Quand les promoteurs immobiliers conçoivent la ville de demain

Aux côtés d'une vingtaine de « majors » de la promotion immobilière, une multitude d'acteurs mènent des opérations immobilières de toutes tailles dans cette période d'effervescence. Avec une forte tendance à de grands projets pensés dans leur globalité en mélangeant bureaux, logements et commerces.

« L'enjeu aujourd'hui est la métropo'lisation heureuse. On ne peut pas se contenter d'empiler du béton. On ne peut plus construire sans créer la ville », déclare Alain Taravella, président fondateur d'Altarea Cogedim.

À la fois foncière de commerce, promoteur de logements et développeur d'immobilier d'entreprise, la société qu'il a créée en 1994 et qui emploie 1 400 collaborateurs occupe une place sur le podium français de ces trois activités. Gisement de croissance par excellence, les métropoles ne peuvent se développer sans les promoteurs, affirme-t-il. Construire des logements, créer la vie, favoriser le lien, participer à la création de la ville fait partie des missions de son entreprise et de sa profession.

Pour exemple, il cite l'opération Place du Grand Ouest à Massy (Essonne), un projet de 100.000 m2 qui sera livré en fin d'année : autour des gares RER et TGV de Massy, 800 logements, une école, des commerces, un hôtel, un cinéma multiplex, un centre de congrès. Sans compter un concierge de quartier qui facilitera la vie quotidienne pour les livraisons, la garde d'enfants ou les réservations de restaurants.

« Il s'agit d'un des premiers ensembles du Grand Paris. Nous en sommes l'opérateur unique. Les promoteurs pensaient vertical, avec les bureaux, les logements et les commerces. Là, nous pensons transversal avec l'intégration des usages. C'est le sens de l'histoire. »

Spécialisée à ses débuts dans le développement et la gestion de centres commerciaux - on doit notamment à Alain Taravella le concept de commerceloisirs exemplifié par Bercy Village à Paris -, Altarea Cogedim s'est donc diversifiée dans les logements et les bureaux.

Alain Taravella peut multiplier les exemples de cette nouvelle approche. À Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), un ancien centre de recherche d'Orange va devenir le quartier « Issy Coeur de ville » : plus de 100.000 m2 autour d'un parc urbain, de commerces, de logements, de bureaux, dont un centre destiné à accueillir des entreprises issues de l'économie numérique. Ce nouvel écoquartier sera bardé de labellisations environnementales bien entendu, mais aussi des labels Well, qui s'intéresse au bien-être des usagers, et BiodiverCity, qui fait la part belle au végétal et à l'animal dans la ville. Une opération d'aménagement dont le coût devrait s'élever à 600 millions d'euros et s'achever en 2021.

Même chose à Bobigny (Seine-SaintDenis), où Altarea Cogedim va raser le centre commercial Bobigny 2 pour construire des îlots de logements et de bureaux avec des commerces en pied d'immeuble autour d'une grande place centrale. L'ensemble de 100 000 m2 devrait être livré en 2024. Adieu construction sur dalle et centre commercial classique, bonjour commerces de proximité et centre-ville intégré.

L'ère des ensembliers urbains

Le titre d'ensemblier urbain, Frédéric Carrère le revendique pleinement. À la tête de Gotham et de sa marque de logements Groupe Carrère, ce Toulousain met en avant sa capacité à créer « des ensembles qui présentent de la mixité fonctionnelle avec des logements, des bureaux et des commerces en pied d'immeuble. C'est une tendance forte depuis une dizaine d'années pour répondre à des concours d'aménagement pour une ville mixte. » Une mixité fonctionnelle et temporelle, puisque les quartiers vivent ainsi 24 heures sur 24 et facilitent les déplacements doux et les rencontres.

« Pour avoir une vision globale, il faut acheter tout l'appareil commercial et adopter une approche financière avec une péréquation des loyers adaptés selon les commerces. Il faut accompagner les commerçants sur environ trois ans, et les collectivités nous demandent d'ailleurs de garder l'appareil commercial pendant cinq à dix ans. Pour cela, nous avons créé une foncière de commerce. »

En 2013, Gotham posait la première pierre du nouveau quartier Malakoff à Nantes (6.300 m2 de logements, 4.300 m2 de bureaux et 3.200 m2 de commerces) en face du pont Tabarly.

« Nous avons répondu à un concours de Nantes Métropole que nous avons gagné avec la Caisse des Dépôts et E Capital. Nous avons milité pour un macroîlot qui est devenu un cas d'école de la mixité d'usages. Ce quartier qui avait un déficit d'image a été métamorphosé », raconte Frédéric Carrère. Il est en train d'appliquer une logique similaire à la rénovation du quartier Empalot à Toulouse, une cité populaire en coeur de ville, qui bénéfice de l'aide de l'ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine), les bureaux en moins.

Cette Zone d'aménagement concerté (ZAC) de 11.000 m2 comprendra des commerces et 128 logements répartis en logements privés, logements sociaux et logements PSLA (prêt social de location-accession). « Dans ces opérations, le promoteur n'a pas les mains libres et les enjeux politiques guident le calendrier. Mais ce sont des projets valorisants. »

Des tendances venues de l'immobilier d'entreprise

Ingrid Nappi-Choulet est professeure titulaire de la chaire Immobilier et développement durable à l'Essec, créée en 2002 avec des partenaires tels que Poste Immo, Perial, Vinci Immobilier et BNP Paribas Real Estate. Notamment à travers ses enquêtes Mon bureau de demain et Ma ville de demain, la chaire prend le pouls des besoins et des attentes pour former les futurs professionnels. Ingrid NappiChoulet constate une tendance empruntée de l'immobilier d'entreprise.

« Au départ, les entreprises ne s'intéressaient pas au coût du poste de travail qui est pourtant le deuxième poste budgétaire après les salaires, à environ 15 000 euros par poste et par an. L'envie de réduire les coûts a abouti aux espaces de travail partagés et collaboratifs. Ça tombe bien parce que c'est une aspiration des nouvelles générations, mais il s'agit surtout pour réduire les coûts », explique-telle. « Cette vision est en train de s'exporter vers le résidentiel. Face aux prix croissants, on intègre des espaces partagés et communautaires. La mutualisation n'a finalement rien de nouveau, Fourier y avait pensé au xixe siècle. »

Autre concept clé : le logement évolutif au fil du cycle de la vie... repris de Le Corbusier.

« Dans le monde post-2008, la financiarisation héritée des Anglo-saxons qui s'intéressait peu à l'utilisateur est remplacée aujourd'hui par la valeur d'usage et la réponse aux besoins des utilisateurs. C'est une obsession presque exclusive. Entre-temps, il y a eu la valeur verte. Le problème de la valeur d'usage est qu'on ne sait pas la mesurer. Comme la mutualisation, c'est une tendance qui vient de l'immobilier d'entreprise et qui se généralise dans le résidentiel », fait remarquer Ingrid Nappi-Choulet.

Des normes, oui mais...

« Bien sûr qu'il faut des normes pour que l'argent ne gouverne pas tout ! Mais il faut être conscient que la multiplication des normes renchérit les coûts de production que nous ne pouvons pas reporter sur les prix de vente », avertit Frédéric Carrère de Gotham. « Les normes se sont par exemple traduites par des appartements plus petits puisqu'il fallait respecter la taille des toilettes pour un fauteuil roulant. Cela donnait des pièces trop petites ou des appartements inabordables. Heureusement, il y a eu des amendements. »

À côté des grands groupes, on trouve des promoteurs immobiliers régionaux comme Artprom, qui opère entre Le Mans, Laval et Tours. Antoine Pillot, qui a repris l'entreprise de son père, joue la carte de la personnalisation face aux projets standardisés.

« Nous avons une préférence pour l'immobilier d'entreprise et pour le logement de petite taille avec moins de 25 lots », précise-t-il.

Mais cela n'empêche pas l'ambition. Exemple avec La Nef, un projet dans le centre de Tours, composé de 84 logements et de bureaux, qui se targue d'être le premier bâtiment à énergie positive de la ville.

« La Nef est une expérimentation, presque un programme de recherche. Nous nous sommes engagés à suivre le bâtiment et nous apprenons aussi de la vie et de la gestion de l'ensemble. »

Antoine Pillot réagit aux phénomènes des chartes de l'immobilier adoptées par de nombreuses villes - Bordeaux, Paris, Nanterre et ces jours-ci Malakoff, dans les Hauts-de-Seine, qui adopte en conseil municipal sa Charte de la promotion immobilière et de la construction durable, cela dans le but de maîtriser la surenchère foncière et de préserver la mixité sociale et fonctionnelle tout en encourageant le développement urbain durable.

« Les chartes se sont multipliées car on a multiplié les projets impersonnels au lieu de faire une urbanisation réfléchie. Elles partent d'une bonne intention, mais sont trop interventionnistes. Je le vis à Tours. Les chartes ajoutent à la surréglementation. Mais si on réduit la réglementation, j'ai peur que cela facilite l'augmentation des marges plus que l'amélioration de la qualité... »

Contexte économique et politique

Les promoteurs s'inquiètent.

« Les crédits sont passés de quinze à vingt-cinq ans. Les taux d'intérêt sont bas en ce moment. Mais quand ils vont remonter, beaucoup de gens ne pourront plus acheter », craint Frédéric Carrère, le PDG de Gotham.

Regrettant que les candidats à la présidentielle aient été peu loquaces sur la question du logement, il appelle leur nouvel interlocuteur du gouvernement au pragmatisme et à l'écoute. Le ministère de la Cohésion des territoires a confirmé à La Tribune que Jacques Mézard, le nouveau ministre, va se charger du dossier du logement.

« Il me semble que les métropoles sont les locomotives économiques et que nous sommes dans un moment déterminant de la construction des villes. Or, l'intitulé du ministère fait référence à la fracture des territoires et ne semble pas aller dans le bon sens », réagit un fin connaisseur du monde de l'immobilier.

« De plus, ne pas afficher le logement en tant que tel dans les attributions du ministre alors que c'est l'une des premières préoccupations des Français semble étonnant. Le parcours de Jacques Mézard n'est pas dans ce domaine, mais peut-être apprendra-t-il vite... »

D'autant plus étonnant qu'au salon VivaTech qui se tenait récemment, un grand nombre d'innovations concernaient le domicile et les usagers de la ville. La ville bouge et le gouvernement semble en décalage.

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Commentaire 1
à écrit le 28/08/2017 à 18:55
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de beaux petit pigeonnieres pour les pigeons

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