Article en ligne le 24/07/2018 à 15h18 | Mise à jour le 30/07 à 12h27
L'exécutif affronte sa troisième semaine de turbulences liées à l'"affaire Benalla" avec l'examen mardi de deux motions de censure de l'opposition à l'Assemblée et la poursuite des auditions devant la commission d'enquête du Sénat.
Après une semaine de silence, le président Macron s'est exprimé la semaine dernière.
"Ce qu'il s'est passé le 1er-Mai (...) a été pour moi une déception, une trahison", lâche ce dernier devant des députés de La République en marche, rassemblés à la Maison de l'Amérique latine, dans la capitale.
"Le seul responsable de cette affaire, c'est moi et moi seul, indique-t-il. Celui qui a été au courant et a validé l'ordre, la sanction de mes subordonnées, c'est moi et personne d'autre. S'ils veulent un responsable, il est devant vous. Qu'ils viennent le chercher."
La cote de confiance d'Emmanuel Macron a reculé d'un point en juillet à 39% de satisfaits, un plus bas depuis son accession à l'Elysée, selon le baromètre mensuel de l'Ifop pour Le Journal du Dimanche. Le chef de l'Etat gagnait toutefois deux points à 42% d'opinions positives dans une enquête Harris Interactive pour Délits d'opinion diffusée samedi.
"L'impact de l'affaire est réel même si elle n'enclenche pas une rupture d'opinion avec les Français. (...) Cela peut s'inscrire dans une logique de poison lent", relève Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifop, dans le JDD.
Dans cet insidieux précipité politico-judiciaire, qui distille chaque jour son lot de révélations, démentis et imprécations, le chef de l'Etat, qui évoque "une tempête dans un verre d'eau", est apparu fragilisé par une défense erratique.
"J'étais là pour le protéger et c'est moi qui l'ai mis en difficulté", insiste Alexandre Benalla, l'ex-chargé de mission de la présidence au coeur de la tourmente, dans une interview au JDD, qui fait suite à des entretiens au Monde et à TF1.
Mis en examen pour violences en réunion, notamment, l'ex-homme de confiance du président, qui confie avoir songé à se présenter aux législatives en 2017, révèle avoir proposé sa démission une fois ses agissements du 1er-Mai portés à la connaissance de l'Elysée, accusée par l'opposition de gauche et de droite d'avoir minimisé et cherché à étouffer l'affaire.
"Le gouvernement a failli"
"J'ai dit que j'étais prêt à démissionner. On m'a répondu que ce n'était pas la peine", explique Alexandre Benalla qui ajoute que la présidence a "utilisé" le recel présumé d'images de vidéosurveillance qui lui est reproché pour "couper court" au "scandale" et engager une procédure de licenciement le 20 juillet à son encontre.
Les services de la présidence, dont plusieurs hauts responsables ont été entendus par les commissions d'enquête parlementaires, défendent une gestion "proportionnée" de cette affaire eu égard aux éléments dont ils disposaient alors.
Alexandre Benalla, 26 ans, avait été mis à pied du 4 au 19 mai avec suspension de salaire, dont le directeur de cabinet d'Emmanuel Macron, Patrick Strzoda, a révélé devant les sénateurs qu'elle serait in fine différée sur le reliquat de ses congés lors du solde de tout compte avant licenciement.
"On découvre que s'est mis en place, au coeur même de l'Elysée, un système de fonctionnement totalement opaque et hors de tout contrôle", écrit le chef de file des députés Les Républicains, Christian Jacob, dans une tribune publiée dans le JDD.
"Face à la dérive monarchique du président de la République, le gouvernement a failli. (...) Il a failli car il a préféré couvrir le président plutôt que de défendre nos institutions, il a failli car il a laissé dériver cette affaire en refusant de donner des explications au Parlement", ajoute-t-il.
Benalla prêt à être entendu
Le gouvernement d'Edouard Philippe sera confronté mardi à l'Assemblée à deux motions de censure : l'une portée par LR, l'autre par les élus de La France insoumise, socialistes et communistes.
Le gouvernement n'est en rien menacé puisque le groupe de La République en Marche (LaRem) détient la majorité absolue à l'Assemblée - 312 députés sur 577. Pour être adoptée, la motion de censure devrait recueillir 289 voix.
L'opposition le sait qui souhaite avant tout que le gouvernement "rende des comptes" à la veille de la clôture de la session parlementaire et avant les vacances de l'exécutif.
Une opposition qui dénonce en outre l'immixtion de l'Elysée dans les travaux de la commission d'enquête parlementaire de l'Assemblée, dont sa présidente Yaël Braun-Pivet (LaRem) estime qu'elle a achevé ses investigations alors que la commission du Sénat entend cette semaine plusieurs hauts responsables, dont mardi matin Christophe Castaner, secrétaire d'Etat aux Relations avec le Parlement et délégué général de La République en Marche.
L'opposition de droite et de gauche a quitté jeudi la commission de l'Assemblée en raison notamment de désaccords sur la liste des auditions, limitée par la présidente de la commission des Lois.
"Nous avons auditionné plusieurs personnalités venues des cabinets et de l'administration et déduit qu'il n'y a pas besoin de plus d'enquête à l'Elysée", justifie celle-ci dans le JDD.
Alexandre Benalla déclare dans le même journal avoir "plutôt envie" d'être entendu par les deux commissions. "Ils veulent des explications, j'ai de quoi leur en donner".
La commission d'enquête du Sénat entendra lundi notamment le chef de cabinet et le directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur Gérard Collomb ainsi que le colonel Lionel Lavergne, chef du groupe de sécurité de la présidence de la République. Le président de la commission des Lois du Sénat chargée d'enquêter sur l'affaire Benalla a annoncé envisager le principe d'une audition de l'ancien chargé de mission, mais pas avant la rentrée. Alexandre Benalla, qui multiplie les interventions dans les médias pour justifier ses actions le 1er-Mai et défendre Emmanuel Macron, a fait part, dans un entretien au Journal du dimanche, de son souhait de témoigner devant les sénateurs.
"Je dois me reposer, réfléchir. Mais oui, j'ai plutôt envie d'y aller. Ils veulent des explications, j'ai de quoi leur en donner", déclare-t-il.
Le sénateur Les Républicains Philippe Bas, qui préside la commission d'enquête, n'a pas exclu lundi, en préambule de nouvelles auditions, d'organiser un tel témoignage de Benalla. Il avait jusqu'à présent écarté cette audition pour deux principales raisons, a-t-il expliqué : le principe de séparation des pouvoirs, - "Nous ne devons pas enquêter sur des faits qui font l'objet de poursuites" - et celui des droits de la défense, - "il ne faudrait pas qu'une personne auditionnée puisse être amenée à témoigner contre elle même".
"Mais M. Benalla, à l'occasion d'un entretien dans un journal, a fait savoir son 'envie' d'être auditionné par notre commission", a noté Philippe Bas.
"Dès lors, dans le respect des principes que je viens de rappeler (...) Je m'entretiendrai de nouveau avec nos rapporteurs et nous aurons une discussion interne à la commission et puis nous verrons à la rentrée ce qu'il convient de faire."
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Une mesure dite « proportionnée » pour l'Élysée
Alexis Kohler a fait savoir que la sanction d'Alexandre Benalla, pour laquelle il a donné « son plein accord », prononcée au lendemain des faits du 1er-Mai pouvait « apparaître insuffisante », mais qu'elle était « proportionnée » « au regard des éléments connus le 2 mai. »
Au sujet des fonctions précises de M. Benalla, le secrétaire général de l'Élysée a répondu que « M. Benalla n'a[vait] jamais été en charge de la protection de la présidence de la République. » Il était chargé d'« organiser les déplacements » et devait assurer « l'interaction entre la chefferie de cabinet et les personnes en charge de la sécurité. »
Benalla livre sa version des faits au Monde
Après une semaine de silence, Alexandre Benalla livre ses vérités dans un grand entretien accordé au Monde - dans le journal daté du vendredi 27 juillet-. En ce qui concerne notamment son intervention musclée le 1er-Mai, il estime n'avoir jamais enfreint la loi, et invoque "l'article 73 du Code de procédure pénale", qui dispose que "tout citoyen a qualité pour appréhender l'auteur d'un délit".
Pour son appartement dans le 7e arrondissement, la superficie du logement est "de 80m2" et non 200 ou 300 comme évoqué lundi. Son salaire ? Il affirme toucher la somme « 6.000 euros net, comme tous les chargés de mission ».
Alexandre Benalla dénonce au passage une "volonté d'atteindre le président de la République, c'est sûr et certain". Il martèle « son plein accord », prononcée au lendemain des faits du 1er-Mai pouvait « apparaître insuffisante », mais qu'elle était « proportionnée » « au regard des éléments connus le 2 mai. »
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Ce qu'il faut retenir de cette affaire...
Ce scandale a éclaté le 18 juillet dernier, à la suite de la divulgation par le journal Le Monde d'une vidéo datant du 1er mai au sein de laquelle un chargé de mission auprès du chef de cabinet de la présidence de la République violente deux manifestants dans une voie du Ve arrondissement de la capitale. Sur les clichés, enregistrés par un militant de La France insoumise (LFI), la personne reconnue comme Alexandre Benalla, coiffée d'un casque à visière des services de police, roue de coups un individu à terre. Que faisait ce proche d'Emmanuel Macron aux côtés des CRS et surtout quelle a été la réaction de l'Élysée ?
Qui est donc Alexandre Benalla ?
Chargé de la sécurité d'Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle (après avoir travaillé pour multiples figures du PS comme Martine Aubry, François Hollande ou Arnaud Montebourg), Alexandre Benalla a été promu adjoint au patron de cabinet du Président une fois l'aspirant élu.
Voiture pourvue de systèmes policiers, logement dans une dépendance du palais présidentiel, haut grade dans la réserve citoyenne... Cet adhérent de la garde rapprochée disposait d'innombrables atouts et garantissait une fonction pour le moins ambiguë, présenté au fil des multiples secrets dévoilés. Selon BFMTV, Alexandre Benalla œuvrait pour un programme novateur de sécurité qui aurait rassemblé les différents services chargés de la sécurité du chef de l'État.
Que s'est-il passé ?
Le 1er mai 2018, une centaine de personnes se retrouvent place de la Contrescarpe, dans le Ve arrondissement de la capitale, en raison des manifestations. Les CRS , d'abord garés pas très loin de la rue Mouffetard, interviennent. Un individu reconnu comme Alexandre Benalla, protégé par un casque de policier - et portant un brassard "Police" sur certaines photos du même jour -, s'attaque à une femme qu'il tente par deux fois de mettre à terre, avant de l'immobiliser. Cette scène a été diffusée dans un second temps, vendredi 20 juillet.
Quelques instants après, l'homme se dirige vers les Policiers qui essaient de maîtriser un manifestant. Alexandre Benalla s'approche de la personne déjà figée, le saisit, à un moment par le cou, avant de le tabasser à de nombreuses occasions et de le mettre violemment par terre. Ce passage a été enregistré ensuite diffusé par Le Monde sur son site mercredi 18 juillet, qui a identifié le collègue d'Emmanuel Macron.
Quelles interrogations suscitent ces images ?
À la diffusion de la première vidéo mercredi 18 juillet, de nombreuses questions se posent. Qui est cet homme? Pourquoi porte-t-il des éléments réservés aux flics (casque, brassard, radio) s'il ne l'est pas? A-t-il été pénalisé pour ces violences? Et, après avoir été identifié comme un collaborateur d'Emmanuel Macron, le Président était-il au courant de ces actes?
Pour quelle raison Benalla était-il avec les CRS ?
Le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb a confirmé ce lundi, entendu par une commission d'enquête de l'Assemblée nationale, qu'il a été mis au courant des faits dès le 2 mai "en début d'après-midi". Le ministre a déclaré qu'il estimait que c'était au préfet de police et au cabinet d'Emmanuel Macron d'agir une fois la vidéo connue.
D'après l'autorisation fournie par l'Élysée, Alexandre Benalla accompagnait les CRS à des buts d'observation "pour voir comment se gérait une grande manifestation". "ll m'a demandé l'autorisation, je la lui ai donnée, mais en précisant bien qu'il y allait en observateur", a indiqué Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président au Monde. Au courant dès le 2 mai, ce dernier a contraint le collaborateur de se présenter et averti Emmanuel Macron, alors en déplacement en Australie.
Le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb a corroboré ce lundi, entendu par un comité d'enquête de l'Assemblée nationale, qu'il a été mis au courant des événements dès le 2 mai "en début d'après-midi". Ce dernier a déclaré qu'il estimait que c'était au préfet de police et au cabinet d'Emmanuel Macron de mener des actions une fois la vidéo connue.
Quelle a été la réaction de l'exécutif ?
Le jeudi 19 juillet, le porte-parole de l'Élysée Bruno Roger-Petit a déclaré qu'à la reconnaissance d'Alexandre Benalla sur les images du 1er mai, celui-ci avait été sanctionné par une mise à pied de 15 jours sans revenu et rétrogradé à des fonctions d'organisation internes au palais présidentiel.
Une version mise à mal par la trouvaille de plusieurs images où Alexandre Benalla s'affiche au côté d'Emmanuel Macron lors de déplacements en dehors du palais, ou dans de grands événements comme l'entrée au Panthéon de Simone Veil. Le lundi 16 juillet, il a notamment accompagné le retour des Bleus dans l'hexagone et se trouvait à l'intérieur de leur bus sur les Champs-Elysées, Christophe Castaner avançant sur BFM TV qu'il était "en charge de la logistique des bagages".
- Jeudi 19 juillet, Gérard Collomb a annoncé avoir saisi l'IGPN, la police des polices, afin de faire la lumière sur la présence d'Alexandre Benalla en compagnie des CRS. Le syndicat Vigi CGT Police a par ailleurs porté plainte pour "usurpation de fonction" et "usurpation de signe réservé à l'autorité publique".
- Vendredi 20 juillet, l'Élysée a annoncé avoir engagé une procédure de licenciement à l'encontre d'Alexandre Benalla. Via son entourage, Emmanuel Macron a fait savoir dimanche qu'il jugeait "inacceptables" les violences reprochées à son collaborateur et assuré qu'il n'y aurait "pas d'impunité".
Alexandre Benalla sera-t-il poursuivi?
Placé en garde à vue vendredi, Alexandre Benalla a été inculpé dimanche 22 juillet pour violences en réunion, immixtion dans l'exercice d'une fonction publique, port sans droit d'insignes réglementés et recel de "hijacking" de photos, et pour recel de transgression du secret professionnel. Vincent Crase, un gendarme réserviste qui l'accompagnait le 1er mai, a autant été mise en examen pour agressions en réunion, immixtion dans l'exercice d'une fonction publique et port d'arme prohibé.
Trois autres policiers ont été inculpé pour détournement d'images issues d'un système de vidéo-protection et violation du secret professionnel. Les cinq ont été placés sous contrôle judiciaire.
L'exécutif et les autorités vont-ils être auditionnés?
Le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb s'est dédouané ce lundi de toute erreur personnelle dans la gestion de l'affaire Benalla, en renvoyant la responsabilité des faits au préfet de police et au cabinet d'Emmanuel Macron, lors d'une audition à l'Assemblée nationale, selon le journal Le Point. Celui-ci a même déclaré qu'il ignorait qu'Alexandre Benalla était conseiller à l'Élysée, et qu'il n'avait pas été prévenu de la présence, lors de la manifestation du 1er mai, de deux observateurs avec les policiers.
Après la défense du ministre de l'Intérieur, c'est donc le préfet de police de Paris qui a pris la parole dans la journée. Michel Delpuech a d'abord déclaré qu'il ignorait "la présence de M. Benalla sur le terrain" avant d'ajouter : "Fondamentalement, ces faits sont le résultat de dérives individuelles inacceptables, condamnables, sur fond de copinage malsain."