L’application de rumeurs Gossip ne fait pas rire la Cnil

L'application polémique, qui avait inquiété jusqu'à Najat Vallaud-Belkacem, porte "des atteintes graves à la vie privée", estime la Commission nationale informatique et libertés (CNIL). Sa société éditrice risque jusqu'à 3 millions d'euros d'amende.
Sylvain Rolland
Isabelle Falque-Pierrotin, la présidente de la Cnil, estime que l'application de rumeurs anonymes Gossip porte "des atteintes graves à la vie privée".

Les blagues les plus courtes sont souvent les meilleures. En mai et juin 2015, l'application Gossip ("ragot" en anglais), spécialisée dans la divulgation de potins de manière totalement anonyme, avait connu un succès fulgurant dans les cours de collèges et les lycées, jusqu'à inquiéter la ministre de l'Education nationale elle-même, Najat Vallaud-Belkacem.

Et pour cause : l'application permet de publier anonymement des rumeurs, avec du texte, des photos ou des vidéos, concernant des personnes faisant partie de ses contacts. Bien entendu, le seul moyen de vérifier qu'on n'est pas victime d'une rumeur est de s'inscrire sur l'application... De quoi rendre Gossip extrêmement virale, au point que la vie de plusieurs ados avait rapidement tourné au cauchemar. Face au tollé, sa créatrice, la française Cindy Mouly, déclarait qu'il s'agissait simplement d'humour. "C'est fait pour s'amuser, se taquiner, comme on le fait tous", se défendait la jeune femme.

Atteintes graves à la vie privée

Mais la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) n'a visiblement pas le même sens de l'humour. Plus d'un an après la polémique, l'institution réagit -enfin- en mettant en demeure la société éditrice de l'application, WGM, pour des "atteintes graves à la vie privée".

La Cnil a été très sensible au fait qu'il n'est pas nécessaire d'utiliser l'application pour en devenir la victime. "Concrètement, cela signifie qu'une personne n'ayant pas l'application, y compris mineure, peut faire l'objet de calomnies susceptibles de déstabiliser son entourage et de lui porter un grave préjudice, sans en être informée et sans réel moyen d'action vis-à-vis de l'émetteur comme des récepteurs de la rumeur", explique-t-elle dans son justificatif.

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Un système qui repose sur le siphonnage des données du téléphone

La Cnil considère qu'en "organisant la diffusion des rumeurs anonymes, sans information et sans limites ni dans lespace, ni dans le temps", la société WMG ne prend pas en compte l'article 1er de la Loi informatique et libertés, qui dispose que l'informatique "ne doit porter atteinte ni à l'identité humaine, ni aux droits de l'homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques".

Par ailleurs, la Cnil a constaté que l'application Gossip reposait sur la collecte et le traitement des numéros de téléphones figurant dans le répertoire des utilisateurs, ou parmi les données renseignées par leurs contacts Facebook. Y compris lorsque ces numéros se rapportent à des personnes ne l'ayant pas téléchargée.

Or, relève-t-elle, ce traitement ne repose sur aucune base légale, car il ne répond à aucun des critères définis par la Loi informatique et liberté, notamment le consentement de la personne concernée.

"Je ne sais pas contre qui me défendre"

Lancée le 10 mai 2015, Gossip a été téléchargée au moins 60.000 fois en deux semaines. Les dérives ont été rapides, et violentes. "Des gens ont publié de vieilles photos de moi, datant du collège, quand j'avais des problèmes de poidsexpliquait Astrid, 17 ans, au site L'Obs. Ça a tourné dans l'établissement. Je ne sais pas contre qui me défendre".

La colère des syndicats lycéens, des professeurs, les nombreux articles de presse et la mise en garde de la ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Balkacem, ont abouti au retrait de l'application au début du mois de juin 2015. Pas pour longtemps. Gossip revenait une semaine plus tard, sur Android et iOS. Pour seul changement, une mise en garde : "A consommer avec modération. Interdit aux moins de 16 ans. Accepter pour commencer".

Jusqu'à 3 millions d'euros d'amende ?

Ces précautions semblent insuffisantes pour la Cnil, qui a donné un mois à WGM pour se conformer à la loi. Si l'entreprise ne réagit pas, une procédure de sanction pourra être entamée. Or, depuis la promulgation, la semaine dernière, de la Loi pour une République numérique, le montant maximal de l'amende est de 3 millions d'euros, alors qu'il n'était que de 150.000 euros jusqu'à présent.

Par ailleurs, l'épée de Damoclès d'une action judiciaire plane aussi sur Gossip. "Compte tenu de la nature des manquements constatés, mais aussi des risques pour les personnes concernées, notamment les mineurs", la présidente de la CNIL, Isabelle Falque-Pierrotin, a transmis le dossier au procureur de la République, "afin que celui-ci puisse, le cas échéant, procéder à des investigations complémentaires".

Cette mise en demeure pourrait donc signer la fin de Gossip, qui n'est déjà plus du tout un phénomène de société. Effrayés par les conséquences d'un ragot sur leur vie sociale, les ados se sont rapidement détournés de l'appli. Autrement dit, le buzz est passé. WGM dispose donc de deux options. La première est de dénaturer complètement son application en la rendant compatible avec la loi Informatique et Libertés, ce qui lui enlèverait tout son "intérêt". La deuxième est d'ignorer la mise en demeure de la Cnil, et donc de s'exposer à une amende très salée, pour une application qui n'est même plus virale. On ne rit pas avec la vie privée...

Sylvain Rolland

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Commentaires 2
à écrit le 17/10/2016 à 14:05
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avec ce genre d'applis on peut s'attendre à n'importe quoi, comme par exemple que FH traite les pauvres gens de "sans dents", les magistrats de "laches", ou encore les sportifs de "décérébrés"...

à écrit le 17/10/2016 à 11:31
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On se demande vraiment comment ce genre d’application peut voir le jour. L'argent a ses raisons que la raison ignore.

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