Vie urbaine au XXIe siècle : de « l'anthropocène » à « l'anthropollucène »

Le XXIe siècle est le siècle des villes, mais c'est en même temps le siècle de la pollution, sous toutes ses formes, due à l'activité humaine.

Le succès de la station spatiale internationale (ISS) est partagé avec le grand public grâce aux superbes photos qui, au fil de la mission, couvrent toute la planète. L'astronaute français Thomas Pesquet nous régale depuis son arrivée à l'ISS, avec une très belle collection de photos de notre planète urbanisée. Plaisir pour les yeux mais également, formidable outil de travail pour tous les « city lovers ».

Les images de nos villes, métropoles, mégalopoles, y compris la nuit, sont saisissantes de beauté. En même temps, elles nous permettent d'approfondir le travail sur la chronotopie des urbains à travers la planète. Le XXIe siècle est le siècle des villes, mais c'est en même temps le siècle de la pollution, sous toutes ses formes, due à l'activité humaine. À l'ère de l'« anthropocène », concept proposé par Paul Josef Crutzen,  co lauréat du Prix de Chimie en 1995, et le biologiste Eugene F. Stoermer, devenu pour certains le  « molysmocène » ou « poubellien supérieur », notre planète est en danger par les conséquences mêmes de l'activité de l'Homme. L'alarme est déclenchée, le compte à rebours aussi, et l'existence même de notre civilisation à la fin du siècle est en question, si nous ne changeons pas de cap.

Les 4 éléments, des biens communs universels

Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, il s'est opéré une délicate rupture entre l'homme et la nature qui fragilise aujourd'hui notre devenir. Elle s'est accélérée depuis deux décennies, et malgré les multiples instances de régulation existantes, du G8 à l'ONU, en passant par bien d'autres lieux d'échange et de discussion, nous glissons toujours sur la mauvaise pente. Cette rupture a eu lieu par la double conjonction d'une vie urbaine trépidante, en forte expansion, et d'un modèle de vie de production- consommation à outrance. Elle en est venue à séparer ce qui est naturellement relié dans la complexité du vivant, dont l'homme fait partie, les quatre éléments à la base de son écosystème naturel, et au cœur du bien commun : l'air, l'eau, le feu, la terre.

Les villes sont en première ligne par la concentration humaine majoritaire qu'elles portent, et les activités liées à leur attractivité, qu'elles exercent sur tous les territoires les environnant. Elle sont le problème et dans le même temps, la source des solutions.

Du nord au sud et de l'est à l'ouest de notre planète, nous vivons principalement dans des territoires urbanisés où l'air que nous respirons est gravement pollué, et cette situation est devenue endémique touchant maintenant durablement toutes les grandes villes de la planète. L'eau devient une ressource rare, ou alors elle arrive en excès par les intempéries. Elle est aussi polluée par l'activité humaine et après usage, elle présente également encore un facteur de risque. Le feu apprivoisé et transformé en sources d'énergie, est devenu aussi une composante de pollution au travers de l'utilisation à outrance des énergies fossiles, paradigme du XXe siècle, avec sa cohorte d'usages urbains polluants, et parmi les premiers, les moteurs thermiques et les réseaux de chaleur et de froid des villes. La terre, autrefois nourricière,  est un enjeu de vie, voire de survie, pour une humanité s'urbanisant de manière chaotique. La lutte pour les territoires y compris urbains, par ceux venus s'installer de manière informelle, pour utiliser un euphémisme, est une constante dans bon nombre de villes de par le monde, en particulier au sud et à l'est de la planète. C'est d'ailleurs le cas aussi aujourd'hui dans les pays du nord et de l'ouest, même s'ils jouissent de meilleures conditions de vie,  car le droit à la ville, à l'habitat, à se nourrir et à vivre dans des conditions dignes, reste un enjeu majeur, comme la conférence UN HABITAT à Quito en octobre 2016 a pu le mettre en évidence.

Nous souffrons des conséquences néfastes de cette absence de prise en compte de la complexité du vivant dans les choix structurants de nos sociétés urbanisées, qui ont délaissé l'humain.  La gestion en silo est venue depuis plusieurs décennies déstructurer la vie urbaine, qui ne s'est plus bâtie autour de l'homme, devenu citadin dans des villes- monde à croissance exponentielle, à l'est et au sud de la planète.

Mais ce début du XXIe siècle voit aussi monter  le repli, le refus de l'autre, la mise en embuscade, le rejet du mélange, du brassage inévitable, dans un monde où les distances disparaissent par le double rapprochement des moyens de transport et de l'ubiquité massive. Le cosmopolitisme urbain, naguère facteur de fierté, car signe de l'aptitude à se mélanger, à trouver dans la diversité de l'autre la richesse qui permettait de mieux emprunter ensemble des sentiers partagés de vie, devient aujourd'hui générateur de suspicion, vécu comme insultant. Un marqueur de méfiance, voire de menaces et de violences.

La question qui se pose en cette fin de la deuxième décennie du XXIe siècle est en réalité celle-ci : sur quel socle voulons-nous bâtir notre identité culturelle? C'est bien elle qui détermine aussi notre capacité d'ouverture ou de fermeture au monde, aux autres, à autrui, à notre alter ego.

L'humanité a toujours été traversée par des révolutions de son mode de vie liées aussi à l'apprivoisement d'un matériau qui lui a ouvert à chaque fois, de nouveaux horizons : le feu, la pierre, le bronze, le fer, la vapeur, les électrons, et dans son prolongement, plus récemment le silicium. D'autres viendront probablement encore, entraînant leurs lots de transformations profondes : le graphène, la maîtrise approfondie de la lumière comme matière et onde : l'effet quantique et aussi l'ADN.

Les hommes sous la pression de la pollution urbaine

Quand aujourd'hui le devenir du monde urbain est étroitement lié à la massification sous toutes ses formes du « silicium pour tous », avec sa multitude d'innovations mobiquitaires, il est essentiel de revenir aux sources. Nous avons joué contre nous, en séparant artificiellement ce qui était naturellement lié et en premier, l'Homme, la nature et ses quatre éléments. En revanche, nous avons mis en lien massivement et sans détour, ce qui n'aurait jamais dû se produire naturellement, et encore moins à cette échelle planétaire : les pollutions.

C'est donc l'ère de l'« anthropollucène », et je propose cette  nouvelle appellation pour signaler la rudesse de ce que l'Homme fait subir à lui-même et à la nature. Augustin Berque, nous disait avec sagesse dans l'Écoumène, « entre moi et moi, la terre », pour nous rappeler que l'Homme et la nature sont indissociables. Aujourd'hui, à l'aube de la 3e décennie du XXIe siècle, « entre moi et moi, la pollution » devient l'amer constat, tellement elle est devenue inséparable de  l'homme d'aujourd'hui.

Ne nous y trompons pas, la nature, elle, étroitement liée à l'Homme, se rappelle bien à nous, surtout quand celui-ci ne se rappelle plus d'elle ! Changement climatique, pollution de l'air, de l'eau, lumineuse, feux de massifs de forêt visibles depuis l'espace, montée des eaux, stress hydrique, manque d'eau potable pour la moitié de la planète, terres à bout de leur productivité, nouvelles maladies urbaines, villes monde avec leur cortèges d'exclusion sociale, économique et culturelle : 30 mégalopoles accueillent 12% de la population mondiale et enregistrent des inégalités dramatiques... et la liste est encore longue.

Dans nos villes la nuit, l'une des pollutions, la lumineuse, nous a coupé du ciel, de l'enchantement de la Voie lactée, des étoiles, du mouvement des planètes dans la voûte céleste au-dessus de nos têtes, des rêves de l'immensité du cosmos... Nous rêvons alors par procuration, avec des photos et des images comme celles de Thomas Pesquet et d'autres. Le ciel est devenu grisâtre, chargé de nuages menaçants, car même toxiques, et dans le même temps les utopies ont cédé la place aux imprécations sur la grandeur de tel ou tel dieu, de tel ou tel parti, territoire ou nation qui va devenir encore plus grand(e), encore plus fort(e). Des murailles se dressent d'abord dans les têtes, pour ensuite séparer encore plus les hommes avec des frontières. Le mensonge organisé, les propos belligérants fusent pour dresser les uns contre les autres. La méfiance, mais aussi la haine s'installe, chargée de violences, de prophéties auto réalisatrices, hélas...

Mais n'assistons-nous pas en réalité à une nouvelle forme de pollution qui touche, elle, la vie de l'esprit, intellectuelle, culturelle, les droits et les libertés de l'Homme qui sont bafoués quand l'intolérance, le populisme, la démagogie, la manipulation, l'infamie, la ploutocratie, les gouvernances autoritaires s'installent ? C'est in fine le paradoxe d'aujourd'hui, le combat de l'Homme urbain, celui porté courageusement par beaucoup des villes, pour revenir à son essence, à sa complexité, pour relier de nouveau ce qui a été inutilement séparé, et retrouver dans le lien entre nature, vie sociale, créativité et innovation transverses, les origines de ce mot puissant complexus, pour les vivre pleinement dans sa vie urbaine : tisser ensemble, et peu importe d'où viennent les tisserands.

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Commentaire 1
à écrit le 15/03/2017 à 9:26
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Entièrement d'accord alors que si la société marchande le voulait ça fait belle lurette que la pollution ne serait qu'un mauvais souvenir.

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