En Russie, l'Etat se connecte au Web pour mieux le contrôler

Par Julien Nocetti, chercheur associé à l'Ifri.
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Et si le Web traduisait le décalage entre l'État russe et la société ? À l'heure des réseaux, elle évolue plus vite que le système politique. L'essor constant de l'Internet crée en effet un défi en matière de gouvernance et de légitimité politique pour les autorités. Le Web est de plus en plus visiblement utilisé dans une finalité militante. L'action d'opposition concerne désormais moins les figures ou partis politiques que les démarches de terrain.

Que ce soit pour dénoncer la négligence des services de l'État pendant les incendies dévastateurs de l'été 2010 ou pour révéler des affaires de corruption impliquant les élites régionales, l'utilisation qui est faite des blogs et outils comme Twitter et Vkontakte (équivalent russe de Facebook) étaye l'idée d'une politisation du Web. Dans les situations extrêmes, les blogueurs sont les premiers à répandre la nouvelle et à agréger l'information, indépendamment des canaux officiels.

Cette situation provoque de véritables divisions au sommet du pouvoir, entre les partisans d'un Web libre de toute interférence et les tenants d'une approche plus régulatrice. D'un côté, l'administration présidentielle, autour de Dmitri Medvedev, met l'accent sur le potentiel innovant des nouvelles technologies. De l'autre, l'entourage du Premier ministre Vladimir Poutine semble craindre un « printemps arabe ». Les propos du vice-Premier ministre Igor Setchine, proche de Poutine, rapportés en février dernier au « Wall Street Journal », et du responsable du centre de protection de l'information et des communications spéciales du FSB (Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie), qui ont assimilé des outils comme Google et Skype à une menace pour la sécurité de la Russie, valident cette nervosité au sommet.

À ce discours alarmiste et à de sporadiques cyberattaques visant des blogs de militants, les autorités associent des initiatives sophistiquées de régulation du Web. Le pouvoir a su créer un corpus juridique favorable au contrôle des flux informationnels et cultiver une communauté dynamique de « gourous de l'Internet ». Par le biais de start-up, ceux-ci favorisent la diffusion de messages pro-Kremlin dans les forums et les blogs. Récemment, un appel d'offres d'un organe du ministère de la Communication et des Technologies de l'information a proposé la mise en place d'un système de surveillance des contenus numériques avant la fin de l'année.

Un autre appel d'offres, lancé en avril, appelle à étudier l'expérience étrangère, notamment chinoise, en matière de régulation de la Toile. Depuis mars, la « Ligue pour un Internet sûr » associe des opérateurs dans la lutte contre les « contenus illégaux ». Plus généralement, l'État adopte une démarche de « russification » du Web, par une superposition de projets incitant les internautes à rester dans le cadre du cyberespace national (moteur de recherche d'État, nom de domaine en cyrillique, choix de l'open source pour se distancer des géants américains). Ces initiatives résultent de montages complexes entre des représentants de l'État, des acteurs du Web et des investisseurs oligarques. Ainsi, l'homme d'affaires Alicher Ousmanov, réputé proche de Medvedev, contrôle, à travers la holding SUP, LiveJournal, la plate-forme de blogs la plus populaire en Russie, et la société Mail.ru Group (ex-DST). Sous l'impulsion de son dirigeant, Mail.ru Group a entrepris une offensive sur les principales réussites du Web social russe et a réussi son introduction à la Bourse de Londres à l'automne dernier. Quant à Yandex, leader local sur le segment des moteurs de recherche en Russie, loin devant Google, l'État détient un droit de veto sur la vente de plus d'un quart de ses actions et vient d'entamer une introduction sur le Nasdaq.

Alors que la Russie se prépare à de nouvelles échéances électorales, législatives (décembre 2011) et présidentielle (mars 2012), il faudra s'attendre à ce que l'État soit de plus en plus « connecté » au Web.

(*) Vient de publier « e-Kremlin : pouvoir et Internet en Russie », Institut français des relations internationales, collection Russie.

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Commentaire 1
à écrit le 11/12/2011 à 8:58
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La Tribune: Il faut arrêter de me faire rire. Imaginez le nombre de fois que j'ai été censuré par vous, Orange, Le Monde etc. A tel point que je ne communique plus qu'avec vous, qui êtes le moins mauvais des mauvais médias français. Par contre, je n'...

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