Mais l'initiative émerge tel un marqueur d'avenir.

Lire aussi : Pour attirer ceux qui veulent quitter Paris, Reims veut séduire les financiers

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Commentaires 2
à écrit le 21/08/2020 à 10:55
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Conseil de lecture : ne manquez pas de lire "Terres rares" de Jean Tuan chez C.L.C. Editions (sortie le 09 mars 2020). Un néo-polar épicurien et érudit qui dévoile comment de riches chinois s'emparent des plus beaux domaines viticoles français. Lectu...

à écrit le 20/08/2020 à 20:52
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Dans notre monde moderne, si vous voulez contrôler le jardin du voisin fait une organisation mondiale des jardins indépendante de tous les gouvernements et élus par personne qui proposera au début de mieux organiser les jardins pour préservé la na...

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