Free et Bouygues, condamnés à se marier après le rachat de SFR par Numericable ?

Par Delphine Cuny  |   |  785  mots
Xavier Niel, qui avait traité les clients de ses concurrents de pigeons, pourrait-il se rapprocher davantage de Martin Bouygues ?
Le changement de dimension espéré par les deux opérateurs, l’un en récupérant un réseau, l’autre en fusionnant avec SFR pour devenir numéro un, n’aura pas lieu. Les deux alliés d’une semaine pourraient se retrouver dans quelques mois.

Evanoui le rêve presque insensé d'un numéro trois du mobile devenant leader en absorbant le numéro deux : « on aura fait le maximum et nos équipes ont montré une remarquable capacité de mobilisation » se rassérène-t-on chez Bouygues, faisant contre mauvaise fortune bon cœur. L'action du groupe de BTP, qui perdait plus de 7% à l'annonce par Vivendi du choix de l'offre rivale de Numericable sur SFR, a finalement terminé vendredi en recul de 2,9%. Voilà Bouygues « revenu à la case départ » observe un analyste, « et toujours en mal de mouvement stratégique. » Mais d'autres croient déjà en de futurs rebondissements, voire en inéluctable rapprochement avec Free. 

Iliad justement, la maison-mère de Free, a davantage souffert, en repli de 4% à la clôture vendredi. Fini aussi, le rêve d'un « super Free », gonflé aux stéroïdes en héritant d'un réseau mobile national complet et d'un riche portefeuille de fréquences cédé par Bouygues en cas de fusion de celui-ci avec SFR, pour 1,8 milliard d'euros, une très bonne affaire selon les analystes. Ce devait être « un changement de paradigme pour Free » aux yeux des analystes d'Oddo. De nombreux experts s'étaient emballés, relevant à tout-va leurs objectifs de cours, de 190 à 237 euros par exemple à la Société Générale qui appliquait une probabilité de 75% à la réalisation de la transaction de Bouygues…

Le soutien de Niel aurait desservi l'offre de Bouygues

« La décision n'est pas une surprise. La presse et les analystes débordaient un peu trop d'enthousiasme sur l'offre de Bouygues » temporise-t-on dans le camp de Free. Les sorties répétées de Xavier Niel, qui a éreinté l'offre de Numericable et soutenu haut et fort celle de Bouygues, qui lui était favorable, « ont considérablement desservi l'offre de Bouygues. Que Xavier Niel, Martin Bouygues, Stéphane Richard, tous les concurrents de SFR et Arnaud Montebourg clament tous en chœur que c'est le meilleur projet, c'est apparu comme un avertissement colossal pour le conseil » confie une source proche de Vivendi. « Il va y avoir désormais un consensus tacite pour aller taper sur Numericable » sourit un des déçus. Le câblo-opérateur n'avait déjà pas de relations très cordiales avec les autres opérateurs : en plein processus d'introduction, Free et Bouygues l'avaient assigné en justice à l'automne dernier.

Consensus des rivaux contre Numericable

Dés vendredi, Orange a mis en garde, dans une déclaration à l'AFP, contre le risque de « position concurrentielle déséquilibrée » issu du rapprochement de SFR et de Numericable, né d'une « accumulation d'alliances » (partage de réseau mobile Bouygues-SFR et fusion SFR-Numericable) et qui « ferait naître un acteur disposant d'un réseau mobile et d'une boucle locale très haut débit non régulée, bénéficiant d'un avantage structurel en termes de coûts et d'un accès à des contenus dont les opérateurs ne bénéficient pas. » Free aussi envisage de demander des compensations en matière d'accès aux chaînes thématiques, pour faire tomber les exclusivités de Numericable. Les concurrents de SFR pensent aussi suggérer un encadrement strict du couplage des offres du câblo et de l'opérateur mobile qu'il va racheter : «  hors de question que SFR offre l'accès gratuit au câble par exemple, il faudra que cela soit réplicable » explique l'un de ses rivaux. La guérilla juridique promet d'être sans merci.

Free et Bouygues condamnés à se marier ?

Les anciens ennemis jurés, réconciliés dans une alliance opportuniste contre le câblo, ont-ils vocation à prolonger leur « coup de foudre récent » comme l'avait qualifié Xavier Niel ? « Se rapprocher de Free ? On n'en est pas là » écarte-t-on dans l'immédiat chez Bouygues, où l'on entrevoit cependant à terme des « opportunités ».  Même vision chez Free : « Nul doute que d'autres opportunités se présenteront dans les prochains mois pour Iliad  » aurait déclaré Cyril Poidatz, le président du conseil d'Iliad, dans un message interne, selon le Huffington Post. Free peut se féliciter de son côté d'avoir noué « de meilleures relations » avec le groupe Bouygues et avec Arnaud Montebourg. Et « l'idée d'un retour à trois opérateurs a fait son chemin dans les esprits » relève-t-on chez Free. Le sujet n'est plus tabou et même encouragé par Arnaud Montebourg et Stéphane Richard, le patron d'Orange. Au-delà des noms d'oiseaux échangés entre les deux patrons, Martin Bouygues et Xavier Niel, il resterait le problème de fond de la valorisation qui empêcherait aujourd'hui une fusion à parité : Iliad (Free) pèse 11,6 milliards d'euros en Bourse quand Bouygues Telecom est estimé entre 4 et 6 milliards d'euros…