Report du Grand Paris Express : à la recherche d'alternatives

Les maires des communes desservies par le super-métro s'alarment du manque de solutions de mobilité en attendant la livraison de leurs lignes respectives en 2024, 2027 et 2030.
César Armand
Le RER E, dit « Eole », complétera le RER A en 2022 entre Saint-Lazare et Nanterre et devrait désengorger cette ligne, qui est la plus fréquentée du réseau francilien. (Ci-dessus, le projet de gare Porte Maillot)
Le RER E, dit « Eole », complétera le RER A en 2022 entre Saint-Lazare et Nanterre et devrait désengorger cette ligne, qui est la plus fréquentée du réseau francilien. (Ci-dessus, le projet de gare Porte Maillot) (Crédits : DR)

« Je réfute les termes de dérapage et de dérive. » Les propos sont du préfet Yannick Imbert, secrétaire général aux affaires régionales (Sgar) à la préfecture de Paris-Île-de-France, le 22 février à la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) francilienne, pour lequel « la vérité » a primé sur le reste dans le cadre de l'ajournement du Grand Paris Express. Tout en reconnaissant « la responsabilité collective à laquelle l'État n'échappe pas », le préfet persiste et signe sur « les décisions courageuses » du gouvernement et « les difficultés concrètes que [l'État] a rencontrées » comme « les difficultés de mobiliser des ressources humaines en temps et en heure ».

Le haut fonctionnaire reconnaît néanmoins « la déception, voire la colère, » des élus locaux mais, là encore, insiste sur la notion de vérité : « Nous la devions aux entreprises et aux élus. Elle n'était pas cruelle, elle était nécessaire pour avancer. Il fallait considérer que c'était un moment essentiel pour repartir du bon pied. » Yannick Imbert promet également qu'il va « programmer, ligne par ligne, des moyens de transport temporaires pour que la vie quotidienne prenne en compte ce décalage ».

Or, les principaux intéressés, les maires, qui assurent déjà le service avant-vente du métro circulaire tout en écoutant leurs administrés se plaindre du RER ou de l'absence d'infrastructures de transport dignes de l'Île-de-France, ne tiennent pas le même discours que le représentant de l'État.

Désengorger le RER A

Sur la ligne 15, si la portion sud allant de Pont-de-Sèvres (Boulogne-Billancourt) à Noisy-Champs (Seine-Saint-Denis) sera bien livrée en 2024, ses parties nord et est ne seront prêtes que dans douze ans. Le député Gilles Carrez, ancien maire (LR) du Perreux-sur-Marne, ne voit pas d'autres solutions que l'existant pour les trajets domicile-travail :

« Même avec le covoiturage, on ne peut plus entrer dans Paris. Je suis obligé de prendre le RER A. On a besoin de ferroviaire qui fonctionne ! »

L'appel de la maire de Paris à utiliser le vélo lui reste en travers de la gorge :

« C'est une vision de bobo parisien ! Aussi ai-je proposé à Anne Hidalgo de faire le trajet pour qu'elle se rende compte. N'importe quel collègue de petite et de grande couronne vous dira la même chose. »

D'ici là, le RER E, dit « Eole », complétera le RER A en 2022 entre Saint-Lazare et Nanterre et devrait désengorger cette ligne, qui est la plus fréquentée du réseau francilien. Mais la question des investissements de l'État et de la Région revient toujours sur la table. Le maire (LR) de Nogent-sur-Marne, Jacques J.P. Martin, en est presque las:

« La SNCF s'est arc-boutée sur les TGV et a laissé s'installer une vétusté. Les dépenses de remises à niveau seront importantes. Parfois, on pense qu'il vaudrait mieux un réseau bus plutôt que rénover. »

Aussi cet élu plaide-t-il pour l'automatisation intégrale du RER A, comme c'est déjà le cas de 50% des trains entre Vincennes et La Défense :

« C'est la plus sollicitée et celle qui a le plus de branches. On l'a chargée en amont et en aval. C'est l'un des systèmes les plus compliqués qui soient. Cela permettrait de gérer beaucoup mieux ! »

Il demande aussi des bus sur autoroute urbaine avec des stations à proximité de parkings où les automobilistes laisseraient leur voiture :

« On verrait très vite baisser le nombre de véhicules qui entrent dans Paris. Les gens comprendraient qu'ils pourraient gagner du temps. »

Les bandes d'arrêt d'urgence ouvertes au covoiturage ?

Une piste qui se rapproche de celle de Valérie Pécresse, la présidente (LR) de la Région Île-de-France et présidente d'Île-de-France Mobilités, qui souhaiterait que les parkings relais aux frontières de la capitale réduisent de moitié leur prix :

« Aujourd'hui, c'est tout con, c'est trop cher, alors que ça inciterait à lâcher la voiture et à éviter le périphérique. »

D'après la mairie de Paris, ce sont en effet près de 200.000 Franciliens qui viennent travailler quotidiennement dans la capitale. Depuis, Anne Hidalgo (PS), a annoncé la libération de 1.000 places de stationnement d'ici à septembre 2018, à huit points stratégiques : porte de Bercy (XIIe), porte d'Ivry (XIIIe), porte d'Orléans (XIVe), porte de Maillot (XVIe), porte de Saint-Cloud (XVIe), porte de Champerret (XVIIe), porte de SaintOuen (XVIIe) et porte de Bagnolet (XXe). Valérie Pécresse remarque par ailleurs que, « dans les Hauts-de-Seine et les Yvelines, se pose la question des voies ouvertes au covoiturage sur l'A86, l'A13 ou la N11, par exemple, sur les bandes d'arrêt d'urgence ». Une innovation a priori, mais qui se heurte aux problématiques de coûts et d'accords avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes, concède l'intéressée :

« Nous sommes déjà en train d'aménager l'A10 et l'A12, après des expérimentations sur l'A1, l'A3 et l'A6. Cela coûte 2 millions d'euros au maximum le kilomètre. »

Jacques J.P. Martin, également président du Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour les énergies et les réseaux de communication (Sipperec), a déjà pris les devants en ce sens en s'intéressant notamment à la mobilité autonome : « Les navettes se développeraient sans créer de grosses et nouvelles infrastructures », mais à condition qu'elles émettent zéro émission :

« Je travaille sur l'hydrogène afin qu'on gagne en souplesse (rechargées en cinq minutes) et en autonomie (500 kilomètres). »

Une autoroute attendue depuis cinquante ans

En ce qui concerne la ligne 16, l'axe de Saint-Denis-Pleyel jusqu'à Clichy-Montfermeil sera bien livré en 2024, conformément à l'obtention des Jeux olympiques et à la promesse présidentielle d'Emmanuel Macron de ne laisser personne être « assigné à résidence », tandis que la portion nord-sud, de Clichy-Montfermeil jusqu'à Noisy-Champs, ne sera terminée que dans douze ans. Le maire (LR) de Montfermeil, Xavier Lemoine, se dit bien « embêté » :

« Il nous est impossible d'attendre jusqu'en 2030 Marne-la-Vallée. Or, ce sont des flux à venir, et le chemin routier est déjà très complexe avec tous les ponts qu'il faut aller chercher sur la Marne. C'est complètement encombré aux heures de pointe ! »

D'autant qu'une autoroute devait déjà être construite il y a cinquante ans... Son voisin de Clichy-sous-Bois, Olivier Klein (PS), confirme :

« Quand mes parents ont acheté ici, on le leur avait promis... »

En attendant, il veut « dire la réalité : il n'existe pas beaucoup d'alternatives aujourd'hui », fermant très vite les axes de l'autopartage et du covoiturage :

« Nous avons le taux de motorisation le plus bas de la région Île-de-France. Cela a été un échec lorsqu'on a tenté de rejoindre les réseaux de partage, sans parler de la difficulté de les faire entrer dans les mœurs... »

En revanche, Chelles, qui dispose déjà d'une gare du réseau Eole, se trouve au milieu du gué : au nord, comme au sud, les lignes 15 et 16 seront bien prêtes en 2024, alors que sa gare sera livrée en 2030. Son maire (LR), Brice Rabaste, relativise :

« Nous gérerons ce retard des aménagements et des travaux en donnant une vie et une utilité aux zones de chantier inutilisées pendant plusieurs années, en aménageant, par exemple, des parkings temporaires. »

9.000 voitures par jour à Saclay, trois fois plus dans trois ans...

Comme pour la ligne 17, les élus ne décolèrent pas concernant la ligne 18 entre Orly et Versailles-Chantiers. Il se raconte que, lors d'une des dernières réunions d'arbitrage en préfecture, il leur avait été annoncé la date de 2024, avant que 2027 ne soit l'échéance retenue par le gouvernement. Jean-François Vigier, maire (UDI) de Bures-sur-Yvette, redoute la saturation des infrastructures existantes et la fuite des entreprises :

« Aujourd'hui, il y a déjà 9.000 véhicules chaque jour sur le plateau de Saclay. Que fera-t-on lorsque leur nombre aura triplé dans trois ans ? On va au-devant de grandes déconvenues. C'est pourquoi nous restons fixés sur 2024, et qu'il nous faut un transport de grande capacité dans ce délai annoncé. »

Sur le RER B, qui dessert déjà sa commune, Île-de-France Mobilités a promis de changer les rames en 2025, mais, là encore, l'édile n'en démord pas : « Même en allant le plus rapidement possible et en mettant des rames à deux étages, c'est incompressible. » Et de demander au gouvernement d'améliorer l'état du réseau :

« Il n'y a eu aucun investissement depuis trente ans ! C'est là où il faut agir vite. »

"On ne peut pas mettre des bus à l'infini !"

Son collègue (LR) de Palaiseau, Grégoire de Lasteyrie, tient le même discours et écarte la piste, souvent évoquée, d'un téléphérique surplombant le plateau de Saclay :

« Île-de-France Mobilités a déclaré qu'il ne serait pas livré avant 2025 s'il se faisait demain. Est-ce qu'il faut dépenser 115 millions d'euros pour deux ans ? »

De même, il se refuse à davantage de bus :

« On ne peut pas en mettre à l'infini ! Même s'ils ont la priorité au carrefour, le jour où ils passent toutes les trente secondes, vous bloquez la circulation automobile. »

Sur la commune même de Saclay, son maire (SE), Christian Page, estime « urgent » de doubler l'infrastructure de transport collectif en site propre (TSCP) prévue entre le plateau et la communauté d'agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, de même qu'il propose de créer un autre TSCP sur la N118. Enfin, comme Vigier et Lasteyrie, l'élu rêve d'améliorations rapides des RER B et C : « Nous serions heureux... ou presque ! »

Nommé le 23 mars dernier, le nouveau président de la Société du Grand Paris, Thierry Dallard, actuel directeur délégué de Meridiam Infrastructure, devra tenir les engagements calendaires tout en veillant à réaliser 10% d'économies. Cet ancien cadre du ministère de l'Équipement et des Transports, grand spécialiste des réseaux routiers et ferroviaires, devrait sans problème s'approprier toute la complexité du « chantier du siècle».

(Pour voir en détail la carte du Grand Paris Express, cliquez sur ce lien ou sur la carte pour la télécharger en pdf dans sa version la plus récente)

César Armand

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Commentaires 7
à écrit le 25/04/2018 à 22:54
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Sur la ligne E du RER, Il y a 4 voies entre Paris/Magenta et Nogent. Ensuite, elles passent de 4 à 2 voies entre les gares de Nogent-le-Perreux et de Champigny/Les Boullereaux à cause du viaduc sur la Marne construit en 1854 qui constitue un goulet d...

à écrit le 12/04/2018 à 5:59
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Le périphérique parisien se révèle une catastrophe qui a bloqué et bloque toujours l’extension naturelle de Paris tant sur le plan urbain que sur le plan politique. On le voit tous les jours. Il faut penser à long terme avant d’agir à court terme. Il...

à écrit le 11/04/2018 à 20:45
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Autre possibilité bien mins cher : l’état délocalisé toutes les sociétés / agences etatiques Edf par à Rennes Sncf au mans Naval group a lorient ou Toulon La poste a La Rochelle Etc. => création de pôle de compétitivité en région => moins de personn...

à écrit le 11/04/2018 à 20:42
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Autre possibilité bien mins cher : l’état délocalisé toutes les sociétés / agences etatiques Edf par à Rennes Sncf au mans Naval group a lorient ou Toulon La poste a La Rochelle Etc. => création de pôle de compétitivité en région => moins de personn...

à écrit le 11/04/2018 à 17:26
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" Le maire (LR) de Nogent-sur-Marne, Jacques J.P. Martin, en est presque las: « La SNCF s'est arc-boutée sur les TGV et a laissé s'installer une vétusté". Pepy était déjà présent sous Sarkozy qui a privilégié lui aussi le TGV ,bon faut dire ...

à écrit le 11/04/2018 à 10:45
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Au lieu de développer des transports on ferait mieux d'arrêter de construire des bureaux à un endroit et des logements à d'autres endroits, un emplacement bureau pour 3 ou 4 logements à moins de 500 mètres. Arrêtons aussi l'accession à la propriété,...

le 11/04/2018 à 12:55
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"Emploi a vie" Vous en connaissez un ? A part politique bien sur. Ce projet ne sera pret au plus tot qu' aux calendes Grecques.

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