À Nantes, des PME réfléchissent à leur stratégie bas carbone

La baisse des émissions de gaz à effet de serre ne pourra se faire sans les PME et les ETI. À défaut d'avoir les moyens des grands groupes, elles s'interrogent sur la meilleure façon de réduire leur empreinte carbone.
Lorsqu'il s'est agi de construire le Marché d'intérêt national de Nantes, la collectivité a veillé à ce que 80% des lots de l'appel d'offres soient étudiés au regard de leur empreinte carbone.
Lorsqu'il s'est agi de construire le Marché d'intérêt national de Nantes, la collectivité a veillé à ce que 80% des lots de l'appel d'offres soient étudiés au regard de leur empreinte carbone. (Crédits : DR)

« J'ai été recruté avec pour mission de voir comment on pouvait mettre l'entreprise sur une trajectoire bas carbone... Or, aujourd'hui, j'ai des morceaux du puzzle, mais du mal à démarrer », explique Caroline Jolly, responsable RSE du groupe Éram. Elles sont une douzaine d'entreprises (BTP, e-commerce, industrie, conseil) présentes, le mardi 20 novembre, à Nantes, pour témoigner de leur engagement en faveur du climat ou tout simplement venues à la pêche aux informations pour concrétiser leur conviction et se transformer.

« C'est la deuxième année que nous lançons une démarche collaborative », explique Marie Gaborit, fondatrice de Toovalu, éditeur d'une solution logicielle de gestion de la RSE et des actions liées au climat dans les entreprises, et organisatrice de cette matinée Trajectoire 2°C. Engagé l'an dernier dans des travaux de R & D avec Airbus, Bébé au naturel, CGI, le groupe Up..., Toovalu a composé un collectif (Evea, Ekodev, Terra 21, Vertuel...) pour « passer du bilan à l'action, notamment vers les PME et ETI », dit Marie Gaborit.

Pionnière, la société d'e-commerce Bébé au naturel, spécialisée dans les produits de puériculture bio, figure parmi les plus avancées. « Aujourd'hui, on a des courbes et l'on sait vers quoi on doit tendre », explique Marie-Pascale Coatrieux, responsable du service clients et de la RSE de la marque (13 millions d'euros de chiffre d'affaires et 60 personnes), entrée dans l'e-commerce en 2004 avec des articles 100% bio. « Les convictions des fondateurs et la création d'un catalogue de produits certifiés ont fondé la démarche, citoyenne d'abord. Ensuite, il a fallu la structurer. Ça a commencé par des dons à l'association pour la reforestation Coeur de forêt », précise-t-elle.

En 2012, premier bilan carbone. Pour avoir une photographie.

« Rien que ça, c'était complexe. Comment le fait-on ? Sur quoi ? Quand on est une petite PME, tout est tout de suite compliqué. Nous n'avons ni les ressources ni les compétences humaines des grands groupes », témoigne Marie-Pascale Coatrieux, qui se forme pour comprendre et ne ménage pas son quart de temps alloué à cette problématique.

Toovalu l'accompagne. « Dès lors, nous avons établi les points les plus émetteurs de CO2 et les plus faciles à corriger », dit-elle. Pour se faire la main, Bébé au naturel s'attaque à l'énergie et aux déchets. Le plus simple. « Ça a aussi permis de faire de la pédagogie en interne et de sensibiliser les fournisseurs. Car, le point noir, chez nous, c'est le fret », reconnaît-elle. Parallèlement, Bébé au naturel se penche sur la réduction de ses émissions. « Que l'on avait du mal à formaliser. Quels objectifs ? Quel investissement réaliser ? C'était un peu le flou. Et heureusement, on a pu intégrer le programme ACT (Assessing low Carbon Transition) mis en oeuvre par l'Ademe ».

Expérimenté auprès d'une trentaine d'entreprises depuis le printemps 2018, ce dispositif se veut un outil d'aide à la décision. Il fournit une photographie et une dynamique qui prend en compte le passé, le présent et l'avenir de l'entreprise. Surtout, il permet d'établir une notation, selon l'engagement de l'entreprise. « Il nous a permis de nous situer dans l'environnement et de nous projeter », atteste Marie-Pascale Coatrieux, pour qui l'ambition est, désormais, de réduire ses émissions de 10% par an sur le fret.

Soit en livrant par colis, soit en adoptant un scénario plus global, où les émissions devront être ramenées à zéro en 2050. « Il n'y a pas de recettes miracles, mais de nombreux ingrédients sur lesquels on peut agir », souligne Édouard Fourdrin, chargé du programme ACT à l'Ademe, dont le dispositif sera élargi en 2019, notamment sur la formation et auprès des investisseurs. Si les PME n'ont aucune obligation légale, les financeurs commencent à se pencher sur la question. Ce qui pourrait faire bouger les lignes. Car, de fait, les approches diffèrent.

Une labellisation plutôt que le seul prisme écologique

Engagée depuis 2009 dans le recyclage d'appareils de téléphonie, la société nantaise Connexing, qui a choisi de replanter un arbre au Mali et à Madagascar pour chaque téléphone vendu, entend plutôt s'inscrire dans le schéma des « entreprises à mission » dont le statut devrait être formalisé lors du vote de la loi Pacte. « On vise plutôt la labellisation américaine B Corp », indique Yves Le Gohebel, dirigeant de Connexing.

Un point de vue partagé par Lionel Fournier, président de l'association des Décideurs responsables de l'Ouest, dont les deux tiers de la centaine d'adhérents seraient labelisés RSE (ISO 26000, Lucie, Planet'RSE).

« La loi Pacte va considérablement changer la donne. L'entreprise ne sera plus seulement gérée selon les intérêts du propriétaire, mais au regard des enjeux sociétaux, sociaux et environnementaux, qui deviendront opposables. Mais attention, prendre les questions climatiques à travers le seul prisme de l'écologie est trop restrictif. La mobilité, l'employabilité sont aussi importants. On préfère le voir de façon transversale. »

Signe de l'évolution des mentalités, le PDG d'Éram reconnaissait récemment que le groupe devait s'engager dans deux transitions majeures : le numérique et le développement durable. « Et qu'il n'y aurait pas de plan B. » Une prise de conscience pour cette entreprise familiale, malmenée par le déclin du commerce traditionnel dans un secteur - la mode - montré du doigt pour être la deuxième industrie la plus polluante au monde.

Face aux difficultés de sourcing - liées au millier de fournisseurs asiatiques -, pour réaliser un véritable bilan carbone et aux risques d'antagonismes commerciaux, le groupe esquisse son projet de transformation pour faire évoluer les mentalités et les comportements. À l'instar de l'Atelier Bocage, concept expérimenté par Éram dans six villes pour aller sur le marché de la seconde main en proposant une formule de location de chaussures. « Une solution pour moins consommer et moins produire qui nous permet de relier nos actions à une trajectoire bas carbone. Car, pour mettre au point une gamme éco-conçue, il faut travailler sur l'emballage, le recyclage, le business model de nouveaux projets duplicable vers les autres marques », précise la responsable RSE, qui a identifié douze chantiers clés pour parvenir « à inverser la tendance dès 2020. Pour atteindre le "zéro émission" de carbone à 2050 et contenir le réchauffement climatique en dessous de + 2°C d'ici à 2100 », rappelle Marie Gaborit.

À Nantes, lorsqu'il s'est agi de construire le MIN (Marché d'intérêt national), ouvrage emblématique de la politique de la transition énergétique engagée par la métropole avec une toiture de 31.000 m² recouverte de panneaux photovoltaïques, la collectivité a veillé à ce que 80% des lots de l'appel d'offres soient étudiés au regard de leur empreinte carbone. « On nous demande de changer de matériaux, de fournisseurs, de modèles, de faire évoluer les budgets, les mentalités... À mon avis, ce n'est pas demain la veille que ça va se faire », s'emporte la responsable qualité d'une société de construction. « Non, c'est aujourd'hui ! », lui a répondu en choeur l'assistance.

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Par Frédéric Thual,
correspondant pour La Tribune à Nantes

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