Il y a eu OVH, Ventes-privées, Compte Nickel... et plus récemment, l'arrivée de Doctolib en 2020 avec la promesse de créer 500 emplois en trois ans sur le territoire. « Nous ne sommes plus sur des problématiques d'accélération et d'incubation. Nous sommes sur la logique des talents », remarque Anaïs Vivion, fondatrice de la startup Beapp et présidente de la French Tech Nantes, interrogée par l'agence d'urbanisme de la région nantaise (Auran) qui, pour la cinquième année, vient de dresser un état des lieux de la filière numérique (26.000 salariés). Parmi les 295 startups référencées en mars 2020 en Loire-Atlantique, 61 ont leur siège situé hors du département. « A l'étroit dans la capitale, plusieurs start-ups parisiennes ont ouvert des antennes nantaises pour délocaliser leur production ou leurs services de R&D et se rapprocher du marché du Grand Ouest », mentionne l'étude. Dans ce nouvel écosystème, le recrutement est devenu la problématique majeure pour les entrepreneurs.
« La tension va encore monter d'un cran »
« Les besoins en talents sont constants, avec un déficit de nouveaux candidats sur la région. Pour certains métiers, les rémunérations s'affolent », constatait déjà, en 2019, l'Observatoire régional des compétences numériques dans les Pays de la Loire (5.260 entreprises du numérique dont 63% en Loire-Atlantique) où 56% des acteurs disaient ressentir une pénurie des candidats. Notamment dans les métiers les plus recherchés : data scientist, Data protection officer et Chief Dat Officer dans les domaines phares de la cybersécurité, la dématérialisation et les plateformes collaboratives.
« La surenchère sur les salaires fait redouter un risque de cannibalisation entre sociétés et de fragilisation de ce qu'il reste de l'esprit du « Jeu à la nantaise », cher à l'écosystème local. Le mouvement de déconcentration des sociétés de la « tech » de Paris vers les métropoles de province devrait s'accentuer. La tension sur le recrutement va, elle aussi, encore monter d'un cran», esquisse l'Auran, qui note une poursuite de la création d'emplois au cours du premier semestre 2020. « On voit s'installer des usines de développeurs dont le management et la direction ne sont pas présentes à Nantes. Or, ces entreprises ont peu d'intérêt à participer à la vie de l'écosystème local. Ce sont simplement des centres de productions en recherche de main d'œuvre », atteste Julien Hervouët, Ceo de la plateforme conversationnelle iAdvize dans l'étude de l'Auran. Présente à Nantes, Londres, Düsseldorf et Boston avec 200 salariés, la start-up, qui vient de souffler ses dix bougies et a retardé ses recrutements en raison de la Covid 19, envisage une quarantaine d'embauches l'an prochain.
Veiller à garder ses collaborateurs
Malgré un contexte d'instabilité dû à la crise sanitaire, les éditeurs de logiciels du grand Ouest (Synthec Numérique) porté par un marché en croissance redoutent cette pénurie de compétences et cette compétition salariale. Sur un échantillon de 20 entreprises, 81% envisageait des embauches en 2020 et 13% de maintenir leur effectif. « Nous sommes en recherche d'une quarantaine de profils. Nous sommes sur un marché en croissance où les éditeurs s'en sortent plutôt bien, même si la crise de la Covid a évidemment eu un impact sur les RH notamment pour les profils qui préfèrent travailler en collectif plutôt qu'en télétravail. Mais le problème majeur, c'est surtout la tension vécue sur le marché de l'emploi nantais », note Stéphane Vignon, directeur général de VIF (230 personnes), éditeur spécialisée dans l'industrie agroalimentaire. « L'arrivée de grands noms de l'IT a créé un véritable appel d'air et une croissance des salaires moyens. C'est devenu un vrai gros challenge et une vraie préoccupation quotidienne de garder ses collaborateurs », confirme le dirigeant de VIF, implanté à la Chapelle-sur-Erdre à la périphérie nantaise.
Chez les éditeurs, la question des RH est devenue centrale. « On ne parle même pas de recrutement mais de fidélisation. Dans une petite entreprise, il vaut mieux capitaliser sur l'innovation, sa valeur ajoutée, sa capacité d'adaptation et l'écoute. Il ne s'agit pas d'hémorragie mais un départ peut nous mettre en difficulté. C'est un point de vigilance où il faut savoir jouer avec ses armes», souligne-t-il.
Le modèle social de la PME attire
A la Chevrollière (44), chez Proginov (280 personnes et 46 millions d'euros de chiffre d'affaires) où 85% des salariés détiennent 60% de l'entreprise, la température est différente. « Nous sommes situés à 20 kilomètres de Nantes et nous ne sommes pas affectés par les tensions du marché nantais », reconnait même Philippe Plantive, président du conseil de l'éditeur Proginov, qui a recruté 32 personnes en 2020. Un record. Et lui, cultive habilement sa marque employeur. Au point d'avoir 400 à 500 candidatures sous le coude. « Grace à des rapprochements avec les écoles d'ingénieurs, la mise en place de contrats d'alternance, de contrats de professionnalisation et de candidatures spontanées. Plus que les diplômes, nous avons mis en place des tests drastiques et on renouvelle régulièrement nos effectifs pour être en phase avec l'évolution des systèmes informatiques et permettre aux jeunes d'amener de nouveaux usages», dit-il.
Ici, entre le plus bas et le plus haut salaire, l'échelle est de 1 à 3, avec une variable de 50%. Les dividendes sont redistribués à 85% des salariés actionnaires. «C'est leur boite ! On échappe ainsi à un marché du travail hyper tendu. Le modèle social de la PME est très différent de la start-up où les fonds mettent la pression pour avoir un retour rapide sur investissement, où les lendemains ne sont pas toujours glorieux. Très différent aussi des grands noms de l'IT où les dirigeants sont inaccessibles. Ici, le chef d'entreprise est présent sur le terrain, Il explique, on peut parler avec lui... Ce sont des valeurs qui ont du sens aux yeux des nouvelles générations. Bien sûr, les salaires augmentent régulièrement pour éviter les sentiments d'injustices mais certains postes, comme les profils cybers, sont devenus extrêmement chers. Certains sont rémunérés comme des joueurs de football ! C'est devenu compliqué de rivaliser, alors on préfère miser sur les jeunes», reconnait le président du conseil de Proginov, où, avec un salaire moyen mensuel de référence de 3.500 à 3.700 euros, le turnover est extrêmement limité. Le bouche à oreille fait le reste.
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