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« Nous sommes entrés dans une nouvelle guerre froide. C'est une guerre économique. En voici les coulisses ». La phrase d'accroche du nouveau livre de Marc Endeweld, « L'emprise », affiche d'emblée la couleur. Journaliste d'investigation indépendant, chroniqueur régulier à La Tribune dans une colonne hebdomadaire intitulée Politiscope, l'auteur, qui nous avait réservé quelques-uns des « scoops » développés dans le livre, livre un travail très documenté qui pourrait servir aux scénaristes des futurs épisodes du « Bureau des Légendes » ou du « Baron Noir » ... ou d'un « House of Cards » version française.
En refermant cette somme de près de 600 pages, on sort forcément un peu inquiet du décrochage de la France et de l'état d'impuissance dans laquelle se trouve le pays face aux risques et menaces du monde. Une situation que, selon l'auteur, Emmanuel Macron a échoué à inverser. Dans la nouvelle guerre froide que se livrent les deux superpuissances que sont les Etats-Unis et la Chine, dans cette bascule dans le 21ème siècle dont la crise du Covid est le symbole, Endeweld estime que « la France apparaît démunie, sous emprise et dépourvue de toute stratégie ».
Le jugement est sévère et l'auteur s'attache à démontrer sa thèse en mettant en relation des faits, petits et grands, certains connus, d'autres qu'il dévoile au travers de son travail d'enquête. Le résultat est une vaste fresque décrivant un monde néo-libéral « où tous les coups sont permis », et où la France peine à se mouvoir, à l'image de son humiliation dans l'affaire de la commande des sous-marins australiens annulée par la nouvelle alliance AUKUS négociée dans le dos d'Emmanuel Macron.
L'enquête révèle un Emmanuel Macron qui se cherche pour affirmer une France puissante dans un monde en ébullition. On apprend que le jeune inspecteur des finances, alors rapporteur de la commission Attali, avait proposé de renoncer à la dissuasion nucléaire pour faire des économies. Une transgression qu'il n'a pas reprise une fois élu, on s'en doute.
On voyage au fil des pages en Syrie, en Arabie Saoudite, en Algérie et en Afrique, dans la Russie de Poutine et l'Allemagne de Merkel, pour décrypter le jeu diplomatique, industriel et militaire de la France. Pour nombre des témoins interrogés, la partie est pliée depuis longtemps : « sans qu'on y prenne garde, la France a abandonné la maîtrise de son destin », certains témoins interrogés parlant de « débâcle » à propos du désarmement industriel et donc géopolitique de la France, dont l'échec à trouver son propre vaccin contre le Covid symbolise le déclassement du pays de Pasteur.
Dans la grande partie d'échecs géopolitique et géoéconomique qui se joue, la France apparaît en état de fragilité. Sur l'énergie notamment, enjeu majeur pour l'indépendance du pays, qu'il s'agisse des batailles du gaz, russe ou algérien, du gazoduc Nord Stream 2, ou des difficultés des réacteurs EPR. Marc Endeweld raconte les détails du rachat imposé à EDF des turbines nucléaires Arabelle d'Alstom, vendues à l'américain GE par le ministre Macron... que nos lecteurs ont pu apprendre en avant-première dans une de ses chroniques dans La Tribune.
L'auteur, connu pour avoir rédigé deux des livres les mieux informés sur l'actuel chef de l'Etat (« L'ambigu Mr Macron », Flammarion 2015 ; « Le grand manipulateur, les réseaux secrets d'Emmanuel Macron » Stock, 2019) dresse le portrait inédit de très nombreux acteurs qui gravitent autour du président de la République. A commencer par son plus proche collaborateur, Alexis Kohler, « l'amiral de l'Elysée », secrétaire général de la présidence et dont un chapitre entier dissèque les liens avec la famille Aponte propriétaire du groupe MSC qui avait des vues sur STX, c'est-à-dire les Chantiers de l'Atlantique. Le livre fourmille d'autres révélations comme la libération de l'intermédiaire Alexandre Djouhri, reparti vivre et travailler tranquillement à Genève, ou d'autres aventures rocambolesques lors de l'OPA de Veolia sur Suez où se sont opposés des réseaux insoupçonnés.
Enfin, on savourera le chapitre « Bolloré, la retraite d'Afrique » qui raconte les « vraies raisons », selon l'auteur, de la brouille entre l'industriel breton et Emmanuel Macron, sur fond de rivalité entre MSC et le groupe Bolloré en Afrique, dont la candidature Zemmour serait un fruit inattendu...
De la petite à la grande histoire, on piochera à son goût, dans cette « emprise », en ayant l'amer sentiment que la guerre économique n'est guère plus jolie que la guerre tout court et qu'elle vérifie l'adage bien connu : « gardez-moi de mes amis, mes ennemis, je m'en occupe ». A la fin de l'ouvrage, on se dit que la France de Macron, hélas, n'a pas vraiment su appliquer la formule de Voltaire.
L'emprise, La France sous influence. Marc Endeweld, Seuil, 22,50 euros. 550 pages.
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