« Il faut donner du sens à la prison » (Joaquim Pueyo, maire d'Alençon et ancien directeur des services pénitentiaires)

Joaquim Pueyo, maire (divers gauche) d’Alençon, a dirigé les prisons de Fresnes et Fleury-Merogis. Il explique les conséquences de l’évasion meurtrière du détenu Mohamed Amra. Et analyse les effets de la surpopulation carcérale, à nouveau soulignés dans le rapport annuel de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, publié cette semaine.
Joaquim Pueyo Maire d’Alençon, ancien directeur des services pénitentiaires
Joaquim Pueyo Maire d’Alençon, ancien directeur des services pénitentiaires (Crédits : © LTD / Arthur Nicholas Orchard/Hans Lucas via Reuters)

Joaquim Pueyo, maire (divers gauche) d'Alençon et ancien député de l'Orne, a fait carrière dans l'administration pénitentiaire. Il a notamment dirigé les prisons de Fresnes et de Fleury-Mérogis. Pour La Tribune Dimanche, il explique les conséquences de l'évasion meurtrière du détenu Mohamed Amra. Et analyse les effets de la surpopulation carcérale, à nouveau soulignés dans le rapport annuel de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, publié mercredi dernier.

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LA TRIBUNE DIMANCHE - Deux agents sont morts dans l'attaque d'un fourgon pénitentiaire mardi à Incarville (Eure). Est-ce une faille de l'administration ou une dérive meurtrière des voyous ?

JOAQUIM PUEYO - Les fonctionnaires ont été victimes de la détermination d'un commando. C'est la première fois dans notre histoire qu'une escorte est attaquée avec une telle violence. Par le passé, nous avons déjà connu des évasions, notamment lors de transferts dans des hôpitaux, où des surveillants avaient été blessés. Mais jamais rien d'aussi dramatique. En Normandie, le transport du détenu avait été organisé dans les règles, il n'y a pas eu de faille. Il s'agissait d'une escorte dite de niveau 3, mobilisant cinq agents. Cependant, on aurait pu, compte tenu du profil du détenu, leur adjoindre des agents des Éris [équipes régionales d'intervention et de sécurité]. Le garde des Sceaux a expliqué qu'il faudra renforcer ces escortes. Il existe 50 groupements d'extraction judiciaire en France, chacun devrait pouvoir disposer de véhicules blindés. J'y suis très favorable. S'agissant des armes, l'utilisation de fusils d'assaut par les criminels justifie que le niveau d'armement des équipes soit également renforcé.

Une autre piste est de réaliser les auditions en visio.

Oui, la vidéoconférence existe, elle est surtout développée en matière de droit des étrangers, et la loi la prévoit également en matière pénale. Il faut laisser les juges en prendre la décision au regard du profil du détenu. Par ailleurs, les magistrats et greffiers qui viennent dans les établissements pénitentiaires doivent évidemment pouvoir travailler dans des conditions adaptées à leur mission et à leur sécurité.

Ce drame éclaire tristement les conditions de travail des surveillants. Dans son rapport rendu cette semaine, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté écrit qu'on « abandonn[e] à un sort souvent infect » les détenus et ceux qui les gardent...

Le sujet endémique est la surpopulation pénale. Il y a dans notre pays 61 570 places de prison pour 77 450 détenus. Il manque donc plus de 15 000. En un an, le nombre de personnes incarcérées a augmenté de 4 415. Sachant qu'une prison moyenne compte 600 places, il aurait donc fallu avoir plus de sept établissements supplémentaires. Les difficultés sont concentrées dans les maisons d'arrêt. Dans une cellule de 9 mètres carrés, on a trois détenus au lieu d'un. C'est indigne. Les conséquences sont délétères à tous les niveaux. Et évidemment, cela détériore énormément les conditions de travail du personnel.

La surpopulation remonte au début des années 1990. Pourquoi les prisons promises par les gouvernements successifs ne sont-elles pas toutes sorties de terre ?

Dès 1987, le garde des Sceaux Albin Chalandon avait lancé un plan de 15 000 places supplémentaires mais il y en a eu beaucoup moins in fine. Quand j'étais parlementaire, j'avais plaidé en 2012 pour 10 000 places, sans être entendu. Depuis 2017, un projet de 15 000 places est lancé. Dans le débat public, tout le monde réclame des prisons. Mais quand il s'agit de les construire, il y a moins d'élus volontaires pour les accueillir. Et dès que l'on trouve un terrain, une ZAD se forme. Il faut avoir le courage d'aller au bout des décisions.

Les moyens sont insuffisants. On détériore le sens de la peine, on engendre des agressions entre détenus et envers les agents

Les peines prononcées sont de plus en plus lourdes, ce qui dément l'idée d'une justice laxiste. Les magistrats devraient-ils prendre en compte la situation des prisons ?

La justice est indépendante. C'est notre équilibre constitutionnel, il doit être respecté. L'autorité judiciaire rend les décisions des peines que nous devons mettre en œuvre dans les meilleures conditions. Or les moyens sont insuffisants, donc la justice est mal appliquée. Les conséquences sont gravissimes. On détériore le sens de la peine, on engendre des agressions entre détenus (plus de 10 000 faits par an) et envers les agents (plus de 5 000 par an). Des détenus très fragiles passent sous la coupe de caïds et des trafics se développent.

Cela explique-t-il aussi le taux élevé de récidive ? Deux ans après leur sortie de prison, la moitié des anciens détenus sont de nouveau poursuivis...

Il y a deux fonctions dans le travail de l'administration pénitentiaire. La première est régalienne. Il s'agit d'organiser la vie quotidienne, les mouvements, les extractions... L'autre porte sur la réinsertion, avec du personnel qui s'occupe de la vie éducative, des projets de sortie. Là encore, il faut des moyens adaptés qui ne sont pas toujours au rendez-vous. Une partie des surveillants travaille néanmoins en ce sens, en évaluant les profils de chacun. Il existe des programmes d'éducation scolaire, de formation professionnelle, de sport, de culture. Dans l'idéal, il faudrait multiplier des projets ciblés sur les courtes peines et bien adaptés aux enjeux individuels. Par exemple, prévenir les violences ou la consommation de drogue à l'approche de la levée d'écrou. Cela donnerait du sens à la prison.

En quarante ans, le nombre de détenus a augmenté cinq fois plus vite que la population française. La société est-elle plus violente ou la justice plus sévère ?

Le taux d'incarcération est dans la moyenne européenne. Dans les pays anglo-saxons, il est plus faible. On constate surtout que les faits de délinquance augmentent. Je le vois aussi sur mon territoire. Ce phénomène est lié au trafic de stupéfiants, qui déstabilise les villes moyennes et la société dans son ensemble, en raison de rivalités entre bandes voulant se partager un marché en expansion. Le ministère de l'Intérieur a lancé des opérations « place nette » qui sont intéressantes et qu'il faudrait approfondir. L'intérêt de la société est que les faits soient élucidés et traités. S'il y en a davantage, alors il faut davantage de postes. Je note aussi que le trafic de drogue a parfois lieu depuis les prisons ou dans la prison, avec 50 % de détenus qui consomment du haschich.

Les surveillants sont confrontés à de nombreux cas pathologiques. Sont-ils formés pour cela ?

Ils peuvent être démunis face à des comportements psychologiques particuliers ou dangereux, qui sont nombreux. En principe, cela déclenche l'intervention de spécialistes et notamment de médecins. Mais il manque des psychiatres, des psychologues ou des généralistes en prison, comme il en manque à l'échelle de tout le pays. La difficulté du métier de surveillant peut décourager les vocations. On a des problèmes de recrutement. Certains candidats font un stage rapidement puis s'en vont. Pourtant, la pénitentiaire est une grande administration. Elle a réalisé de grandes avancées sur le statut, il faudra continuer à valoriser ces métiers qui sont nécessaires. On doit les rendre plus attractifs et renforcer les passerelles entre les missions de la fonction publique, afin que l'on ne passe pas toute sa vie sur une coursive en prison.

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Commentaires 6
à écrit le 20/05/2024 à 18:49
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Du sens a la prison ? Certains technocrates vivent sur une planète parallèle et la presse relaie servilement leurs délires

le 21/05/2024 à 17:35
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Ben oui c'est seulement pour punir c'est bien connu ! "Il faut se méfier de tout ceux en qui l'instinct de punir est puissant" Nietzsche.

à écrit le 19/05/2024 à 14:08
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Des années qu'on parle de construire des prisons et qu'on ne le fait pas. Aucun maire ne veut voir une prison sur sa commune ! Il faudrait rétablir les galères !!

le 20/05/2024 à 9:14
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"Il faudrait rétablir les galères !! " Impossible le lobby pétrolier y serait totalement opposé. Ben ouais c'est ça votre monde les gars hein...

le 21/05/2024 à 12:47
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C'est effectivement le problème des droitards, ils ne savent pas ce qu'ils veulent, toujours à vouloir des prisons, mais pas à côté de chez eux...

à écrit le 19/05/2024 à 10:01
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On ferme des écoles et on ouvre des prisons depuis trop longtemps maintenant.

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