La crise internationale sur le dossier ukrainien est en train de bouleverser l'emploi du temps d'Emmanuel Macron à quelques semaines de l'élection présidentiel. Et celui qui renâcle encore à présenter officiellement sa candidature (dont plus grand monde ne doute...) a décidé de se mobiliser entièrement sur ce dossier diplomatique hautement explosif.
Par cette opération que d'aucuns présentent comme celle de la dernière chance, l'actuel hôte de l'Élysée a bien sûr en tête le précédent de Nicolas Sarkozy lors de la crise géorgienne en 2008. À l'époque, ce dernier avait profité de sa double casquette (profitant alors de la présidence de la France du conseil des ministres de l'Union Européenne), pour jouer les conciliateurs entre les différents acteurs de la crise, tant sur un plan régional qu'international. Sur un plan de politique intérieure, ce coup diplomatique avait permis à Nicolas Sarkozy d'asseoir sa stature internationale.
Le pari d'une relation personnelle avec Poutine
Emmanuel Macron a donc décidé de jouer son va-tout sur l'Ukraine à quelques semaines de la présidentielle. Il doit ainsi rencontrer Vladimir Poutine lundi et le lendemain le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Un pari hasardeux. Car sur ce dossier, Russie et États-Unis n'ont eu de cesse depuis ces dernières années d'imposer leur tempo diplomatique aux Européens. Le président français avait pourtant tenu à faire du « dialogue avec la Russie » l'une de ses priorités diplomatiques depuis son accession au pouvoir en 2017. À peine deux mois après son élection, il avait d'ailleurs fait tousser de nombreux diplomates du Quai d'Orsay quand il avait invité en grande pompe Vladimir Poutine à Versailles.
On se souvient également de la visite du maître du Kremlin au fort de Brégançon en août 2019 à quelques jours du G7 de Biarritz. À l'époque, Emmanuel Macron était allé jusqu'à dénoncer l'existence d'un « État profond » au Quai d'Orsay à la traditionnelle conférence des ambassadeurs devant des diplomates médusés. Pour Emmanuel Macron, il était clair que son administration diplomatique l'entravait dans sa démarche de dialogue avec Poutine. Pour développer ce « dialogue », le président français pariait sur la constitution d'une relation personnelle avec son homologue russe. Le président français avait d'ailleurs utilisé la même méthode avec Donald Trump, sans grand succès.
Le rôle de Jean-Pierre Chevènement
On doit en fait l'utilisation de cette formule de « l'État profond » visant le Quai d'Orsay - et surtout certains de ses diplomates considérés comme pro américains et atlantiques - à Jean-Pierre Chevènement, proche conseiller du soir d'Emmanuel Macron, et partisan d'un rapprochement avec la Russie. Lorsque je l'interroge pour mon livre « L'Emprise » (Seuil), l'ancien ministre de François Mitterrand et de Lionel Jospin ne prend pas de pincettes diplomatiques pour décrire les résistances au sein du ministère des Affaires étrangères : « Quand le président Macron me reçoit avec tout son staff, je sens très vite qu'il y a des gens sur l'ancienne ligne. Je me heurte à tous les étages à cet État profond. Toutes mes propositions contredisaient nombre de responsables du Quai ». Et l'ancien ministre d'ajouter : « Depuis Bernard Kouchner [ministre des Affaires étrangères de 2007 à 2010], et les nominations qui en ont résulté, la ligne sur ce dossier est celle des néoconservateurs américains. Les diplomates de la nouvelle génération sont formatés à l'américaine ».
Dans l'entourage du chef de l'État, Chevènement n'a pas été le seul à le conseiller sur ce dossier. L'ancien ministre des affaires étrangères Hubert Védrine a également joué un rôle. Mais c'est bien Chevènement qui est envoyé à plusieurs reprises par le président pour faire passer des messages à Vladimir Poutine en début de quinquennat. Dans « l'Emprise », je relate alors les différentes difficultés auxquelles l'Élysée a pu être confrontées sur ce dossier russe du côté de son administration diplomatique.
Un « en même temps » diplomatique
Cette « excuse » de « l'État profond » est pourtant un peu facile pour expliquer les difficultés qu'Emmanuel Macron a eu sur le sujet russe depuis le début de son quinquennat. Cette posture victimaire cache mal les erreurs stratégiques du président français qui n'a cessé de prendre des positions contradictoires sur le dossier, usant d'un « en même temps » diplomatique peu efficace. En off, les conseillers diplomatiques du président expliquent alors qu'il s'agit de jouer le rapport de force avec l'homme fort du Kremlin. Encore faut-il que le président français ait les bonnes cartes en sa possession pour faire avancer les négociations avec Vladimir Poutine.
Or, depuis sa tentative de rétablir un dialogue direct avec les Russes, Emmanuel Macron s'est finalement retrouvé marginalisé auprès de ses partenaires européens. Les « pays de l'Est », comme la Pologne, n'ont pas cessé de dénoncer une attitude unilatérale de la France. Et surtout l'Elysée s'est retrouvé opposé à l'Allemagne sur le dossier énergétique. La crise diplomatique russe est en fait révélateur des antagonismes stratégiques, économiques et stratégiques qui existent entre la France et l'Allemagne.
Dès début 2019, la France s'oppose ainsi à Bruxelles au projet Nord Stream 2, ce gazoduc stratégique entre la Russie et l'Allemagne passant par la mer Baltique, permettant de contourner la voie ukrainienne, au grand dam du Kremlin. C'est ainsi qu'au moment où Emmanuel Macron tentait une amorce de dialogue avec Vladimir Poutine, il s'opposait à ce grand projet.
Les Français pas pris au sérieux par les Russes ?
Résultat, les Russes n'ont jamais vraiment pris au sérieux le président français depuis bientôt cinq ans. Comme me le confie un haut diplomate russe : « Le président français fait de très beaux discours mais ce n'est pas suivi d'actes ». À en croire notre diplomate russe, Vladimir Poutine aurait la nostalgie des années De Gaulle et Mitterrand.
La seule chance aujourd'hui d'Emmanuel Macron est que le nouveau chancelier allemand Olaf Scholz semble davantage le soutenir dans sa démarche de négociation à l'égard de la Russie. C'est que les deux chefs de l'État sont conscients qu'ils ne peuvent pas laisser États - Unis et Russie décider seuls, et au-dessus de leur tête, régler les questions de sécurité pour l'Europe. Dans cette partie de poker internationale (car pour les États-Unis, le véritable ennemi est désormais la Chine), l'ancien banquier d'affaires pourrait ainsi tirer son épingle du jeu. D'autant qu'Emmanuel Macron affectionne ces situations où il se retrouve au pied du mur. C'est souvent là qu'il est le meilleur.