Mobile : la viabilité du plan anti-zones blanches de T-Mobile et de SpaceX en question

L’opérateur américain et la firme d’Elon Musk ont signé une alliance technologique. Celle-ci vise à utiliser les fréquences du premier et les satellites du second pour fournir une couverture mobile partout où les réseaux cellulaires classiques sont absents. Cette initiative concernera d’abord les Etats-Unis, mais vise à être étendue partout à travers le globe. Présentée comme révolutionnaire, elle suscite, toutefois, de nombreuses interrogation sur sa mise en œuvre, sa pertinence et son modèle économique.
Pierre Manière
Mike Sievert, le patron de T-Mobile, et Elon Musk, celui de SpaceX, lors de la présentation de leur solution anti-zones blanches, jeudi dernier, sur le site Starbase de SpaceX au Texas.
Mike Sievert, le patron de T-Mobile, et Elon Musk, celui de SpaceX, lors de la présentation de leur solution anti-zones blanches, jeudi dernier, sur le site Starbase de SpaceX au Texas. (Crédits : DR)

Sur le papier, le projet semble séduisant. Jeudi dernier, l'opérateur américain T-Mobile et SpaceX, la firme du milliardaire Elon Musk, ont dévoilé une alliance technologique visant à éradiquer, une bonne fois pour toute, les zones blanches à travers le monde. L'annonce apparaît révolutionnaire. Aucun opérateur télécoms n'est aujourd'hui en mesure de couvrir, avec son réseau mobile, toute la superficie d'un territoire national. Aux Etats-Unis comme en Europe, de nombreuses zones sont dépourvues d'antennes-relais. Il s'agit généralement des moins peuplées, et ce pour des raisons économiques. Lorsqu'il n'y a pas d'antenne, il est logiquement impossible de communiquer avec un smartphone via un réseau cellulaire classique 3G, 4G ou 5G.

Mais T-Mobile et SpaceX affirment avoir trouvé une parade. Une recette miracle, même. Leur idée ? Utiliser des fréquences de T-Mobile et les satellites de Starlink, la constellation du groupe d'Elon Musk, pour permettre à tout un chacun de communiquer avec son smartphone dès lors que les réseaux cellulaires sont inaccessibles. Cette solution sera d'abord disponible aux Etats-Unis d'ici à la fin de l'année prochaine, ont-ils claironné. Tout en appelant d'autres opérateurs, à travers le monde, à se joindre à cette initiative. « L'important, c'est que cela signifie qu'il n'y aura plus de zones blanches, nulle part dans le monde, pour votre téléphone », s'est félicité Elon Musk en conférence de presse.

Un service de niche

Cela dit, plusieurs observateurs se montrent aujourd'hui sceptiques quant à la viabilité de cette solution. En premier lieu, certains critiquent sa pertinence. Ce service a, en effet, déjà vocation à être un service de niche. Il ne s'agit pas d'apporter ici du haut ou du très débit dans les zones blanches. Mais seulement, comme l'expliquent T-Mobile et SpaceX, de permettre des communications très basiques - c'est-à-dire des SMS, et peut-être un peu de data - si les conditions le permettent. Concrètement, l'utilisateur doit se situer dans une zone dégagée, et ce jusqu'à 30 minutes, le temps qu'un satellite passe au-dessus de lui. Le randonneur qui s'est cassé la jambe au beau milieu d'un parc naturel non couvert par les réseaux traditionnels pourra, par exemple, prévenir les secours. Ce service permettra « de sauver des vies », plaide Elon Musk. Il n'empêche qu'il n'offre, in fine, que des débouchés limités...

En outre, cette solution sera, d'un point de vue technique et réglementaire, difficile à mettre en place. « Les 2.800 satellites actuels de Starlink ne sont pas conçus pour utiliser les fréquences de T-Mobile ou de tout autre opérateur télécoms », relève un consultant spécialisé dans les télécoms. Ces satellites ne fonctionnent aujourd'hui qu'avec un terminal spécialisé Starlink, afin d'offrir un service Internet fixe à haut débit. Mais ils sont incapables de communiquer avec un smartphone. D'après Elon Musk, la prochaine génération de satellites Starlink changera la donne. Plus lourds et plus gros, ceux-ci, baptisés Gen2, disposeront d'antennes fonctionnant avec les fréquences dites « moyennes » - comme celles de la bande des 2 GHz que T-Mobile devrait consacrer à ce nouveau service de communication.

Un business model à préciser

Certains doutent, à cet égard, que cette nouvelle solution soit bien opérationnelle d'ici un an, comme l'ambitionnent SpaceX et T-Mobile. D'autre part, ceux-ci devront disposer, en amont, de l'aval du régulateur des télécoms aux Etats-Unis. Ce qui n'est pas gagné. D'autres opérateurs ne manqueront sans doute pas de leur mettre des bâtons dans les roues, estimant, notamment, que leur service constitue une source d'interférences. SpaceX sera confronté à ces mêmes difficultés dans tous les autres pays où il compte déployer sa solution de communication. Il devra d'abord trouver des opérateurs qui acceptent d'y consacrer une partie de leurs fréquences. Puis décrocher, à chaque fois, le feu vert des autorités de régulation.

Le business model de ce service suscite aussi des interrogations. Pour un opérateur, mettre à disposition une partie de ses fréquences, souvent achetées à prix d'or, n'a rien d'évident. « Aux Etats Unis, un bloc de 10 MHz pour une couverture nationale vaut 7 milliards de dollars, sur la base de la transaction la plus récente sur le marché secondaire des fréquences, précise notre consultant. Soit le business model du service annoncé par les deux entreprises est très rémunérateur pour T-Mobile USA, soit l'opérateur va 'immobiliser' un actif précieux sans contrepartie claire. » Or T-Mobile a déjà décidé d'inclure cette solution de communication satellitaire gratuitement dans la plupart de ses forfaits... On peut, dès lors, se demander comment l'opérateur va rentabiliser ce nouveau service.

Pierre Manière

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