HUman at home projecT, l’expérience inédite à Montpellier

Les nouvelles technologies et les objets connectés dans notre quotidien posent d’ores et déjà des questions d’éthique et d’acceptabilité. C’est à l’analyse scientifique de leurs usages et de leurs effets sur le comportement humain que se consacre le projet HUman at home projecT (HUT) à Montpellier. Une expérience inédite engageant des équipes scientifiques pluridisciplinaires dans l’observation de binômes vivant dans un appartement intelligent. Qu’est-ce qui est possible, souhaitable et acceptable ? (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°7 Décembre)
Cécile Chaigneau
(Crédits : Istock)

A-t-on envie qu'un réfrigérateur connecté nous rappelle à l'ordre quand un aliment manque et nous oriente sur les produits que nous pourrions consommer ? Que des capteurs nous renseignent sur notre fatigue en fonction de notre démarche analysée par un sol connecté ? Que nos paramètres physiologiques enregistrés sur un bracelet nous renseignent sur notre état de santé ? Est-on prêt à ce que le prix à payer pour lancer vocalement notre playlist depuis notre douche soit une collecte avide de nos données par les GAFAM ? Demain plus qu'aujourd'hui, les nouvelles technologies envahiront nos logements. Tous connectés et interconnectés avec nos objets. Oui mais... Si l'on est favorable au progrès et au confort que nous amèneront ces technologies, peut-on en accepter les conséquences en termes d'emprise sur nos vies ? C'est là tout l'objet du projet HUT (HUman at home projecT) déployé à Montpellier depuis 2018. Parce que les nouvelles technologies et les objets connectés dans nos habitats vont modifier nos comportements, il interroge leur impact sur le bien-être des occupants d'un logement intelligent.

Alain Foucaran, à l'époque directeur de l'Institut d'électronique et des systèmes de Montpellier (aujourd'hui chargé de mission valorisation et partenariats pour le CNRS), est l'initiateur du projet avec l'unité de recherche montpelliéraine Dynamiques du droit. Et il a pour habitude de dire que « si le XXe siècle a été celui des sauts technologiques, le xxie sera celui du saut des usages », ajoutant qu'« il est grand temps de remettre les sciences humaines et sociales au sein de la problématique pour guider la recherche ». Trois ans après le démarrage de HUT, Alain Foucaran le rappelle : « L'objectif, c'est de définir l'appartement du futur pour l'occupant du futur dont on ne veut pas ». En résumé, qu'est-ce qui est possible, souhaitable et acceptable dans le logement intelligent du futur ?

Appartement-observatoire

Le projet HUT a, dès le départ, engagé les équipes scientifiques pluridisciplinaires de douze laboratoires de recherche*, au sein desquels les sciences humaines et sociales sont largement sollicitées. Il embarque ainsi juristes, linguistes, économistes, spécialistes du management ou des pratiques de santé, psychologues, sociologues, architectes, roboticiens, spécialistes du mouvement ou informaticiens. Un consortium de partenaires publics et privés** a été constitué et un appartement de 70 m2 loué à Montpellier au promoteur immobilier Nexity.

L'appartement-observatoire est un espace de vie de 50 m2. Depuis septembre 2018, trois binômes d'étudiants montpelliérains s'y sont succédé, baptisés « les coHUTeurs ». Un cadre strict d'information a été établi, les informant sur les données captées, comment et pour quoi faire. Ils ont la possibilité d'activer un bouton rouge afin d'interrompre la captation des données (activé une fois la première année). En septembre 2021, un quatrième binôme s'est installé dans l'appartement-observatoire où une centaine de capteurs (de mouvement et de trajectoire, d'ambiance, d'évaluation des consommations d'eau et d'énergie, d'ouverture des portes et fenêtres, etc.) collectent un flux colossal de données.

« La voix »

« L'appartement est équipé de capteurs visibles, connus des occupants, et pour cette nouvelle saison, nous avons installé des capteurs plus intimes, comme des caméras pour capter le mouvement des squelettes, un assistant vocal permettant des interactions sur la domotique et que les coHUTeurs appellent d'ailleurs "la voix" », explique Anne-Sophie Cases, professeur à l'Université de Montpellier et coordinatrice du projet HUT. Les données collectées au fil des différentes cohabitations de l'appartement-observatoire sont cartographiées par les chercheurs : enregistrement des trajectoires et gestion de l'occupation de l'espace selon les heures grâce au sol connecté, ouverture et fermeture de portes, mesures sonores, activation des musiques et lumières connectées, mais aussi des données physiologiques enregistrées sur un bracelet que les occupants actionnent pour indiquer leur niveau de bien-être. « Chaque coHUTeur peut déclencher la caméra infrarouge par la voix s'il veut partager un moment avec les chercheurs, et chacun remplit un carnet de bord sur ce qu'il vit, ajoute-t-elle. Nous réalisons avec eux des entretiens mensuels, et depuis l'an dernier, nous avons instauré un protocole de parcours commenté : les occupants se filment entre eux dans l'appartement en expliquant pourquoi ils se sentent bien ou mal. »

L'un des nouveaux objectifs de HUT 4 sera notamment de travailler sur le retour à l'usager de toutes ces données collectées. « Ils réclament une sorte de cartographie de leur comportement, car ils se posent des questions, analyse Anne-Sophie Cases. Le projet HUT les force à l'introspection sur des questions qu'ils ne se seraient pas posées. Nous voulons valoriser ces informations pour permettre ensuite la mise en place de services au bénéfice de l'usager en retour des données collectées. Car dans le monde commercial, pour que les produits fonctionnent, il faudra une acceptabilité du consommateur... »

« Un seuil d'intimité à ne pas dépasser »

Une première analyse qualitative est, à ce stade, possible. C'est Pauline Roques, doctorante au laboratoire MRM Montpellier Recherche en Management, qui s'est penchée sur les données collectées auprès des coHUTeurs, portant sur leurs craintes vis-à-vis des capteurs et de ce qu'ils dévoilent de leur intimité. « Le cadre d'un projet de recherche, avec des personnes dignes de confiance, les rassure, ce qui ne serait pas le cas si les données étaient collectées par des entreprises privées, nous disent-ils, explique-t-elle. Mais ils ont besoin d'être rassurés sur l'utilisation de leurs données personnelles, et ils expriment un seuil d'intimité à ne pas dépasser, une sorte de frontière informationnelle. Ils s'interrogent aussi sur la façon dont les chercheurs vont interpréter leurs faits et gestes, ce qui peut influencer leur comportement. » Anne-Sophie Cases relativise cette appréhension du jugement : « Ça pourrait biaiser l'expérience mais dans la vraie vie, le biais de désirabilité sociale existe aussi, et avec la routine, ils oublient cet aspect ». Après une phase d'adaptation, les coHUTeurs expriment un sentiment de bien-être et d'attachement à l'appartement. Un prisme utilitariste qui n'est pas une surprise chez cette jeune génération, pour laquelle l'appartement connecté est perçu comme un vecteur d'amélioration du quotidien, même s'ils ont conscience que cela pourrait être une source de stress. « L'expérience transforme leur vision des objets connectés et les sensibilise à des questions périphériques à leur usage, ajoute Anne-Sophie Cases. Même si l'on sait que dans le réel, les appartements n'auront pas tous ces objets, cela permet de décrypter pour mieux adapter à des cibles futures. » Des questions d'usage ou d'éthique, passées à la loupe par le biais de la recherche, dont les industriels qui mettent en œuvre les objets connectés dans notre quotidien ne pourront pas faire l'économie.

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* Dynamiques du Droit, Praxiling, Montpellier Recherche en Économie, Montpellier Research in Management, Epsylon, Laboratoire Innovation Formes Architectures Milieux, Institut d'Électronique et des Systèmes, EuroMov, Dynamique musculaire et métabolisme, Laboratoire de Génie informatique et d'ingénierie de production, Laboratoire d'Informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier, Espace-Dev.

** Comprenant le CNRS, l'Université de Montpellier, l'Université Paul-Valéry, la Métropole de Montpellier, le FEDER, la Région Occitanie, l'ENSAM, l'IMT Alès et les entreprises montpelliéraines Oceasoft (fabricant de capteurs), Synox (solutions IoT) et Deliled (éclairage LED), rejoints par des entreprises comme Enedis, Nexity et Ikea.

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Cet article est extrait de "T" La Revue de La Tribune n°7 - DOIT-ON CROIRE AU PROGRES? Décembre 2021 - Découvrez sa version papier disponible en kiosque et sur notre boutique en ligne.

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Cécile Chaigneau

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