2023, année du sens au travail

A quoi faut-il s'attendre en 2023 en matière d'évolution de l'économie et du monde du travail ? Lors d'un récent dîner dans les salons de l'Hôtel des Arts et Métiers, organisé par le Cercle Humania, l'économiste Daniel Cohen s'est prêté à cet exercice de prévision. D'abord, si l'avènement du numérique et de l'intelligence artificielle est promesse de nouveaux gains de productivité, encore faudra-t-il les réaliser et les mesurer. Ensuite, les tensions actuelles - inflation et pénurie de main d'œuvre - ne pourront pas être réglées par les seules augmentations salariales. Il reste donc encore à élaborer un nouveau sens pour le travail, et plus largement, aux humains à trouver une nouvelle place dans ce qui ne sera plus la société de consommation mais de l'investissement.
(Crédits : DR)

Le mot, déjà en vogue depuis quelques mois, a été consacré lors du récent Forum économique mondial, à Davos. C'est celui de polycrise, qui exprime la multiplicité des crises - sanitaire, énergétique, géopolitique - et leur interaction. Daniel Cohen, invité par le Cercle Humania, l'a d'entrée de jeu repris, lors d'un récent dîner, devant quelque 150 DRH et dirigeants d'entreprise, à l'Hôtel des Arts et Métiers. Féru d'histoire, l'économiste a d'abord, avant de penser à l'avenir, fait un bond en arrière, pour rappeler les similitudes de la situation actuelle avec celle du 14e siècle en Europe, marqué par la peste, la guerre et la famine.

Même si, aujourd'hui, la pandémie de Covid a remplacé la peste et la famine est plutôt celle de l'énergie, tandis que la guerre fait rage en Ukraine. De la même façon, « c'est la stabilité du monde qui est en jeu, dit-il. Le système féodal s'est effondré du fait qu'un tiers de la population a péri à cette époque et que les paysans, jadis attachés, littéralement, à la terre, ont acquis une certaine liberté. » Est-ce à dire que le système capitaliste actuel est au bord de l'implosion ? En tout cas, nous entrons clairement dans une nouvelle ère, marquée auparavant par la chute du mur de Berlin, l'avènement de la mondialisation puis, avec l'administration Trump, les tensions commerciales, évolutions auxquelles s'est ensuite ajoutée la pandémie de Covid, mettant en lumière les fragilité des chaînes d'approvisionnement.

Nouveau capitalisme

Dans ces conditions, quel sera le visage du nouveau capitalisme en 2023 ? D'abord, « la pandémie a accéléré le tout numérique », relève Daniel Cohen. Ce qui implique un large recours au télétravail, mais aussi le fait de faire ses courses et de se distraire par écran interposé. Reste à savoir, alors que la révolution industrielle avait donné lieu à des gains de productivité et les Trente glorieuses offert aux travailleurs une amélioration régulière de leur niveau de vie, si l'avènement du numérique tiendra les mêmes promesses. Dans une économie caractérisée avant tout par les services, numérisés depuis quelque temps - depuis la banque à distance jusqu'à la télémédecine -, comment, d'une part, comptabiliser dans la richesse nationale le fait qu'au lieu d'avoir un guichetier à la banque, c'est le détenteur d'un compte qui effectue lui-même l'opération, par exemple, et de l'autre, comment, puisqu'il s'agit de plus en plus de services à la personne, ne serait-ce qu'en raison de l'évolution démographique, gagner du temps dans ce domaine ?

La nouvelle sophistication du numérique, à base d'intelligence artificielle, de robots et de chatbots, va-t-elle permettre de faire ce saut en matière de productivité ? Si Daniel Cohen cite, avec un certain humour, le cas des plateformes de rencontres, qui permettent une gestion optimisée : des contacts très nombreux, voire « industrialisés », sans perte de temps à courtiser le ou la partenaire, il évoque aussi le cas de sa mère, sortie récemment de l'hôpital. Elle aurait besoin d'un suivi, qui pourrait se faire par le biais d'un capteur relié aux services de soins, « mais ces outils, faciles à concevoir, ne répondent pas aux critères commerciaux des géants mondiaux du numérique », regrette-t-il.

De plus, plusieurs dangers rôdent. De manière générale, la déshumanisation des citoyens, seuls, devant leur écran, et, dans le monde du travail, le paradoxe actuel, celui d'une croissance, faible, certes, mais qui se poursuit, sur fond d'inflation - « baissera-t-elle en 2023 ? », se demande l'économiste - et de tension sur le marché du travail.

Crise de motivation

« La crise actuelle de la motivation est à l'intersection de ces phénomènes », ajoute-t-il. Comment faire en sorte que des candidats postulent à un poste ? Comment les fidéliser une fois recrutés ? Bref, comment s'assurer de la valeur travail ? Présent lui aussi au dîner d'Humania, Gilles Gateau, directeur général de l'Apec, a une réponse pour les cadres : « Cela ne se résoudra pas avec une simple hausse des salaires, d'ailleurs, c'est de moins en moins le déterminant pour le choix d'un poste », tranche-t-il. Alors que le marché de l'emploi leur est favorable, les cadres peuvent sélectionner. Et leurs critères se portent davantage sur la culture d'entreprise, le management, l'impact sociétal et environnemental de l'organisation. En somme, sur le sens. Et alors que selon certaines études, près de 40 % des salariés seraient démotivés, et par là même, moins performants, il va falloir qu'ils trouvent un sens à leur vie professionnelle et que les employeurs les aident à le faire. D'autant que, note encore Daniel Cohen, la question du sens et de la place va au-delà du travail. « L'anomie sociale, selon l'expression du sociologue Emile Durkheim, autrement dit, l'absence de lien social, est la maladie de notre siècle, assure-t-il. Une absence de lien constatée chez 55 % des Français, qui déclarent ne pas appartenir à un groupe quel qu'il soit, selon certaines études, proportion qui monte à 75 % chez les électeurs du Rassemblement national. ».

Autant dire qu'en plus du sens au travail, l'année 2023 devra être celle d'une réflexion plus large, sur l'appartenance à la société. Faire société, malgré le piège du numérique qui enferme et individualise, malgré les clivages produits par les réseaux sociaux, malgré les tensions sociales qui divisent, sur le partage de la valeur ou l'effort à consentir face au dérèglement climatique. Car la société de consommation a vécu. Il faut, désormais, entrer dans l'ère d'une société d'investissements, pour le bien de la planète et des humains, avance Daniel Cohen. Le général Ghislain Réty, à la tête du GIGN, également invité au dîner d'Humania, est venu apporter une piste et un espoir. « Nous avons voulu garder le mot 'groupe', dit-il à propos de ces experts des interventions à hauts risques, dont les prises d'otages. Nous nous engageons pour la vie, et si nos spécialistes sont triés sur le volet, chacun, lors d'une opération, comme en retour d'expérience ensuite, a le droit de s'exprimer. Nous privilégions la concertation. Une méthode qui permet à tous d'adhérer. » Une philosophie qui gagnerait à être généralisée dans les entreprises - et étendue à la société dans son ensemble.

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Commentaire 1
à écrit le 07/02/2023 à 12:03
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Pour motiver les salariés les états major des entreprises devront repenser les grilles de répartition de la richesse produite captée en grande partie par les directions et autres services du siège au détriment des productifs , ceux qui au jour le jou...

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