« L’immobilier devient une industrie mobile » (Robin Rivaton)

Robin Rivaton a lancé le 23 janvier, en présence du secrétaire d’État Julien Denormandie, le rassemblement de l’innovation dans l’immobilier. L’ex-conseiller économique de Bruno Le Maire, passé par la région Île-de-France avec Valérie Pécresse, dévoile son plan d’action 2018 pour la révolution numérique dans ce secteur majeur de l’économie.
Robin Rivaton, essayiste et Directeur général de Paris Île-de-France
Robin Rivaton, essayiste et Directeur général de Paris Île-de-France (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Vous avez lancé le 23 janvier le grand rassemblement de la Real Estech. Qu'est-ce que c'est au juste ?

ROBIN RIVATON - La Real Estech, nom de l'association que nous lançons officiellement cette semaine, a vocation à rassembler l'ensemble des acteurs de l'innovation dans l'immobilier. Ce nouveau label au sein de la French Tech repose sur quatre segments : le financement, la construction, la propriété - de la gestion à la vente - et l'occupation du bien. Notre objectif consiste à recenser, étudier et promouvoir les multiples innovations du secteur. Il y avait bien les fintech pour la finance mais pas encore d'emblème ni de bannière commune pour l'immobilier. Nous nous fixons trois missions : l'évangélisation - informer, si vous préférez -, la connexion, via des événements rassemblant les startups du secteur qui rencontrent beaucoup de barrières à l'entrée, et la coopération et la recommandation auprès des pouvoirs publics.

L'événement du 23 janvier est aussi une opération de lobbying vis-à-vis des acteurs immobiliers et de la construction. Le mouvement d'innovation est européen et mondial, mais Paris se trouve au cœur par le dynamisme de son écosystème innovant que j'ai pu mesurer au salon CES Las Vegas. Notre association Real Estech Europe, co-fondée avec Vincent Pavanello, est partenaire du Reed Midem qui organise le Mipim [Marché international des professionnels de l'immobilier, ndlr] à Cannes. Dans la foulée, aura lieu, en juin 2018, le premier Mipim PropTech à Paris. Les Américains parlent d'ailleurs de Proptech ou de Real Estate Tech. C'est une satisfaction pour nous de faire jouer à la France un grand rôle.

Qui sont justement les acteurs aujourd'hui en France ?

Aujourd'hui, 400 startups sont déjà référencées avec 3500 emplois à la clé sur les quatre segments évoqués précédemment. Elles se concentrent principalement sur l'aspect gestion vente-location avec, pour l'essentiel, des plateformes bifaces et communautaires qui améliorent l'offre et la demande. C'est le segment le plus facile, de l'agence de location courte durée, comme les conciergeries autour d'Airbnb, à l'agence immobilière qui propose des outils de visualisation-immersion avec la réalité virtuelle.

Il existe une limite à ce modèle : le marché est très fragmenté, peine à changer d'échelle et investit peu dans la publicité. À cette première vague d'entrepreneurs, s'ajoutent des promoteurs-constructeurs plus âgés, dotés de dix-quinze à vingt ans d'expérience dans leur domaine, qui se lancent sur la promotion, l'urbanisme sur l'habitat neuf et le process de production. Ils misent sur les logiciels de coordination des chantiers, comme la maquette numérique ou l'amélioration des relations promoteurs-clients. Aussi obtiennent-ils des gains de productivité bien supérieurs. Cela peut donc avoir un impact économique considérable !

Pourquoi ce mouvement d'innovation n'arrive que maintenant ?

Actuellement, 90 % des intrants d'un bien immobilier, des matériaux aux financements en passant par les RH, se situent en général à moins de 50 kilomètres. Demain, avec la numérisation d'un côté et la préfabrication de la construction de l'autre, cette valeur ajoutée va devenir mobile. Ainsi, avec les plateformes de réservation, 20 % de la valeur des hôtels est déjà passée à une délocalisation fiscale. Si vous ajoutez la numérisation des transactions immobilières et de la maintenance, imaginez les impacts fiscaux et sociaux potentiels ! Nous sommes dans un moment où la technologie va rendre possible la transformation de l'industrie immobilière locale en industrie mobile. Tous ces acteurs et leurs employés se demandent comment réagir face à cette « évaporation » d'une partie de leur valeur ajoutée.

Peut-on dire que la Real Estech « ubérise » le rôle de l'État ?

L'immobilier rapporte en effet beaucoup d'argent à l'État mais il demeure un acteur très important dans la libération du foncier. C'est le produit le plus rare et le plus important au monde. La présence de l'État n'est donc pas anormale. Tout le monde veut habiter au même endroit et c'est pourquoi il nous faut travailler en coopération avec les pouvoirs publics. Aujourd'hui, le problème de cette réglementation, c'est qu'elle empêche déjà les acteurs traditionnels de produire à certaines conditions.

La loi Logement en cours de préparation ne semble pas non plus se préoccuper de ces innovations...

Pas trop pour l'instant en effet, mais nous poussons pour que ces sujets soient pris en compte dans le projet de loi élan, Évolution du logement et aménagement numérique. En attendant, des normes, sous prétexte de protéger le consommateur à un instant T, se sont retournées contre lui en devenant des barrières à l'entrée et en empêchant de nouveaux acteurs d'arriver. Par exemple, la loi Duflot a ouvert à la concurrence le marché des syndics de copropriété mais cela est resté extrêmement ténu. Nous pourrions aller beaucoup plus loin avec une numérisation, des fichiers centralisés, des données plus transparentes, ou encore sur les différentes règles de majorité dans les copropriétés qui restent très lourdes à gérer administrativement. Savez-vous qu'il existe encore des lois sur la détention de diplômes pour devenir syndic ou agent immobilier ? À la fin, tout cela a un coût que les gens payent !

Quels sont les métiers les plus menacés et comment peuvent-ils s'en sortir ?

C'est l'intermédiaire qui a accès à l'information. Le marché immobilier actuel est très intermédié entre les courtiers, les agents, les mandataires... Plus l'information va devenir transparente, plus les gens prendront des décisions sans passer par un intermédiaire. En réalité, tous les acteurs peuvent voir leurs positions remises en cause, y compris dans la construction.

Ensuite, pour que ces startups deviennent des acteurs importants et plus connus du grand public, il va falloir qu'elles soient financées. Elles ont déjà levé à travers le monde 12 milliards d'euros de fonds en 2017, dont 5 milliards pour WeWork et Compass : 60 % des levées se font aux États-Unis, 20 % en Asie, 5 % au Royaume-Uni, 5 % en Europe continentale et 10 % ailleurs. C'est un secteur encore très ­compliqué avec des marchés fractionnés assez localisés. Si les startups de la Real Estech ont explosé sur le marché américain, c'est parce qu'elles sont très bien financées. Le plus grand acteur possède 10 % du marché. De même, avec la plateformisation, les trois premiers représentent au moins la moitié de la valeur. L'Américain OpenDoor, qui rachète leurs biens aux particuliers, a obtenu 200 millions d'equity [actions] et 400 millions de dettes pour financer ses acquisitions. Entre la mobilité professionnelle et la vie privée, c'est un réel service. La française Homeloop cherche, elle, encore à trouver suffisamment de capitaux propres pour se développer.

Qu'en est-il pour l'activité des agences immobilières ?

Elles sont aussi soumises à ce risque de disruption, surtout sur les marchés métropolitains, où on trouve des solutions avec une forte valeur ajoutée. Le temps des gens est en effet amélioré et optimisé grâce à la technologie. Par exemple, l'époque des commissions au pourcentage n'a plus aucun sens. Prenez Purple Bricks qui pratique une commission fixe quelle que soit la surface : ils font le même travail, les mêmes photos et la même vente en ligne, sauf qu'ils laissent les visites à la charge du propriétaire. D'une commission entre 2 et 5 % du prix de vente, elle passe à un montant fixe compris entre 900 et 1 100  dollars.

Se Loger est depuis 1995 la première Real Estech française en position dominante sans avoir beaucoup changé son service. Mais l'immobilier devient désormais un bien, un marché et une industrie comme les autres. Le logement est moins chargé de symboles et de représentations liés à la propriété qu'avant ; de même que du point de vue industriel, le leader a des parts de marché toujours plus conséquentes, et ce malgré une réglementation toujours extrêmement lourde.

Et à l'échelle du Grand Paris ?

N'oublions pas que ces services viennent en complément, et non en remplacement, des services actuels. D'un strict point de vue économique, dans les métropoles comme à Paris, où les prix sont plus conséquents, ils s'incorporent dans la prestation. Ces services fonctionnent en outre sur une forte rotation du parc, beaucoup plus forte dans ces zones tendues que dans les territoires périphériques d'où les habitants ne peuvent pas partir. Les droits de mutation pénalisent en effet le marché et figent les gens chez eux. Une mesure de justice économique et sociale serait de les moduler selon la valeur du bien.

En Floride, des maisons sont payées en bitcoin. Va-t-il bouleverser la gestion patrimoniale ?

Nous n'en sommes pas encore là. Le secteur immobilier actuel est encore loin en termes d'innovation, hormis sur la patrie construction. Il n'y a pas encore d'intelligence artificielle, de blockchain ou de bitcoin. Si Doctolib nous permet déjà de prendre rendez-vous en ligne pour aller chez le médecin, ce n'est pas encore le cas pour prendre rendez-vous en agence.

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