TotalEnergies, la tentation de Wall Street

CHRONIQUE L'ŒIL DE L'ÉCO — Retrouvez chaque semaine la chronique de Philippe Mabille, directeur de la rédaction de La Tribune.
PHILIPPE MABILLE
PHILIPPE MABILLE (Crédits : © DR)

L'assemblée générale de TotalEnergies se tiendra ce vendredi, c'est presque devenu un « marronnier » journalistique, sous le feu des projecteurs. Le géant pétrogazier, engagé dans une transition vers les énergies renouvelables jugée trop lente par les activistes climatiques et une partie de ses actionnaires, fait campagne contre la volonté de certains d'entre eux d'imposer une dissociation de la gouvernance actuelle. Une résolution, certes purement consultative, a été déposée pour mettre fin au cumul des fonctions de président et de directeur général, actuellement assuré par le PDG Patrick Pouyanné, le successeur de Christophe de Margerie à la tête de la major française. Elle prend d'autant plus de poids qu'un groupe d'investisseurs internationaux demande aux majors européennes d'arrêter leurs plans d'expansion dans les énergies fossiles et d'augmenter leurs investissements dans les énergies renouvelables. Ils ont prévenu qu'ils voteront contre certaines résolutions stratégiques de ces groupes, dont la réélection des présidents de TotalEnergies, Shell et BP...

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Les investisseurs ESG (pour environnement, social ou sociétal et gouvernance) accentuent la pression pour accélérer la sortie des énergies fossiles. Patrick Pouyanné, récemment auditionné au Sénat sur ce thème, leur répondra à nouveau vendredi que, dans un monde où la demande de pétrole et de gaz continue d'augmenter, cette transition ne peut se faire que progressivement, car la pente de la diminution de la demande d'énergies fossiles n'est pas linéaire, comme l'avait suggéré l'Agence internationale de l'énergie, mais discontinue, le point d'inflexion n'étant pas encore arrivé. La stratégie climat de TotalEnergies dans ce contexte consiste à privilégier le gaz comme énergie de la transition et de financer par l'argent du pétrole la bascule vers des énergies propres. Le groupe compte y investir 4 milliards d'euros par an.

Est-ce pour échapper à cette pression ? Ou bien pour lancer un pavé dans la mare ? Toujours est-il que Patrick Pouyanné a mis le feu à la place de Paris en indiquant, dans un entretien à l'agence Bloomberg, que TotalEnergies envisage de transférer la cotation principale de l'entreprise à Wall Street. Le siège social resterait en France, dans la nouvelle tour emblématique du quartier de la Défense, The Link. Mais ce départ ferait partir d'Euronext la quatrième capitalisation du CAC 40 et adresserait un signal désastreux alors que le gouvernement tente de convaincre de l'attractivité de la place financière française depuis le Brexit.

Bruno Le Maire a promis de se battre pour que ce transfert de cotation n'ait pas lieu

À quelques jours du sommet Choose France, l'annonce faite fin avril par Patrick Pouyanné a été reçue comme un soufflet à Bercy, où Bruno Le Maire a promis de se battre pour que ce transfert de cotation n'ait pas lieu. L'affaire revêt évidemment une dimension politique à l'heure où TotalEnergies joue un rôle de bouclier anti-Gilets jaunes en plafonnant sous les 2 euros le prix des carburants. Mais les arguments de Patrick Pouyanné ne manquent pas de bon sens, surtout pour les actionnaires de TotalEnergies. Le PDG l'a dit : cette décision, « ce n'est pas une question d'émotion, c'est une question d'affaires ». Elle ne fait que traduire la montée en puissance de l'actionnariat américain qui pèse pour 47 % du total, ainsi que la frilosité de l'Europe dans le financement du secteur « Oil & Gas » en général. Aux États-Unis, où la religion de l'ESG est en perte de vitesse, TotalEnergies pourra compter une base d'actionnaires plus patients et surtout beaucoup plus nombreux.

Bruno Le Maire en est conscient, tout comme Emmanuel Macron. La réponse consisterait à créer la fameuse union des marchés de capitaux qui bride le financement des entreprises sur le Vieux Continent. Pour orienter une part plus importante des 30 000 milliards d'euros de l'épargne financière européenne vers les actions, la France plaide pour la création d'un nouveau livret d'épargne en actions européennes défiscalisé. Reste à savoir si les investisseurs européens accepteront de vaincre leur aversion au risque et de placer une part de leurs économies en Bourse, d'une part, et d'investir dans une entreprise comme TotalEnergies. Face à ces inconnues, on peut comprendre que Patrick Pouyanné ait la tentation de New York, car selon les meilleurs experts, le cours de Bourse de TotalEnergies pourrait progresser de 30 à 40 % par rapport aux niveaux actuels. Les actionnaires n'ont pourtant déjà pas à se plaindre puisque le cours de l'action a été multiplié par deux depuis 2020, à 66 euros, et pourrait donc dépasser les 100 euros par une cotation à Wall Street. Ce qui ferait du PDG de TotalEnergies le meilleur trader de l'année ! Et à coup sûr le héros de ses actionnaires américains...

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Commentaires 2
à écrit le 19/05/2024 à 22:16
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La France, elle t'aime ou tu la quittes. Ce qui est curieux c'est que l'entreprise est dénigrée par beaucoup mais aussitôt qu'elle dit qu'elle veut partir, les mêmes crient au scandale. ça relève de la schizophrénie.

à écrit le 19/05/2024 à 9:32
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C'est une multinationale qui gagne énormément de fric cela parait logique d'aller dans la cours des grands non ? Parce que l'UE franchement quelle médiocrité, si on veut exister en tant ue méga structure financière c'est wall street et nulle part ail...

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