Comment renouer avec « la vie d'avant » ? A cette question, dans toutes les têtes et sur toutes les lèvres, la réponse miracle pourrait bien venir du passeport vaccinal ou d'un pass sanitaire. Le premier ne comprendrait que la mention vaccin anti-Covid. Le second aurait un éventail plus large, avec un historique des tests, ce qui permettrait d'accéder à un certain nombre de lieux.
Les moyens pour retrouver un peu de liberté se précisent en tout cas. La Commission européenne a dévoilé mercredi 17 mars son projet de certificat destiné à faciliter, pour les personnes vaccinées notamment, les voyages au sein de l'UE en prévision des vacances d'été. Ce document, qui sera doté d'un code QR, attestera que son titulaire a été vacciné, a passé un test PCR négatif ou est immunisé à la suite de son infection.
En France, les détracteurs du passeport vaccinal le jugent liberticide et injuste, toute la population n'ayant pas eu accès au vaccin. Emmanuel Macron a écarté cette solution au profit d'un pass sanitaire, un pass dont les contours ne sont pas encore gravés dans le marbre. Ce carnet numérique de santé "allégé" intégrerait les résultats de tests et les éventuels certificats de vaccination, pour permettre d'entrer dans certains lieux (comme les salles de sport ou les théâtres). Il pourrait, lui, contenir des QR codes liés à l'application TousAntiCovid.
Quoi qu'il en soit, pour les acteurs économiques, il y a urgence. Le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, plaide pour la mise en place d'un « carnet vaccinal », notamment pour les déplacements à l'étranger (des expérimentations sont en cours) et les salons professionnels. Pourtant, dans la filière événementielle, cet outil est aujourd'hui jugé « prématuré » par certains.
« Nous sommes preneurs, lance Olivier Roux, le président d'Unimev (représentant les professionnels du secteur), de tout ce qui pourrait participer à la reprise de nos activités événementielles professionnelles, à l'arrêt depuis un an et toujours sans aucun planning de réouverture même progressive, à la différence de certains pays notamment l'Espagne et l'Angleterre. Unimev est prêt à s'associer avec les autorités pour la préfiguration de ce nouvel outil. Nous disposons d'éléments dans notre protocole sanitaire qui peuvent certainement aider à la bonne construction du futur pass sanitaire ».
Espoir pour la culture
Du côté de la culture, la ministre, Roselyne Bachelot, s'oppose à la mise en place d'un passeport vaccinal, mais sans surprise trouve intéressante la piste évoquée par Emmanuel Macron. Auditionné par une mission sénatoriale, Olivier Darbois, président du Prodiss (syndicat national du spectacle musical et de variété) a appuyé : « Nous sommes convaincus que le pass sanitaire et la vaccination sont la lumière au bout du tunnel. Du point de vue du spectacle vivant privé, nous ne sommes pas rentables si nous n'avons pas 80 % à 90 % de taux de remplissage ». Les festivals planchent sur différentes solutions, plus ou moins proches de ce sésame numérique. La présentation d'un test négatif à partir de l'app TousAntiCovid a notamment été proposée par We love green à ses futurs spectateurs, lors d'un sondage sur les mesures sanitaires.
Les pass comme les app contenant des données de santé posent des questions éthiques. Alice Desbiolles, médecin en santé publique et épidémiologiste avertit : « Le pass sanitaire ou le passeport vaccinal sont présentés comme la seule alternative pour un retour à une vie "normale". Or une réouverture progressive de tous les lieux accueillant du public avec l'application de protocoles sanitaires adaptés et proportionnés semble amplement suffisante. Les aspects éthique et déontologique interrogent également. En effet, la mise en place de ces dispositifs risquerait d'ouvrir la boîte de Pandore et de créer un précédent dans l'histoire de la médecine et de la santé publique ». En France peut-être. Mais pourtant, depuis des années, il faut prouver que l'on a reçu tel ou tel vaccin pour pouvoir entrer dans certains pays.
Solutions techniques et difficultés juridiques
Si le débat éthique finit par être réglé, restera à trancher la question juridique : le sujet particulièrement sensible des données de santé. Cédric Aubouy, expert santé chez MC2i (société de conseil en transformation numérique) explique :
« Des bases de données nationales existent déjà notamment SI-DEP, pour les résultats des tests, Contact-Covid qui identifie les personnes ayant été en relation avec un cas positif, ou encore Vaccin-Covid, sur le pilotage de la vaccination. Mais elles ont été conçues uniquement pour une consultation par des professionnels de santé, ou une utilisation à des fins de santé publique. La Cnil (Commission nationale informatique et libertés) devra donc se prononcer sur la finalité et valider un périmètre d'accès plus large. Si ce scénario paraît possible en raison de l'urgence sanitaire, il suppose des garde-fous très importants ».
En revanche, rien de très compliqué sur le plan technique. « Il faudra mettre en œuvre, précise Cédric Aubouy, un partage des données qui pourrait conduire à la création d'une nouvelle base, confiée à un acteur public ou privé. Quatre enjeux principaux sont attachés à un tel système d'information : la fiabilité des données (impliquant une bonne identification du patient), la disponibilité en temps réel, la sécurité et la traçabilité ».
Et si un système clé en main existait déjà ? Créé en 2016 par une startup française, le PassCare centralise toutes les données médicales de son utilisateur. Un flash code (sur une carte physique ou une application) permet d'ajouter directement un résultat de test ou un certificat de vaccin. Son fondateur, Adnan El Bakri est chirurgien et expert en intelligence artificielle : « Notre solution BtoB nous permet d'intégrer l'ensemble des laboratoires d'analyse ainsi que les centres de vaccination. Mais aussi d'interagir avec d'autres acteurs en dehors du sanitaire, comme les cinémas ou les théâtres. Avec notre protocole de cyber sécurisation, le patient gère son parcours et contrôle l'information qui est anonymisée. Il ne nous manque que le feu vert des pouvoirs publics ». Son dispositif pourrait même être implémenté dans l'application TousAntiCovid.
« Le passeport sanitaire doit être mis en place dès avril, en s'appuyant sur les tests de dépistage. Au-delà il sera trop tard. Le gouvernement doit faire confiance aux acteurs de la French Tech, qui ont démontré leur efficacité pour permettre en quelques jours l'accès aux centres de vaccination. Cette dynamique doit se prolonger », poursuit Adnan El Bakri. Il reste que recourir à des jeunes pousses permettrait en outre à la France de s'affranchir des GAFAM pour gérer la santé en format numérique. Un argument de poids alors que la crise sanitaire a replacé la souveraineté numérique sur le devant de la scène.