Les amoureux de New York qui se bécotent sur les bancs Fermob, bancs Fermob...

Douze mille chaises conçues et fabriquées dans l'Ain meublent les jardins publics new-yorkais et les allées de l'Université d'Harvard. Derrière cette réussite : Fermob, PME française qui dès le départ a décidé de jouer le jeu du design et de la créativité.
Les chaises Bistro Fermob. Crédit Photo JM Effantin

En avril, Bernard Reybier, Pdg de Fermob, revenait du Salon du Meuble de Milan, la Mecque du mobilier design. Depuis quinze ans, l'entreprise y expose ses collections. Mais au-delà des commerciaux présents sur son stand, quater personnes du studio de design interne et des techniciens maison ont tourné dans les allées, appareil photo en main. Ils en sont revenus avec huit cents clichés destinés à traquer dans cet univers à haute concentration créative les talents et les lignes de demain. Car la valeur ajoutée de Fermob, un des piliers de son développement, c'est le design affirmé de son mobilier.

Le fer, source de créativité

Bernard Reybier a racheté en 1989 cette entreprise installée à Thoissey, dans l'Ain. Celle-ci fabrique du mobilier de jardin en fer depuis 1953 et, réduite à un atelier de 10 personnes, souffre de la concurrence ravageuse du plastique. « Ce qui m'a intéressé, c'est toute la créativité induite par un matériau comme le fer. Dès le départ, le design s'est imposé comme une valeur ajoutée ». Ce choix passe par la collaboration avec des designers extérieurs. Pascal Mourgue, l'un des designers industriels français les plus côtés, qui avait déjà signé en 1983 la chaise Lune d'argent collabore depuis longtemps avec Fermob. Patrick Juin également avec la chaise Facto en 1998. Au Off du Salon de Milan, Bernard Reybier a aussi reperé Harald Guggenbiechler qui a signé de nouveaux modèles... On comprend qu'il se voit en défricheur, s'immergeant dans des expositions, des concours d'écoles, pour trouver du «sang neuf». En respectant toutefois son positionnement de départ: des lignes simples, des produits accessibles et non statutaires. De quoi affirmer dans la durée une image et une marque.

Fermob a révolutionné le mobilier de jardin

Autour de son studio de design interne, Bernard Reybier s'assure également du regard d'une « sphère créative élargie » associant une quinzaine d'ingénieurs, techniciens et experts en marketing. Cette dimension créative inscrite dans l'ADN de la marque passe aussi par la couleur. En 1996, Fermob bouleverse le petit monde du mobilier de jardin, confiné au vert ou blanc, proposant vert anis, mandarine, vanille. Puis arrivent coquelicot, noir, aubergine... Lorsqu'en 2000, les distributeurs (jardineries, enseignes de bricolage, spécialistes du mobilier extérieur) se rebiffent devant le fuchsia, pédagogie et détermination s'avèrent nécessaires pour les convaincre. Accompagner, tisser des liens fidèles avec son réseau est de fait une condition indispensable pour faire passer ce message de l'innovation.

« Nous n'avions aucune place dans la grande distribution »

«L'innovation doit être relayée par les distributeurs, il y faut des arguments. Voilà pourquoi dès le début j'ai sorti Fermob du circuit de la grande distribution, il n'y avait pas sa place ». Cet engagement impose aussi d'accepter le risque et l'échec. En 1993, la chaise « Tutti Frutti » devient, contre toutes attentes, un échec commercial. Et ce ne sera qu'à l'automne 2012, avec deux ans de retard, que pourra être commercialisée la chaise d'Andrée Putman : certains éléments se sont révélés défectueux, ne satisfaisant pas au cahier des charges exigeant que s'impose le fabricant.

12 000 chaises dans les rues de New York

Cette approche conduit très vite Fermob vers l'international. En 2012, l'entreprise exporte 44% de son chiffre d'affaires global (35 millions d'euros en 2011) vers 36 pays, dont les Etats-Unis et l'Allemagne, deux pays attractifs pour les fabricants de meubles français. La stratégie suppose d'investir avec constance et opiniâtreté un pays, le plus souvent par le biais de salons professionnels, avant de se tourner vers un autre : « Nous devons attendre trois ans avant d'être rentable ». Le fabricant a en effet dans son catalogue la chaise pliante « Bistro » dont les lignes datent du XIXème ou la mythique chaise des Jardins du Luxembourg réinterprétée en 2004 par Frederic Sofia. Fin avril, Bernard Reybier décollait pour New York pour un projet de magasin à l'enseigne. Ces points de vente exclusivement Fermob, ne visent que quelques très grandes villes dans des pays phares. Après Paris, Munich, Cologne, New York s'imposait. Implanté depuis quinze ans à Atlanta par le biais d'un bureau commercial, Fermob rencontre un succès marqué outre-Atlantique et particulièrement à New York : 12 000 chaises fabriquées dans l'Ain se découvrent dans des parcs publics, au fil des rues... Les chaises Bistro déployées dans Bryant Park pour le compte d'une fondation ont donné le coup d'envoi de ce déferlement américain.

Marché de saison

La PME évolue sur un marché sans leader mondial, mais chaque zone géographique a fait émerger un leader, concurrent potentiel. Au-delà de son design et de sa « french touch », l'entreprise mise sur l'aspect « protection de l'environnement » pour affronter la concurrence. Le process industriel se revendique « zéro déchets », une chaise Bistro est recyclable à 30% : « Des arguments qui portent », d'après le Pdg. Demeure une difficulté majeure : la production destinée à un environnement extérieur connaît les aleas de la saisonnalité : il ne faut pas rater le coche des beaux jours. Cela passe par une maîtrise ultra fine des délais et donc la production ; et justifie d'ailleurs que cette production soit intégrée : c'est bien un des piliers majeurs de la stratégie de développement (voir encadré). Toutefois le challenge devient complexe pour des pays plus lointains. Pour investir plus massivement la zone Asie-Pacifique où elle ne réalise qu'un petit 3% de pourcentage export, l'entreprise vient de signer un partenariat industriel avec un Chinois. Une partie de la gamme sera fabriquée sur place à partir d'un outil à la conception duquel les équipes Fermob ont participé. Outre l'export, Fermob se tourne vers le marché des professionnels pour diversifier son activité, et s'adapte aux normes de l'hôtellerie-restauration. Aujourd'hui, ce pilier représente près d'un tiers de son chiffre d'affaires, et contribue à équilibrer sa croissance.

Fermob, dont le capital est détenu très majoritairement par Bernard Reybier, s'incarne fortement à travers lui. Il a posé les jalons de son développement, inscrit dans la pierre ses fondamentaux et les porte encore. Il a construit une PME de 200 personnes, implantée en territoire rural et peu de turn over dans sa gestion des ressources humaines. Cette forte incarnation peut se révéler néanmoins source de fragilité car laissant peu de place à d'autres et menaçant à terme la pérennité de l'entreprise. Bernard Reybier en est bien conscient, qui s'entourait récemment de deux directeurs généraux adjoints. Il veut à présent se consacrer surtout au développement. Sans lâcher sa traque du design, sa griffe personnelle.

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