La question sociale, la nouvelle frontière de la RSE

Angle mort de ESG (critères environnementaux, sociaux et de gouvernance), le « S » est pourtant crucial pour avancer dans une transition environnementale socialement juste. De quelle manière ? Brune Poirson, l’ex-secrétaire d’Etat à la Transition écologique, aujourd’hui directrice du développement durable du groupe Accor, a livré, lors d’un dîner organisé par le Cercle Humania, sa vision des défis écologiques, intimement liés aux enjeux sociaux. Un ensemble de transformations dans lesquelles les entreprises ont un rôle majeur à jouer et où repenser les business modèles sera clé.
(Crédits : DR)

Brune Poirson ne mâche pas ses mots. « Faire croire qu'on met le développement durable au cœur du modèle d'affaires alors qu'on ne le fait pas, cela revient presque à être climatosceptique », a lancé la directrice du développement durable du groupe Accor devant une centaine de DRH, conviés le 14 mars à un dîner organisé par le Cercle Humania à Paris. Car face à l'urgence climatique et la nécessité de résoudre l'équation formulée il y déjà cinquante ans par le rapport Meadows - « il n'y a pas de croissance infinie dans un monde fini » -, il est temps de « transformer en profondeur les façons dont nous travaillons, pensons et voyons l'entreprise », a-t-elle insisté. Faut-il encore rappeler que, parmi les neuf limites planétaires définies par les chercheurs, six ont d'ores et déjà été franchies ? Pour l'ancienne secrétaire d'Etat à la Transition écologique, le débat se pose en termes scientifiques. « La question du développement durable n'est pas une question morale », considère-t-elle. Surtout, dans une entreprise, elle ne peut être accessoire.

De fait, après 250 ans d'un capitalisme bâti sur les énergies fossiles, c'est tout le système économique qu'il devient urgent de repenser - une transformation dans laquelle les entreprises ont un rôle clé à jouer. « D'abord, en étant le relais des Etats pour accélérer, mettre en œuvre et trouver des solutions », estime Brune Poirson. De même, « elles peuvent créer de nouvelles formes de collaboration et tester des solutions plus radicales », poursuit celle qui avait exercé, avant son engagement politique, en tant que directrice du développement durable et de la RSE d'une filiale de Veolia pour l'Asie du Sud.

Toujours est-il que dans cette voie, reste à s'emparer d'une dimension de taille. « La question sociale est cruciale », martèle l'ex-secrétaire d'Etat. « Or c'est celle qui a été la moins abordée en matière de développement durable et de transition écologique ». Certes, « on a l'intuition que cela va créer des bouleversements sociaux majeurs, mais le sujet est tellement complexe que tout le monde l'évite, à commencer par les responsables politiques tout comme au sein des entreprises où c'est un angle mort », déplore-t-elle. Une entreprise n'est pourtant pas décorrélée des tensions qui traversent la société. « Si l'entreprise ne se saisit pas des questions sociales et ne travaille pas différemment avec la puissance publique pour trouver des solutions, alors nous ne parviendrons pas à réaliser cette transition environnementale », alerte-t-elle.

Les RH au premier plan

Sur ce chemin, les ressources humaines occupent une place de choix. Ainsi dans l'hôtellerie-restauration qui, à l'heure des tensions sur le marché de l'emploi, se penche, au-delà des salaires, sur l'amélioration des conditions de travail, en revoyant, par exemple, les amplitudes horaires, afin qu'elles soient moins larges. Ce qui n'est pas sans difficultés, d'autant que le groupe Accor est franchiseur et doit travailler main dans la main avec les propriétaires des hôtels pour trouver des solutions... « Dans certains de nos restaurants, plus vous êtes là depuis longtemps et plus vous avez droit à votre week-end, par exemple. Mais aujourd'hui les jeunes ne sont pas forcément d'accord. Cela rebat les cartes au sein de toute la hiérarchie interne d'un restaurant », témoigne la directrice du développement durable du groupe hôtelier. Autre volet social exploré, celui des modes de recrutement qui permettent « d'enlever des barrières », à l'instar des initiatives qui consistent à recruter sur motivation plutôt que sur CV. Enfin, pour faire monter en compétences les collaborateurs, démarche indispensable tant pour retenir les talents que pour relancer l'ascenseur social, « nous travaillons de façon étroite avec les écoles hôtelières en participant à la construction des compétences ». Des compétences multiples et diverses, puisque « nous formons ces personnes de façon massive à différents métiers ».

Enfin, si la transition écologique fait naître de nouveaux métiers, l'enjeu n'est pas moins de verdir les métiers existants, ce qui n'est pas toujours sans soulever des réticences... D'où l'importance de la sensibilisation. C'est ainsi que la quasi-totalité des collaborateurs d'Accor ont reçu une formation obligatoire de six heures sur les sujets du développement durable. « Non seulement cela crée un certain nombre d'usages, cela permet aussi de partager une vision et de dépasser les opinions et les croyances pour partir directement à la recherche de solutions basées sur le diagnostic scientifique », analyse Brune Poirson. Une manière d'embarquer l'ensemble des collaborateurs dans la transition.

Régénérer

C'est sans oublier un autre sujet qui émerge depuis quelque temps dans l'agenda des entreprises, celui de la biodiversité, restée pendant longtemps occultée faute notamment de critères de mesure. « C'est très transverse et suppose de mobiliser l'ensemble de l'entreprise », explique Brune Poirson. Exemple, chez Accor, l'un des grands enjeux est agricole, du fait de ses milliers de restaurants à travers le monde. « Nous dépendons tellement de l'agriculture que nous avons une mission de participer à régénérer. Cela suppose de transformer en profondeur toutes nos chaînes de valeur. Pour ce faire, nous travaillons de façon étroite avec les achats et la direction financière, pour redéfinir les indicateurs ». En outre, la biodiversité, sur laquelle planche désormais le régulateur européen, est « typiquement un sujet sur lequel il faut travailler au niveau des écosystèmes », ajoute-t-elle.

Autant de problématiques vitales qui invitent le monde économique à se réinventer sans tarder. Brune Poirson en est convaincue : l'heure est à l'entreprise à impact, à contribution nette positive, autrement dit celle qui cherche à réparer. Quitte à redéfinir les relations et au sein de la hiérarchie et créer des rapports de force. « Je souhaite que mon P-dg et moi nous fassions gronder dans les couloirs parce que nous n'en faisons pas assez ! », assure-t-elle. Et si la route, pour nombre d'entreprises, est encore longue, attirer les jeunes talents désireux de repenser les secteurs entiers permettra sans doute d'accélérer.

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