Le thé, le cornichon, le bambou, le cannabis médical, le miscanthus... ou encore le konjac feront-ils les filières de l'agriculture de demain dans les Pays de la Loire ? C'est l'un des paris fait par le Pôle de compétitivité Végépolys Valley qui, lors du dernier Sival, organisé à Angers du 15 au 17 mars dernier, décidait de mettre dans la lumière neuf jeunes entreprises du végétal (Delle-D, France Miscanthus, Bleu & pastel, Plant Innovation R&D, Oviatis...). Ils contribueront demain, peut-être, à la souveraineté alimentaire et économique du territoire pour faire faire face aux défis climatiques et sociétaux. Parmi ces projets inscrits dans la durée, tous n'en sont pas aux mêmes stades. Parmi les plus avancés, la société de biotechnologie Delle-D et son laboratoire La Fleur, qui vient de lever trois millions d'euros, cherche à développer un complexe industriel, un écosystème et toute une filière autour du développement du cannabis médical, grâce à des méthodes innovantes d'éclairage et d'intelligence artificielle. Dès cette année, LaFleur devrait lancer un essai clinique en vue d'obtenir une Autorisation de mise sur le marché (AMM) d'un médicament à base de cannabis pour l'oncologie.
Solutionner des verrous
« Notre démarche vise à accompagner, de l'idée à la commercialisation, de jeunes acteurs, qui répondent à de nouveaux usages ou à des productions qui, en raison de coûts de main d'œuvre, avaient quitté le territoire et qui reviennent. Ce fût le cas avec le cornichon, il y a trente ou quarante ans, jusqu'à ce que le groupe franco-suisse Reitzel décide de réintroduire la variété dans la Sarthe, le Loir-et-Cher, le Cher et l'Indre-et-Loire en 2017», explique Gino Boismorin, directeur général du Pôle de compétitivité Végépolys, dont le périmètre de jeu s'étend de la Bretagne à Auvergne-Rhône-Alpes en passant par les Pays de la Loire et la région Centre Val de Loire. Depuis 2005, il a labellisé ou soutenu plus d'un millier de projets, dont la moitié ont obtenu un financement, pour un investissement global d'un milliard d'euros. « Quand les filières reviennent, c'est que l'on a solutionné un verrou. Ce peut être dû à des avancées de la mécanisation, de la technologie, à l'évolution des goûts ou à une valeur ajoutée supplémentaire, des marchés différents... », explique-t-il. L'expertise technique de Végépolys Valley peut intervenir aux prémices des projets. Il y a dix ans, c'était le Quinoa. Avec des besoins d'expérimentation pour voir comment une variété produite sous d'autres latitudes pouvait s'adapter au sol et au climat du territoire. « Et quelle valorisation pouvait correspondre à des capacités de production industrielle et de transformation. A l'époque, la startup Abbotagra rencontrait des problèmes de personnel et buttait sur le process industrialisation. Alors, nous avons favorisé leur rapprochement avec la Coopérative des Pays de la Loire », se rappelle Gino Boismorin. Une décennie plus tard, le Quinoa d'Anjou, tout en garantissant un mode de production respectueux pour l'environnement et une traçabilité revendiquée « du champ à l'assiette », est devenu la première filière de quinoa française.
De nouvelles destinations
Relancé dans les années 1960, le chanvre industriel s'est affirmé, lui aussi, comme une véritable filière grâce à une diversification des applications vers l'alimentaire, les produits cosmétiques, les isolants, les ciments, les lubrifiants et, tout récemment, vers l'hydrogène avec le projet Qairos. Créée en 1964, la coopérative agricole Hemp-It réunit aujourd'hui 155 producteurs et s'appuie sur un site de production de 8.000 m², et exporte 70% de ses semences. « Que ce soit vers les cosmétiques, le textile, la plasturgie... Les destinations changent et ouvrent de nouvelles perspectives. On aide l'entreprise à assoir son modèle économique et on pose les questions qui dérangent : c'est quoi le marché ? quelle est la concurrence ? quelle compétitivité ? votre innovation est-elle suffisamment protégée ?... », rappelle Gino Boismorin, face aux projets plus ou moins matures. Aujourd'hui, c'est le cas du konjac, par exemple, une plante originaire d'Asie que la société angevine Plant Innovation R&D entend introduire sur le marché français et européen. Une fois transformé, ce tubercule, qui fait l'objet d'expérimentations en Anjou trouverait des usages dans l'alimentaire, les cosmétiques ou le médical pour lutter contre le surpoids et le diabète. Un processus long avant d'aboutir à une filière 100% française.
Le pari des légumes anciens
Ce qui est significatif pour une entreprise peut être anecdotique à l'échelle d'un territoire. « Pour bâtir une filière, il faut à la fois marier production, transformation et marché », rappelle Gino Boismorin. C'est ce qu'a fait la coopérative Fleuron d'Anjou, spécialisée dans la production et la vente de fruits, légumes, fleurs et plantes aux Ponts-de-Cé (49) en se lançant il y a une dizaine d'années vers les légumes anciens, comme les crosnes, le butternut, le panée, les scorsonères, les topinambours, les patates douces... Une démarche à la croisée des envies de renouveau des restaurateurs - et du consommateur- et des besoins des agriculteurs de diversifier leur culture. « Ça correspond à une demande de produits culinaires différents. Mais il faut que la mayonnaise prenne, entre des chefs qui ont dû moderniser leurs recettes et les producteurs », indique Christophe Thibault, directeur de Fleuron d'Anjou, qui a lancé dans le même temps cinq nouvelles gammes (légumes anciens, échalotes d'Anjou IGP, asperges, mâches et légumes bottes) pour permettre une rotation des cultures et garantir la croissance de la coopérative.
Tournée vers l'horticulture et les fruits et légumes, Fleuron d'Anjou réalise aujourd'hui un chiffre d'affaires de 70 millions d'euros dont 22 millions grâce aux légumes au sein desquels les variétés anciennes pèsent pour 5 à 6 millions d'euros. « Ça a du sens de se lancer dans les légumes anciens, mais il ne faut pas le faire n'importe comment. C'est un choix stratégique de la coopérative qui impose de prendre en compte le lavage, le conditionnement et le marketing des produits », souligne Christophe Thibault. En raison de leur savoir-faire, de la qualité des terrains et de la disponibilité des outils mécanisés, 15% à 20% de la centaine de producteurs de la coopérative adhèrent à la démarche.
Fleuron d'Anjou a, elle, récemment investi 4 millions d'euros dans l'extension de ses ateliers. « Ce sont des produits de niches qui peuvent représenter 10% à 15% des surfaces pour un producteur mais que l'on a optimisé pour entrer dans un cycle industriel capable de répondre aux besoins des GMS et des grossistes qui absorbent 70% à 80% de la production et d'apporter une vraie valeur ajoutée. Ce sont de petites productions qui ne demandent qu'à grandir », estime Christophe Thibault.
L'impact de la crise internationale
Si ces légumes anciens requièrent un certain savoir-faire et d'importants investissements en R&D et en génétique pour parfaire une physionomie parfois alambiquée, les rendre plus résistants, plus simple à laver pour moins consommer d'eau, les légumes anciens offrent un autre intérêt. Celui d'être moins gourmand en énergie et en intrants. « L'explosion du coût de l'énergie et des intrants va conduire à revoir les retours sur investissements et les prix de revient. L'introduction de cultures à hautes valeurs ajoutées permet d'amener des revenus supplémentaires, de répondre aux problématiques environnementales et de valoriser une main d'œuvre pas toujours exploitée à 100% », observe Gino Boismorin, pour qui la guerre en Ukraine, haut lieu de production de céréales, de semences de maïs et de tournesol... risque de rebattre les cartes. « En serre, le coût des apports de chaleur indispensables à la culture atteint par mois l'équivalent de 18% du chiffre d'affaires annuel ! Le prix du gazole pour les engins agricoles - ou gazole non routier (GNR) - a vu son prix multiplié par 2 en 10 jours ! », s'alarme, de son côté, Antoine Thiberge, président de la Fédération des maraichers nantais, dans un courrier aux parlementaires nantais, qui craint la cessation d'activité de certaines exploitations maraîchères. Autant de difficultés et... d'opportunités pour des filières émergentes, bien conseillées.
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