Présidentielle 2017 : Macron veut faire basculer l'Etat dans l'ère numérique

Par Sylvain Rolland  |   |  1914  mots
Emmanuel Macron, candidat d'En Marche! à la présidentielle, compte sur le numérique pour permettre la simplification de l'administration et l'amplification des dispositifs existants pour stimuler l'innovation.
Le candidat d’En Marche met le numérique au cœur de son programme. Et se pose en héritier -sans forcément l'assumer- de la politique menée par François Hollande dans ce domaine.

Que contient le programme d'Emmanuel Macron sur le numérique et les startups ? Sans surprise, le candidat d'En Marche! a été prolixe sur le sujet. Au moins 85 propositions (dans un programme qui en compte 588 d'après le think tank Renaissance numérique) concernent directement le numérique.

Un constat s'impose : si l'ancien ministre de l'Economie a "tué" le père Hollande pour devenir candidat, sa politique numérique s'inscrit dans la droite lignée de celle de son ancien mentor. Avec deux credo : la simplification de l'administration et l'amplification des dispositifs existants pour stimuler l'innovation. Et quelques idées nouvelles aussi, parfois très ambitieuses à défaut d'être facilement et rapidement réalisables. Revue de détail.

Startups et innovation : Macron, un Hollande-bis

Si l'ensemble des candidats critiquent le bilan de François Hollande, sa politique en ce qui concerne le développement des startups et de l'écosystème d'innovation est, au contraire, plutôt bien reçue. Tous les experts du secteur saluent l'initiative French Tech, le renforcement de Bpifrance, ainsi que les mécanismes fiscaux d'aide à l'innovation (Crédit Impôt Recherche, Crédit Impôt Innovation, dispositif Jeunes Entreprises Innovantes), qui ont contribué à placer la France sur la carte des pays les plus innovants au monde ces cinq dernières années.

Emmanuel Macron s'inscrit donc dans la continuité de ce bilan, qu'il partage en partie. Il promet ainsi de « garantir stabilité et visibilité » aux acteurs de l'innovation en matière fiscale, en « sanctuarisant » les dispositifs existants et en renforçant encore le rôle de Bpifrance pour gérer « l'ensemble des aides à l'innovation de l'Etat et de ses opérateurs ». Sa mission d'accompagner la transformation numérique des TPE et des PME sera également renforcée.

Un « Fonds pour l'industrie et l'innovation », doté de 10 milliards d'euros, servira à financer l'industrie du futur. Ces fonds proviendront de la vente d'actions d'entreprises possédées de manière minoritaire par l'Etat (mais lesquelles ?). Autre idée intéressante, un « droit à l'expérimentation », provisoire, permettra aux entreprises de « déroger aux dispositions en vigueur afin de tester de nouvelles solutions », « dans le respect des impératifs de sécurité, de protection du consommateur et de loyauté de la concurrence ». Un dispositif réclamé par de nombreux acteurs du secteur. Les PME disposeront également d'un « code du travail digital » pour mieux les accompagner dans leurs décisions. Elles auront aussi accès à « un site » contenant toutes les « obligations légales et conventionnelles à respecter » ainsi que « les conseils de l'administration ». Les travailleurs, eux, pourront consulter « l'ensemble des droits accumulés et la pension correspondante » sur une application smartphone et un site internet.

Création d'un ISFI à la place de l'ISF

Pour renforcer le financement de l'innovation, Emmanuel Macron a quelques idées. Tout d'abord, il veut instaurer un « prélèvement forfaitaire unique sur l'ensemble des revenus tirés du capital mobilier ». Et remplacer l'ISF, honni par la droite, par un ISFI, un impôt sur la fortune immobilière.

Conformément au diagnostic des experts du numérique, Emmanuel Macron souhaite aussi renforcer le rôle de l'Union Européenne dans le financement et l'organisation d'une véritable « Europe du numérique ». Le candidat poussera la création d'un Fonds européen de financement en capital-risque, doté de « 5 milliards d'euros au moins », pour « accompagner la croissance des startups européennes ». Il faudra toutefois qu'il précise ce qu'il adviendra de l'initiative franco-allemande lancée en décembre dernier, d'un fonds similaire doté d'un milliard d'euros.

Une Europe plus agressive face aux géants américains

Ses autres propositions numériques pour l'Europe incluent la volonté de créer un « Netflix européen » pour « exposer le meilleur du cinéma et des séries européennes ». Vincent Bolloré sera ravi : c'est le motif affiché du rapprochement entre Vivendi et le groupe italien Mediaset.

Emmanuel Macron souhaite aussi renforcer la biométrie pour sécuriser les cartes d'identité. Un choix à l'opposé de la politique de l'actuel gouvernement, qui a refusé le recours à la biométrie et vient de généraliser le méga-fichier d'identité TES, malgré la polémique. Plus difficilement faisable, le candidat veut aussi renégocier avec les Etats-Unis le Privacy Shield, l'accord qui régit le transfert des données transatlantique, et créer une « Agence européenne pour la confiance numérique », en charge de la régulation des grandes plateformes numériques, notamment les GAFA américains (Google, Apple, Amazon, Facebook). Mais la France ne pourra impulser seule de tels chantiers, qui ne semblent pas être une priorité pour l'Europe actuellement.

     | Lire. Le Privacy Shield, une jolie coquille vide ?

Sur le plan fiscal, Macron veut faire de la lutte contre l'optimisation fiscale des géants du numérique américains une « priorité en Europe ». Pour « éliminer les montages consistant à rapatrier les profits dans les paradis fiscaux », il propose une « taxe sur le chiffre d'affaires réalisé dans nos pays pour des prestations de service électronique ». Amazon, Facebook, Apple ou encore Google, qui paient très peu d'impôts en France et en Europe en général, semblent particulièrement dans le viseur.

Intelligence artificielle, très haut débit : quand Macron promet ce qui existe déjà

Emmanuel Macron est parfois si proche des idées de François Hollande qu'il ne résiste pas à annoncer des projets qui sont en fait déjà dans les cartons. Sur le très haut débit par exemple, le candidat d'En Marche ! promet une couverture sur l'ensemble du territoire. Mais il s'agit plutôt de respecter le déploiement du Plan France Très Haut Débit (PTHD), lancé par l'actuel président et qu'Emmanuel Macron a largement soutenu lorsqu'il était ministre de l'Economie. Ce plan ambitieux vise à couvrir le pays en très haut débit d'ici à 2022, pour un coût évalué au moins à 20 milliards d'euros.

     | A lire. Internet : la bataille du très haut débit pour tous

Autre vœu pieux : « définir une stratégie nationale pour l'intelligence artificielle ». Encore une fois, Emmanuel Macron pointe du doigt un enjeu majeur, puisque cette technologie va bouleverser l'emploi, le travail et impacter massivement la société dans les décennies à venir. Mais le leader d'En Marche! oublie que la France vient de lancer, sous l'impulsion de l'ex-secrétaire d'Etat au Numérique et à l'Innovation, Axelle Lemaire, sa stratégie pour l'intelligence artificielle. Sept groupes de travail, rassemblant des chercheurs, des représentants de startups et de grands groupes, ont été chargés de définir les orientations stratégiques de la France dans ce domaine, et doivent fournir leurs conclusions au mois de mars.

     | Pour aller plus loin. Faut-il vraiment avoir peur de l'intelligence artificielle ?

La « simplification », le leitmotiv de Macron pour l'administration

Sur la gouvernance, le candidat d'En Marche! fait le même constat que tout le monde : l'administration française est trop complexe et les procédures administratives, trop lourdes. Pour simplifier ce mille-feuille, il propose un grand coup de balai en s'appuyant sur le numérique pour « redéfinir l'action publique ».

Ainsi, 10 milliards d'euros issus de son grand plan d'investissement de 50 milliards d'euros, seront consacrés à « l'action des collectivités ». Concrètement, il s'agira de financer l'amélioration et la digitalisation des services publics locaux et de « déployer la transition écologique » dans les territoires. L'objectif à l'horizon 2022 est de pourvoir effectuer 100% des démarches administratives en ligne -sauf première délivrance des documents d'identité officiels.

Pour simplifier les démarches, Emmanuel Macron compte créer un « compte citoyen en ligne », qui rassemblera sur une même interface tous les droits du citoyen, notamment en matière de santé, de formation, de situation fiscale et de droits civiques. Une simplification qui permettrait d'économiser entre 5 et 10 milliards d'euros, mais qui relève du casse-tête. D'autant plus qu'il faudra l'articuler avec le dispositif France Connect, qui vise à permettre aux administrations de regrouper certaines données personnelles au cas par cas.

Service public numérique de la justice

La même logique prévaut pour la réforme de la justice et de la police. « La numérisation permettra de simplifier et d'automatiser des tâches répétitives comme les enregistrements, les convocations ou les demandes de transmission de pièces justificatives », est-il écrit dans son programme. Ainsi, un service public numérique de la justice sera créé sur le modèle d'impots.gouv.fr.

« Les citoyens et leurs avocats y trouveront toutes les informations pratiques. ils pourront se pourvoir en justice depuis leur ordinateur, transmettre une requête, des pièces, ou suivre leur dossier depuis leur smartphone ».

Autres idées : des « plateformes de règlement à l'amiable des litiges » tenues par des professionnels (avocats, huissiers, notaires). Les juges pourraient aussi bénéficier « d'outils numériques d'aide à la décision », dont les contours restent à préciser. Cela suppose toutefois des investissements logiciels massifs, et la formation du personnel à ces nouveaux outils.

Transparence de la vie démocratique, inclusion numérique

Actant la défiance entre les citoyens et leurs élites, Emmanuel Macron fait de la « transparence » une nécessité. A la fois pour les entreprises (transparence de l'usage des données personnelles par les acteurs du numérique) et pour l'Etat. Ainsi, des « outils numériques » seront créés pour recueillir l'avis de la population sur l'action de la police. Les parlementaires seront aussi davantage surveillés : des jurys citoyens permettront de contrôler l'action des parlementaires, qui devront publier des... comptes-rendus de mandat via les réseaux sociaux.

Cet effort de transparence s'accompagne d'une stratégie d'inclusion numérique pour les populations les plus démunies. Dans le domaine du handicap, une plateforme numérique collaborative permettra de généraliser les bonnes pratiques locales, et l'accès aux diplômes sera facilité par des « adaptations numériques ». Emmanuel Macron promet également un réseau d'accompagnement au numérique sur tout le territoire, pour proposer du soutien et des formations aux populations qui ne maîtrisent pas les codes d'internet. Une idée qui fait (beaucoup) penser à la stratégie d'inclusion numérique du gouvernement actuel, présentée par Axelle Lemaire en novembre dernier.

Pass Culture à 500 euros, e-santé, téléphone au collège : ses autres mesures phares

Dans le domaine de la défense, Emmanuel Macron veut créer une base de données centralisée au niveau européen, avec un échange obligatoire d'informations, accessible aux services de renseignement des différents Etats membres. Là encore, un projet de longue haleine...

Dans la santé, le candidat d'En Marche! compte consacrer 5 milliards d'euros à un plan d'investissement en soins primaires, dans l'innovation e-santé, dans le déploiement de la télémédecine et dans l'hôpital de demain. Un site national d'information sur les perturbateurs endocriniens sera mis en place.

Dans le domaine de la culture, en plus du « Netflix européen », Emmanuel Macron souhaite créer un Pass Culture de 500 euros destiné à tous les jeunes de 18 ans. L'objectif ? Leur permettre, via une application, « d'accéder aux activités culturelles de leur choix : musée, théâtre, cinéma, concert, livres ou musique enregistrée ». Une mesure cofinancée par les distributeurs et les grandes plateformes numériques

Enfin, proposition détonante : Emmanuel Macron ne veut pas de téléphones portables à l'école primaire et au collège. Leur usage sera « interdit » dans l'enceinte de ces établissements. Ce qui est déjà le cas dans le Code de l'éducation.